La cantate Nimm was dein ist und gehe hin fut composée pour le 6 février 1724. C’était le dimanche de la Septuagésime (70 jours nous séparent approximativement de Pâques).

Quelques jours avant, on a fêté à Leipzig la Purification de la Vierge, évènement biblique au cours duquel Siméon prédit la grandeur et le sacrifice du Christ (pour les catholiques, cette fête est appelée Présentation de Jésus au temple). Dans l’année liturgique, c’est une bascule qui s’opère là. On passe du mystère de la nativité à la figure du rédempteur.

Cette fête bien sûr réclamait une cantate supplémentaire et voilà Bach en plein rush. Peut-être les modestes proportions de celle-ci, pour le dimanche qui suivit, s’expliquent-elle par ce surcroît de travail.

L’évangile de ce dimanche est l’épisode rapporté par Saint Matthieu des ouvriers de la onzième heure que le propriétaire rémunère au même prix que ceux qui ont travaillé toute la journée. La parabole suggère qu’il faut se satisfaire du sort que Dieu nous a choisi : ce que dieu fait est bien fait, sa volonté est ce qu’il y a de mieux.

Voici donc une cantate qui prône la Genügsamkeit. Aïe, comment traduire cela ? Un peu comme sur les bouteilles d’alcool : la modération, le contentement

Et en effet la musique exprime très bien cet équilibre.

Une fois passé le premier chœur, tout du moins… !

Cette courte fugue est une peinture sonore de la scène de l’évangile, composée à partir de la réplique du propriétaire «Prends ce qui te revient et va t-en !». Elle démarre sans autre forme d’introduction instrumentale. L’enchevêtrement des lignes, le rythme des mots … on imagine que ça rouspète.

Après ce tumulte organisé aux quatre voix, c’est une calme ritournelle d’alto qui exhorte le chrétien à la patience. Le rythme est ternaire, léger, alors que le violoncelle du continuo bougonne encore.

Cette chanson de consolation débouche sur l’approbation collective : deux strophes d’un célèbre choral, Was Gott tut das ist wohlgetan, en mode majeur, unanime (créé autour de 1675 par le poète Samuel Rodigast et le compositeur Severus Gastorius).

La seconde partie de la cantate commence par un récitatif qui oppose la modération à l’intempérance. Le ton est gentiment proverbial, les rimes sont plates, elles se cumulent, elles enfoncent le clou.

On pourrait dire qu’il n’y a qu’un air dans cette cantate, celui qui arrive. Ouvert, déployé, ample. Il en est le point culminant, l’expression parfaite. Vif, d’une progression régulière, sur la toile de fond d’un mode mineur -ces revers pinçants que la vie réserve-, il exprime une acceptation sereine par sa ligne vocale fluide.

Le choral final amplifie cette expression. Son dessin mélodique est très proche du premier que l’on a entendu, il est en demi-teinte, en mineur lui aussi. C’est un texte d’Albrecht de Brandenburg (1490-1568), qui introduisit le luthéranisme en Prusse, sur une musique du compositeur français Claudin de Sermisy (1495-1562).

Christian Leblé

La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.