Prédication du 30 décembre 2018

de Didier You

Le Diable

Lectures : Job 1, 1-12 ; Lc 4, 1-13 ; Mt 16, 21-23 ; 1 Jn 3, 1-12 (texte du jour)

 

Introduction

Le dimanche, dans ce temple bâti à cet effet, nous parlons de Dieu, de Jésus, de l’Homme et de leurs rapports. Aujourd’hui pour changer, je vais vous parler du Diable. C’est un personnage important, qui apparaît souvent dans les Écritures. Je vous ai lu quelques-unes de ses interventions.

Je dis « le Diable », car c’est son nom le plus connu. Mais en réalité, il a plusieurs  noms, surnoms ou sobriquets. Dans un premier temps, je vous propose de passer en revue quelques-uns de ces noms, afin d’en cerner les significations, pour ensuite définir et circonscrire le Diable.

Les noms du Diable

Au début, il y a le Mal. C’est un concept philosophique, moral, métaphysique. Et on l’a personnalisé : le Malin, avec un M majuscule.

Le poète Clément Marot, dans sa traduction du Notre Père, ne termine pas par « Délivre-nous du mal », mais par « Du Malin cauteleux et subtil, délivre-nous Ô Père ».

Notez « cauteleux et subtil ».

Dans le langage courant, « malin », sans majuscule, est presque un compliment. Je dis presque, car il subsiste une connotation sournoise et hypocrite. Ça, c’est malin, Petit malin …

Et puis il y a bien sûr Satan ! C’est son « état civil » officiel. C’est le nom sous lequel il est le plus cité dans les Écritures. Les linguistes nous apprennent que, environ avant le Vème siècle avant notre ère, lors de l’exil du peuple juif à Babylone, « Satan » était encore un nom commun signifiant « adversaire, accusateur … procureur ». Satan c’est l’adversaire du genre humain. C’est lui qui obtient de Dieu la permission de faire pleuvoir toutes sortes de calamités sur ce pauvre Job. C’est lui qui entre dans Judas pour le pousser à livrer le Fils de l’Homme. C’est lui qui a mis une mystérieuse écharde dans le corps de Paul comme il le dit lui-même (2 Corinthiens).

C’est aussi l’accusateur qui accuse Josué devant l’Ange (Zacharie).

Au IIIème siècle avant JC, 72 scribes se sont réunis à Alexandrie pour traduire la Bible (hébraïque) en grec. Et le mot « Satan », ils l’ont traduit par un mot grec, « Diabolos », le Diable. C’est un peu différent : Diabolos c’est celui qui divise, qui sépare. Nous avons joué enfants au « diabolo », cet objet en deux parties.

Et ainsi le Diable sépare par exemple Jésus du fidèle Pierre, induisant celui-ci à demander à Jésus de renoncer à sa mort à Jérusalem. D’où la répartie célèbre de Jésus: « Arrière Satan », « Vade retro Satanas ». Un peu plus tard, Pierre va renier Jésus trois fois, se séparant ainsi une fois de plus du Sauveur.

Autre nom ou surnom, le Tentateur. Il tente Jésus au désert, lui offrant richesse et pouvoir ; il tente aussi Jésus par l’entremise de Pierre dans le même passage. Vous avez noté qu’après la tentation au désert, le Diable ne s’avoue pas vaincu. Il est revenu à la charge. Cette tentation, elle apparaît aussi dans le Notre Père. C’est dire son importance.

Mentionnons aussi Lucifer. Lucifer à l’origine, c’est un ange, c’est celui qui porte la lumière. Le nom n’est pas dans la Bible, mais c’est une allusion aux mentions dans la Bible des anges déchus qui se sont rebellés contre Dieu.

Et il y a le Démon. Les démons, ce sont des « demonios », c’est à dire des divinités. La Bible en fait des êtres maléfiques au service du Malin, un peu l’équivalent négatif des anges. Pensez à Milou face à une flaque qui a coulé du sac du Capitaine Haddock. Un Milou vêtu de bleu ciel apparaît : « C’est du whisky, misérable créature, de l’alcool qui ravale la bête au rang de l’homme ». Et apparaît un Milou rouge : « C’est bon l’alcool, ça donne du cœur au ventre ».

Les démons sont innombrables, Jésus les chasse par « légions ». Il y a le démon de la chair, le démon du jeu, le démon de midi… Certains ont des noms : Mephistophélès, dans la légende de Faust, Belzébuth, déformation du nom d’un Dieu païen de l’Antiquité.

Et ils ont donc un maître … le Démon par excellence.

Caractéristiques

Le Diable, je conserve cette appellation, a donc plusieurs « qualités ».

Il est intelligent (malin). C’est ce qui le rend puissant et dangereux. Toute intelligence n’est pas diabolique bien sûr. Mais son intelligence est « cauteleuse », hypocrite, fausse. Elle a l’apparence d’une rationalité parfaite, mais elle est dépourvue de la moindre spiritualité, du moindre amour. Elle est froide, calculatrice.

C’est l’adversaire, l’accusateur : Il ne voit que la paille dans l’œil. Il caricature à nos yeux nos prochains pour que nous en ayons peur, que nous les méprisions, les haïssions. C’est l’inverse du commandement de Jésus. Le Diable ne veut pas que nous aimions notre prochain.

Et il nous en sépare. Il fait croire que les différences de couleur de peau, de religion, d’opinions politiques, de patries, sont des différences insurmontables. Il cause ainsi l’esclavage, les guerres, les massacres, les génocides. Et de la sorte, il nous sépare de Dieu. Ce sont peut-être des banalités, mais il faut hélas les rappeler encore.

Il est séducteur, le Tentateur. L’imagerie médiévale nous montre une créature à moitié animale : velue, avec des cornes, des crocs, des griffes, une longue queue, des pieds fourchus. Mais c’est un contre sens. Comment un tel monstre pourrait-il séduire et réussir à nous tenter et nous convaincre de le suivre ? Le pasteur Marchal disait qu’il voyait plutôt le Diable comme un bel homme élégant et séduisant. Il pensait peut-être au film de René Clair, « La Beauté du Diable », justement, adaptation du mythe de Faust, dans lequel Méphisto apparaît au début incarné par Gérard Philipe. Le Diable a forcément le physique d’un jeune premier romantique (ou d’une jeune première évidemment).

Et il séduit parce qu’il nous propose la facilité. C’est tellement plus facile d’abdiquer devant une intelligence apparemment supérieure, d’être égoïste, de ne pas voir en l’autre notre prochain, notre frère, mais un sale étranger, un criminel, seulement digne de notre mépris, de la prison ou de la mort. C’est tellement plus facile de tourner la tête devant une main tendue, surtout si elle est sale. Et même si c’est la main d’un enfant qui se noie en traversant la Méditerranée.

Je résume ces caractéristiques : intelligence matérialiste, haine de l’autre, tentation de la facilité et de l’égoïsme. C’est cela qu’il faut combattre.

Conclusion

Pour terminer, je vais oser affronter une question qui perturbe l’humanité depuis des siècles. Je vais essayer de faire synthétique, voire schématique. Le Diable a-t-il été créé par Dieu, ou non ?

Première réponse : Non. Il n’est ni créé ni engendré, comme diraient les « credo ». C’est le choix (en grec « hérésie ») retenu par certains groupes des premiers siècles.

Les manichéistes : pour eux, il y a deux Dieux, un bon et un mauvais, qui se disputent le monde. Pour illustrer : Robert Mitchum, prédicateur fou et criminel dans « La Nuit du Chasseur », s’est fait tatouer « Love » sur la main droite et « Hate » sur la gauche. Et il mime le combat du Bien et du Mal avec ses seules mains devant un auditoire subjugué.

Les gnosticistes : Dieu n’a pas créé le monde. Ce fut l’œuvre médiocre d’un démiurge inférieur. La tâche de l’homme est de s’extraire de ce monde raté, sordide, souillé pour aller vers le vrai Dieu de vérité et de lumière.

Ces explications ne sont pas sans mérite, sans intérêt. Mais elles frôlent quand même le polythéisme…

Je vais vous proposer une hypothèse, une simple hypothèse. Évidemment, le Diable n’existe pas. Mais le Mal existe.

Mais Dieu nous a voulus, nous a créés libres. Les Réformateurs, Luther, Calvin, réfutaient la notion de libre-arbitre. Luther parlait de « serf-arbitre », et Calvin de prédestination. A leur époque, il était peut-être impossible de concevoir la liberté existentielle.

Nous sommes des protestants « libéraux », c’est à dire qu’entre autres, nous croyons à la liberté. Nous croyons que la religion nous libère.

Mais, si le Mal n’existe pas, où est l’intérêt d’être libres. A quoi sert la liberté si il n’y  a pas de libre choix entre le Bien et le Mal ?

Ce pourquoi Dieu aurait mis en nous un « côté obscur », une petite boule de saleté, une aspiration au Mal, à l’égoïsme, afin que, usant de notre liberté, nous la combattions.

C’est encore une fois l’illustration de la phrase de Charles Wagner : « l’homme est une espérance de Dieu ». Dieu espère que nous allons vaincre cette saleté qu’il a semée en nous.

Je vous ai exposé la puissance de cette saleté, de ce « Diable ». Mais c’est une toute petite saleté, qui ne dépend que de nous, puisqu’elle est en nous. Et nous pouvons la dominer … si nous le voulons.

Amen