Prédication du 5 novembre 2017

de Didier You

La mort de Jésus

Lecture : Lév. 19, 33-34 ; Matthieu 23, 1-12 (texte du jour) ; Luc 23, 26-47

INTRODUCTION

A Antioche, nous apprend le livre des Actes, vers les années 40 de notre ère, on a vu arriver des réfugiés. C’étaient des Juifs, mais des Juifs étranges, des Juifs dissidents. Justement, ils fuyaient leur pays la Judée, persécutés pour leurs opinions religieuses. Un des leurs, Etienne, leur premier martyr, venait d’être lapidé à Jérusalem. Ils se réclamaient d’un nommé Jésus de Nazareth, crucifié et ressuscité, dont ils disaient qu’il était le Messie ou Christ, c’est le même mot en hébreu ou en grec. Entre eux, ils s’appelaient « disciples » ou « frères ou soeurs ». Les habitants d’Antioche leur ont donc trouvé un sobriquet un peu méprisant puisqu’ils suivaient un « Christ » : les « chrétiens ». Les membres de cette secte juive, car ce n’était encore que cela, ont accepté l’appellation. Ils se sont répandus à travers le monde.

Donc, nous sommes des chrétiens, ou plutôt vous êtes dans un lieu de culte chrétien …

Et ces chrétiens ils ont élaboré un livre saint, le « Nouveau Testament ». Ce livre contient entre autres quatre récits des paroles et des actions de Jésus, les Evangiles.

Evangile, comme vous le savez, est un mot grec qui signifie « Bonne nouvelle ». La « bonne nouvelle » en question c’est l’annonce de la Grâce – je vous l’ai rappelé au tout début du culte. C’est le point de départ de notre liturgie.

Mais ces quatre récits se concluent, avant la Résurrection, par un moment fort, la mort de Jésus sur la Croix. Où peut-on voir là une « bonne nouvelle » ? C’est ce que nous allons essayer de voir.

LA CRUCIFIXION

Il n’a jamais été prétendu que Jésus serait immortel. Même incarnation de Dieu (si l’on croit à cette conception), il est clair que l’enveloppe charnelle devait un jour disparaître.

Mais il a été crucifié, jeune, au cours de son « ministère terrestre ». Et la crucifixion, ce n’est pas une mince affaire.

La crucifixion est d’abord une mort « infamante », réservée aux scélérats, aux « gens qui ne sont rien ». Spartacus et ses esclaves révoltés ont fini ainsi crucifiés environ 100 ans plus tôt (71 av. JC)

Et c’est une mort atroce, longue et douloureuse. Le supplicié meurt de suffocation. La position des bras l’empêche de respirer. Il se hausse sur les pieds pour ouvrir ses poumons, mais ses pieds sont cloués, et la douleur l’empêche de tenir longtemps cette position. Il redescend, suffoque … et ainsi de suite des heures, voire des jours durant.

Jésus a dû mourir assez vite, car Jean nous rapporte que lorsqu’on a voulu abréger les souffrances (enfin, augmenter et abréger …) des trois crucifiés, car la Pâque approchait, on a brisé les jambes des deux brigands (dans ce cas-là, le condamné suffoque, souffre plus et meurt plus vite), c’était une époque rude. Mais Jean nous dit que Jésus était déjà mort, et on ne lui a pas brisé les jambes.

Les Evangiles sont moins explicites sur ce déroulement. A l’époque, tout le monde était au courant de ces détails atroces. On n’avait pas besoin de Mel Gibson et de son film « La Passion du Christ »…

Je me suis permis de décrire ce processus pour souligner le caractère exceptionnel, choquant de la mort de Jésus. Il n’est pas mort dans son lit, entouré de l’affection des siens à 100 ans comme … Danielle Darrieux.

Ce fait dramatique est peut-être le seul fait avéré concernant le Jésus « historique ». Il a été crucifié vers l’an 30, sur ordre de Ponce Pilate. On en est sûr. Le reste, date et lieu de naissance, paroles, miracles, etc. est sujet à discussions.

Les historiens expliquent en quoi Jésus gênait les occupants romains et les autorités du Temple de Jérusalem.

Mais, nous, quel sens plus théologique pouvons-nous donner à cette très « mauvaise nouvelle » ? A cette victoire de la méchanceté des hommes qui ont voulu faire taire la voix du porteur de la bonne nouvelle ?

En quoi Jésus est-il « mort pour nous », comme dit notamment Paul dans ses Epîtres ?

Plusieurs interprétations ont été données évidemment depuis 2.000 ans. Voyons en quelques-unes en deux temps, en commençant par les plus classiques – et les moins convainquantes.

LES ANALYSES TRADITIONNELLES

La première – qui connut un grand succès, et subsiste encore – est celle du sacrifice pour racheter l’humanité aux yeux de Dieu. Il faut à Dieu une compensation pour tous les péchés des hommes; il faut que les pécheurs paient le prix du sang. Et Jésus paie ce prix pour nous sauver en mourant à notre place. Sa vie ayant une valeur infinie, le prix payé est lui-même infini et suffit à sauver tous les hommes. Dieu est ainsi satisfait par la mort de son fils et sa colère est apaisée. On en trouve trace dans la liturgie, dans certains cantiques (Dans « Minuit chrétien » : et de son père arrêter le courroux). C’est aussi le thème du beau film « Barabbas » avec Anthony Quinn, dans lequel Barabbas cherche à savoir qui est ce Jésus « mort à sa place ».

Disons-le, c’est inacceptable ! Le pasteur Marchal qui a longtemps prêché à la place où je suis, disait : « Un Dieu qui se comporterait ainsi ne mériterait même pas le titre d’honnête homme ». Si Dieu veut nous sauver, il n’a pas besoin de cette rançon sanglante. Il le fait par amour pour nous. C’est la Grâce ! Et grâce signifie que c’est gratuit, sans échange, sans rançon, sans sacrifice.

On trouverait sans doute dans la Bible quelques rares arguments de texte soutenant cette analyse. Elle contredit pourtant un passage bien connu de la Genèse : Dieu arrête le bras d’Abraham lorsqu’il s’apprête à immoler son fils Isaac. Dieu peut-il faire ce qu’il a empêché Abraham d’accomplir ?

Un peu plus raisonnable, ou textuellement fondée, il y a la théorie du « bouc émissaire ». Jésus, « Agneau de Dieu », ôte les péchés du monde et les emporte dans la tombe. C’est un peu la même chose. Mais, Esaïe et Jean ne disent pas que l' »Agneau de Dieu » « ôte » les péchés, ils disent qu’il les « porte ». Jésus a supporté la méchanceté et la bêtise du monde pour accomplir son ministère, il les a subies. Il ne les a pas « ôtées ».

Autre explication : la mort de Jésus en soi n’a pas de sens. Elle ne se comprend que par la Résurrection. D’un mal, une erreur judiciaire, Dieu a fait un bien (comme dans les mésaventures de Joseph, livré en esclavage par ses frères et devenu Vizir de Pharaon, à la fin de la Genèse). Nous ne serions alors pas sauvés « par » sa mort mais malgré elle.

Toutefois, Jésus est bel et bien mort, dans un premier temps. Faut-il admettre que son supplice n’est qu’un épisode un peu malheureux, un accident, ou pire une action voulue par Dieu pour qu’il puisse l’effacer par la Résurrection ? Et l’on revient à cette vision inacceptable d’un Dieu jouant cruellement avec les hommes et avec son « fils unique » pour démontrer son pouvoir.

VISIONS POSITIVES

La mort de Jésus peut être aussi un témoignage d’amour – d’amour pour nous. Lors du procès, face à Pilate, Jésus ne se défend pas, ou mal. « Tu es donc roi ? » demande le procurateur, et Jésus de répondre : « C’est toi qui le dis, je suis roi ». Je vous déconseille ce système de défense devant un Tribunal correctionnel.

Il y a donc bien là un sacrifice. Jésus accepte sa condamnation. Mais ce n’est pas un sacrifice pour acheter le pardon de Dieu. C’est un sacrifice qui nous est offert à nous, pour nous convaincre.

Jésus savait qu’il devait affronter la méchanceté du monde. Et il l’a accepté pour accomplir son destin jusqu’au bout, sans se renier, sans renier sa foi, sa mission. Il est un exemple. Il aurait pu mentir devant Pilate, dire qu’il n’avait aucune ambition royale. Bien sûr, sa « royauté n’est pas de ce monde », mais la nuance a échappé à Ponce Pilate. Et Jésus a eu raison de ne pas mentir. Sans sa mort, son message nous serait-il parvenu ?

Il y a aussi une interprétation que l’on pourrait dire « psychologique ». En acceptant le supplice, Jésus met en pratique son Evangile. Il nous a appris qu’il y avait plus que la vie physique et le confort matériel. Ne disait-il pas : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme » (Mt 6/25). Au-delà du corps, il y a une part de nous, éternelle peut-être, en tous cas supérieure. L’essentiel c’est d’aimer, donner, servir. Nous pouvons donc donner notre vie pour les autres. Jésus a dû choisir entre sa vie et le sens de sa vie. Il a choisi le sens, appliquant son enseignement et donc le validant à nos yeux. En connaissons-nous des gens qui prêchent une chose et font le contraire !

Il y a encore ce que l’on appelle la « théologie de la Croix ». Dieu s’incarne en Jésus et descend parmi les hommes, jusqu’à subir l’ignominie et la torture. C’est une vision de Dieu pleine d’humilité. Dieu vient partager nos souffrances.

Elie Wiesel rapporte une anecdote en ce sens qu’il a vécue dans un camp de concentration : les prisonniers assistent à la pendaison de trois condamnés, dont un enfant, qui mettra plusieurs heures à mourir. Derrière Wiesel, une voix se fait entendre : « Où donc est ton Dieu ?  » L’auteur continue : « Je sentais en moi une voix qui répondait : Il est ici, suspendu à cette potence ».

CONCLUSION

Au terme de ce « catalogue », je voudrais d’abord faire une remarque personnelle. Lorsque j’ai repris la pratique régulière du culte dominical en cette maison, il y a une vingtaine d’années je cherchais sans doute des réponses (naïf que j’étais ! Ici pas de réponses toutes faites, pas de dogmes stériles !) Et j’ai trouvé à la place, mieux que des réponses … des questions.

Et je vous en ai posé une ce matin : En quoi Jésus est-il mort pour nous ? Je vous ai exposé quelques réponses, variables en qualités … Il me semble toutefois qu’elles tournent toutes, même les plus abracadrabantesques, autour de l’idée de l’amour de Dieu pour nous, ses créatures, et de Jésus pour nous ses frères et ses soeurs. Cet amour est absolu, inconditionnel, gratuit. Forcément, puisque cela vient de Dieu. Et cela, c’est une Bonne Nouvelle !

Mais cet amour de Dieu qu’en faisons-nous ? Il faut que nous le transmettions, le reportions envers notre prochain, tous nos prochains, même ceux qui paraissent ne pas le mériter, ou ne le méritent en effet pas, et le transmettre tel quel, tel que nous l’avons reçu, absolu, inconditionnel, gratuit. Car Dieu n’intervient pas directement dans les affaires des hommes. Mais, nous ne sommes pas aussi forts que Dieu ni que Jésus. Aimez vos ennemis, nous disait-il ! Un tel amour exige de nous un effort. Mais si nous y arrivons, ne serait-ce qu’un moment, ce sera une bonne, une excellente, une merveilleuse nouvelle.

Amen

Chants : Psaume 25, 1,2 et 3, C. 266, Ps 47