La cantate Ich glaube, lieber Herr fut composée pour le 21eme dimanche après la Trinité et donnée à Leipzig ce 17 octobre 1723. Les deux lectures bibliques traditionnellement associées à ce dimanche traitent de la foi, comme ressource essentielle dans la détresse pour l’une, comme bouclier contre le mal pour l’autre. Le thème était donc suggéré au compositeur et à son librettiste. Mais dans une œuvre musicale, il faut une direction. Toute la force de cette cantate tient à celle que les auteurs ont choisie : de la foi perdue à la foi retrouvée, de la fragilité dans la détresse à la solidité face aux combats à venir.

On peut se demander pourquoi deux voix seulement se partagent ici les solos, quand le plus souvent chacune des quatre voix reçoit sa part. Bach semble s’astreindre à une construction ramassée, suggérant ainsi une transformation toute intérieure, toute spirituelle, entre le début et la fin de sa cantate.

Le chœur d’ouverture cite l’Evangile selon Saint Marc (Mc, 9, 24 -un épisode dans lequel le Christ délivre un enfant d’un esprit qui le possède, l’exclamation est dans la bouche du père). Il est placé sous le signe d’un motif instrumental douloureux qui se dresse et retombe, implorant et vaincu. Quatre notes, quasiment les premières de la cantate, aux cordes puis aux hautbois, qui imprègnent bientôt toute la musique.

Rien d’autre. Extrême dénuement donc. Un chant ponctué d’appels à l’aide (Hilf! Hilf!). A quatre reprises, le même schéma : une voix lance l’imploration, avant que le tutti gonfle autour d’elle. Sans aucun résultat, puisque le récitatif qui suit est tout aussi désespéré.

Les récitatifs des cantates de Bach sont le plus souvent assez rectilignes, même si l’harmonie peut les rendre complexe. Celui qui vient est au contraire très théâtral : trois élans plein d’espoir (chantés forte) qui se brisent chaque fois dramatiquement sur un Ah nein ! sans courage. Combien de temps faudra t-il endurer telle détresse, demande le ténor adagio, presque sans force.

Encore le temps d’un air, répond Bach, qui va ainsi mener à son terme l’expérience de l’auditeur. Le ténor est soumis aux coups de piques acharnés des cordes. Le chant est en accordéon, saccadé, gondolé de triolets. La musique semble littéralement avaler son interprète dans des sables mouvants dont il ne peut s’extraire. On voudrait dire : quelle magnifique peinture sonore de l’égarement. On peut à peine soupirer « quelle angoisse ! ».

On est là à la charnière de l’œuvre. Bach la fait maintenant basculer.

Le contraste est soudain. C’est un peu comme si un super-héros atterrissait sur le rebord de la fenêtre. On pourrait dire plus exactement que l’âme (toujours symbolisée par la voix d’alto) vient secouer son chrétien de chair et d’os (symbolisé par la voix de ténor). Le récitatif arrive en mode majeur -la première fois dans cette cantate, beaucoup plus limpide que le précédent. Bach enchaîne sur un air au balancement joyeux -le seul rythme ternaire de l’œuvre. L’âme entourée d’un gazouillis de hautbois est guidée par un continuo immuable et solide.

La conclusion de la cantate est puissante. C’est la rencontre de Vivaldi et de Luther ! Conçue en antithèse du premier chœur, elle en reprend la forme avec grand déploiement instrumental et motif symbolique. Ici c’est un élan combattif qui vient prendre appui sur le temps, comme un tremplin. Il est bien utile, car tout autour c’est un orage de double-croches. C’est le combat contre le mal, que traverse, invulnérable, le choral protestant énoncé au soprano en notes longues et épaulé par les trois autres voix. Le choral choisi par Bach est un des tous premiers de la Réforme, Durch Adams Fall ist ganz verderbt, (Par la faute d’Adam, tout fut corrompu, 7eme strophe).

Christian Leblé

La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.