La cantate Ach Herr, mich armen Sünder est donnée pour le troisième dimanche après la Trinité, le 25 juin 1724.

Bach s’est installé à Leipzig un an auparavant et a déjà réalisé un cycle complet de cantates pour tous les dimanches. La plupart des cantates de ce deuxième cycle qu’il entame seront inspirées par des cantiques luthériens, comme celui-ci, Ach Herr, mich armen Sünder, du poète, compositeur, théoricien de la musique Cyriakus Schneegaß (1546-1597).

Le principe est immuable : le texte original est conservé pour les première et dernière parties (chœurs) et paraphrasé pour les quatre autres (solos). Bien souvent cette réécriture contribue à donner du relief : airs sur quelques mots, longs commentaires etc… mais ici on croirait presque à un « plagiat » tant le librettiste -inconnu- a à peine modifié une formule ici et là, conservant le même nombre de strophes et respectant d’un bout à l’autre leur carrure originale de huit vers.

C’est peut-être pour contrarier cette régularité que Bach imagine une cantate « en alternance » dans laquelle plainte et réconfort se courent après, chacune prenant la tête pour une intervention avant de rendre l’avantage.

Le chœur d’ouverture ressemble à une fenêtre un jour de pluie sur laquelle ruissellent les gouttes. Les instruments énoncent des phrases descendantes presque toutes semblables et lentement, phrase par phrase, avec chaque fois une pause orchestrale, s’assemble le choral. La pluie, ce n’est peut-être pas ça, mais l’auditeur ressent une sorte de repli, un poids sous lequel ploient la musique et tous les croyants avec elle. On n’en sera que plus saisi à la fin du chœur quand on parle d’éternité et qu’enfin le hautbois oriente sa ligne vers le haut, vers le ciel.

Encore un détail : le plus souvent ce sont les sopranos qui énoncent le choral original dans ces grands chœurs d’ouverture -la voix la plus aigüe, la plus brillante. Ici ce sont les basses. Ils sont enrubannés du contre-chant des trois autres voix, mais c’est bien du plus profond de la détresse que monte ce choral.

Deux couples récitatif/air vont ensuite s’articuler. Chaque fois, une plainte dans le désert -pas d’instrument hormis le strict nécessaire du continuo- puis un sursaut d’espoir ou de combativité. Les récitatifs se font théâtre : un torrent de notes soudain pour peindre les larmes chez le ténor, une lenteur épuisée chez l’alto. Ce qui accentuera le contraste avec la sérénité du premier air et la pugnacité du second.

Au terme de cet étrange débat, dans le dernier chœur, ce sont enfin les sopranos qui portent la mélodie originale du choral. Le cornet et les hautbois font bloc avec elles pour créer la sonorité la plus lumineuse possible. Les trois autres voix harmonisent.

Les auteurs des premiers temps du protestantisme, contemporains de Luther, créaient parfois la musique sur laquelle on chantait leur texte. Mais on utilisait aussi des musiques existantes, comme ici l’air d’une chanson d’amours déçues de Hans Leo Hassler (1564-1612), Mein Gemüt ist mir verwirret, mélodie courbée qu’on retrouve dans la Passion selon Saint Matthieu, avec un autre texte.

Christian Leblé

La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.