Prédication du 4 mars 2018

d’Henri Persoz

Libérés par la Parole

Lecture : Jean 8, 31-36

Lecture biblique

Evangile de Jean, chapitre 8, versets 31 à 36

Jésus donc dit aux juifs qui avaient cru en lui : «  Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaitrez la vérité et la vérité vous rendra libres. Ils lui répliquèrent : « Nous sommes la descendance d’Abraham et jamais personne ne nous a réduit à la servitude : comment peux-tu prétendre que nous allons devenir des hommes libres ? » Jésus leur répondit : « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui commet le péché est esclave du péché.

Prédication

Nous avons l’impression que ce texte nous parle de liberté. Il serait alors un des rares textes évangéliques à en parler. Mais ce n’est pas si simple. Une traduction plus exacte serait : Si vous demeurez dans ma Parole vous connaitrez la vérité et la vérité vous libèrera. Les juifs qui l’écoutaient lui répliquèrent aussitôt : mais nous sommes les fils d’Abraham et nous sommes donc des hommes libres. Appartenance à un peuple contre obéissance à une Parole. Voila l’un des malentendus soulevés par cette rencontre qui oppose fondamentalement Jésus aux juifs. Et pas n’importe quels juifs puisqu’il s’agit de ceux qui avaient cru en lui ; mais cela n’empêche pas les incompréhensions.

En fait les juifs parlent de liberté et Jésus de libération, ce qui ne correspond pas à la même idée. En 1945, à la libération, nous étions libérés de l’occupation allemande, mais nous n’étions pas libres pour autant. La libération consiste à mettre fin à une oppression, à une servitude ; et la liberté, consiste à pouvoir agir suivant ses propres choix, à n’être soumis à aucune autorité extérieure. La Bible parle très peu de liberté, sauf l’apôtre Paul, mais toujours de manière paradoxale, par exemple lorsqu’il écrit (I Cor 9,19) : Libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous. La liberté pour Paul, et ensuite pour Luther, consiste à être au service des autres, comme il l’écrit très clairement dans sa lettre aux Galates (5,13) : Vous frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement que cette liberté ne donne aucune prise à la chair. Par l’amour mettez-vous au service les uns des autres. Par contre les écrits bibliques parlent très souvent de libération, à commencer par celle de l’Égypte qui est l’acte fondateur du peuple d’Israël, et le commencement de la Loi : Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai libéré du pays d’Égypte. Israël existe parce qu’il est libéré. Le Dieu d’Israël existe parce qu’il est libérateur.

On est libéré de quelque chose, d’une occupation étrangère, d’un esclavage, d’une mauvaise habitude, du tabac, de la drogue, de l’alcool, du diable, du péché. C’est justement là que les juifs n’ont pas compris Jésus, bien qu’ils croyaient en lui.

Car, dit ce Jésus, pour être libéré, et être son disciple, il faut demeurer dans sa Parole. Non pas écouter, mais demeurer. Il y a dans ce mot, comme dans le verbe grec meno, l’idée d’habiter, l’idée aussi d’y être dans la durée. Il faut habiter la Parole, que celle-ci soit un lieu pour vivre, une demeure ; un endroit où l’on s’est installé, où l’on se trouve bien, où l’on se sent protégé. Ces juifs qui écoutaient Jésus et qui avaient cru en lui vont finir par se disputer très vivement avec lui dans la suite de notre texte, parce qu’il ne suffit pas de croire en Jésus, (que veut dire d’ailleurs croire en Jésus ?), il faut habiter sa Parole, vivre avec elle tous les jours, la retrouver fidèlement chaque soir et chaque matin, y avoir repris des forces la nuit pour  décider à nouveau de demeurer en elle le long de la journée qui s’annonce. Et la Parole dont parle Jésus ici, si nous suivons le grec, c’est justement le Logos, le même que celui du Prologue de Jean et qui est au commencement de l’humanité. C’est bien plus que la Parole; c’est la face de Dieu tournée vers les hommes. Elle était tournée vers Dieu, dit le prologue, elle était Dieu lui-même. Dieu a pu exister parce que les humains se parlaient, échangeaient leurs idées, leurs convictions, leurs sentiment, leurs amours et leurs haines. Dieu est arrivé dans une Parole, disait le pasteur Louis Simon. Il surgit de la Parole. Et pas n’importe laquelle puisque le Logos c’est aussi la sagesse la raison, le bon ordre du monde, bref la Parole de Dieu. Si vous demeurez dans ma sagesse, pourrait-on traduire.

Donc, cette Parole libère ceux qui l’habitent. Mais de quelle libération s’agit-il ? Jésus le précise lui-même dans ce dialogue animé : « Celui qui commet le péché est esclave du péché » Il s’agit donc d’être libéré du péché. Ah ! le péché ! Il traverse toute la Bible et toute la religion chrétienne ; et nous confessons notre statut de pécheur chaque dimanche  pour nous faire pardonner; et le dimanche suivant il faut recommencer. Parce que l’humain est insatisfait de lui-même, toujours insatisfait. Il est devant une faillite morale, de lui-même, de son entourage et aussi de l’humanité entière, et nous le voyons bien aujourd’hui. Et ceci est une de ses principales angoisses. L’apôtre Paul lui-même, qui se pose souvent en exemple, avoue dans sa lettre aux Romains (8,18): Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais.

Notre nature humaine est ainsi faite que nous ne parvenons pas à nous défaire de nos prétentions, de nos égoïsmes, de nos vanités, de nos orgueils. Paul, et à sa suite l’Eglise, ont dit que c’était la faute au péché originel, mais cela ne résout rien. Comment en sortir ? Comment se libérer de cet esclavage ? Malheureux homme que je suis, écrit encore Paul, qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ?

Ici Jésus donne sa solution : la libération par la pratique de sa Parole. Cette parole qui invite à table les pauvres, les estropiés, les boiteux, tous ceux qui ne peuvent rien rendre parce qu’ils n’ont rien. Cette parole du Sermon sur la montagne qui invite à aimer ses ennemis et à prier pour eux. Cette Parole qui recommande de se faire tout petit comme un enfant, de se considérer comme le dernier, comme celui qui doit servir et non pas qui doit être servi, qui s’occupe du blessé sur la route et l’emmène à l’hôtel sur sa monture. Cette parole de Pierre devant un infime qui se tenait à la porte du temple : De l’or ou de l’argent je n’en ai pas, mais ce que j’ai je te le donne. Voilà la Parole de vérité qui nous libère de nos insatisfactions. Parce qu’elle nous fait sortir de nous-mêmes, de nos petits problèmes, de nos petits péchés.

Qu’est-ce que le péché dans la tradition hébraïque ? C’est le fait de ne pas suivre la Loi de Dieu qui explique comment considérer son prochain, comment être en bonne relation avec son entourage. Et à la fin du décalogue le Deutéronome écrit (6,24) : Le Seigneur nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le Seigneur notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours et qu’il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd’hui.

Autrement dit, si le Seigneur Dieu prescrit ces lois, ce n’est pas pour son propre intérêt, mais pour le nôtre, pour que nous soyons heureux, libérés dirait l’évangéliste Jean ; le seul intérêt de Dieu, c’est le bonheur de l’humanité. Et c’est pourquoi il prescrit sa Loi. Et les prophètes enseignent que celui qui prétend se construire lui-même, indépendamment de Dieu, le fait aux dépens d’autrui, notamment des petits et des faibles.

Jésus est bien dans cette continuité mais sa loi est à la fois plus exigeante et moins tatillonne. Vous avez appris qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Mais aussi, le Sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Sabbat. Nous sommes libérés de nous-mêmes, de nos péchés, si nous habitons cette Parole de Dieu révélée à nouveau par Jésus, qui nous porte vers les autres. Voilà la vérité. Comme le dit d’ailleurs l’évangéliste Jean un peu plus loin, dans la bouche de Jésus : si quelqu’un m’aime : il observe ma Parole. Aimer Jésus, c’est mettre en pratique sa Parole .

Alors, direz-vous, nous n’avons aucune certitude que Jésus ait effectivement prononcé toutes ces paroles, d’ailleurs elles diffèrent d’un évangile à l’autre et l’on sait bien qu’elles ont été écrites plusieurs dizaines d’années après la mort de Jésus. Nous n’avons aucune garantie sur leur authenticité.

Cela n’est pas si grave. Nous sommes libérés par la force de cette parole évangélique qui nous est transmise par les écritures et pas directement par ce Jésus que nous ne connaissons pas vraiment et dont nous ne savons pas exactement ce qu’il a dit. Nous comprenons bien que, en fin de compte, c’est la Parole qui fait le Christ parce qu’elle le précède. Elle était au commencement comme dit le Prologue. L’idée que nous nous faisons du Christ procède de cette Parole. A la limite elle est plus importante que Jésus lui-même qui, historiquement, est perdu dans l’épaisseur des siècles.

Et voici comment se termine le Prologue : Personne n’a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. ET comment nous l’a-t-il dévoilé ? Par cette Parole qui est venue jusqu’à nous, hommes et femmes du 21ème siècle, qui a traversé l’Histoire et nous libère de nos tourments et de nos péchés, nous poussant à aller à aller regarder plutôt les tourments des autres qui sont autrement plus graves que les nôtres.

Amen