Prédication du 30 septembre 2018

Culte de rentrée

de Catherine Axelrad

Portons les fardeaux les uns des autres

Ce matin, pour notre première séance de KT, nous avons étudié les trois lectures bibliques que vous allez entendre : le psaume 121, un passage du livre de l’Exode et un extrait de la lettre de Paul aux Galates. Bien sûr, ces lectures n’ont pas été choisies au hasard : nous savons que pour vivre, pour vivre ensemble, pour vivre ensemble en communauté, en église, et pour faire vivre et grandir notre église, nous avons besoin de beaucoup de confiance, de fraternité et de courage. Et nous savons aussi que la confiance, la fraternité et le courage, c’est souvent ce qui nous manque le plus. Mais ce que ces textes nous disent, c’est que Dieu a confiance en nous, et que c’est cette confiance de Dieu qui nous permet d’avancer avec fraternité et courage.

Pour chacune de ces lectures nous avons parlé de son origine : le psaume 121 fait partie de cet ensemble qu’on appelle « les  psaumes des montées » – ce sont les prières qui étaient chantés au moment des départs en pèlerinage à Jérusalem, pendant le trajet et aussi à l’arrivée. Celui qu’on va entendre était probablement chanté au moment du départ. Le texte de l’Exode nous montre comment Moïse donne courage à l’armée des fils d’Israël pendant une bataille, mais il nous montre surtout que Moïse non plus ne peut rien réussir tout seul, qu’il a besoin d’aide pour cette œuvre d’encouragement.  Et dans la lettre de Paul aux Galates nous allons entendre une autre forme d’encouragement, un encouragement à la vie fraternelle et communautaire où les désirs individuels, les petites vanités de chacun peuvent laisser place à une véritable générosité.

Quand on entend ces trois textes l’un après l’autre, on entend l’histoire d’une évolution, d’un changement – et même de plusieurs changements. On passe de l’appel à l’aide individuel d’une seule personne «  d’où me viendra le secours » à l’encouragement de tout un peuple, pour arriver avec Paul à la recherche commune du bien de tous « oeuvrons pour le bien de tous  en portant les fardeaux les uns des autres ».

Regardons d’abord le psaume – Les psaumes dans l’AT c’est le moment où on peut parler à Dieu à la première personne du singulier, en disant JE. Pas toujours – on trouve aussi beaucoup de  nous- mais souvent, en particulier ici. C’est une des raisons pour lesquelles je crois que nous aimons lire, dire ou chanter les psaumes – en lisant un psaume je dis je, moi aussi, mais je le dis avec les mots de générations et de générations de chercheurs de Dieu, et donc dans ma recherche d’une forme de proximité avec « cela qu’on appelle Dieu », je m’approprie les paroles de toutes ces générations, je les assume – ce n’est pas toujours facile, de nombreux psaumes sont très violents – et d’une manière ou d’une autre ces paroles nourrissent ma propre recherche. Le psaume que nous venons d’entendre exprime une inquiétude individuelle au moment du départ «  d’où me viendra le secours ? » mais voilà que la réponse arrive par une autre voix – d’abord une voix intérieure  : le secours me vient du Seigneur – un peu comme si le psalmiste parlait tout seul – et très vite on passe à la deuxième personne, quelqu’un d’autre lui répond : « le Seigneur te gardera de tout mal, il gardera ta vie » : non seulement le pèlerin a obtenu une réponse, mais vous l’avez sans doute remarqué, c’est une réponse qui lui rappelle qu’il fait partie de tout un peuple, puisque celui qui va veiller sur lui, c’est celui qui ne sommeille ni ne dort jamais, c’est rien de moins que le gardien d’Israël.  Et donc si on imagine que ce psaume était chanté par plusieurs personnes ensemble au moment du départ, c’était déjà un acte communautaire ; dans le même temps où chacun ressentait l’angoisse en son fort intérieur, dans le même temps chacun rassurait son voisin en lui disant d’avoir confiance parce que le Seigneur était là pour tous.

Dans le cas de Moïse c’est encore plus évident – j’ai remarqué que dès qu’on parle de cette histoire les gens commencent à sourire, « ah oui, les bras de Moïse » ! Mais pourquoi est-ce qu’on aime tellement ce texte ? Beaucoup de biblistes pensent que ce texte a été écrit par au moins deux personnes : une première qui a juste raconté l’histoire de Moïse et Josué, Josué qui se bat dans la vallée pendant que Moïse debout sur la colline lève son bâton vers le ciel – le même bâton dont il est question depuis le début, celui qui s’est transformé en serpent devant Pharaon, celui avec lequel il a frappé la mer pour qu’elle s’ouvre et le rocher pour qu’il donne de l’eau. Et une deuxième personne qui voulait redonner de l’importance aux prêtres et qui a donc rajouté Aaron et Hour – Aaron vous le savez c’est le frère de Moïse, quant à Hour on ne sait pas très bien, ce serait d’après certains commentaires juifs le mari de sa sœur Mariam – donc le beau-frère de Moïse.  C’est sans doute pour cela, parce que le texte a été rédigé par des personnes différentes, peut-être à des époques différentes, qu’à certains endroits on parle de LA main de Moïse –la main qui tient le bâton-, et à d’autres de SES mains, levées dans une attitude d’invocation. ça change quand même un peu la perspective, parce que d’habitude on a Moïse comme chef, avec Josué qui va prendre la suite, et pour une fois il s’agit d’une action collective (et en plus elle améliore un peu l’image du pauvre Aaron, parce que depuis l’épisode du veau d’or il n’avait plus vraiment la cote, et là, au contraire, il a un rôle très positif). Et alors dans les Targoums – les traductions de l’Ancien testament en araméen, avec des additions et des commentaires-  il y a aussi beaucoup de discussions sur cette scène, en particulier sur le fameux bâton – mais alors, si Moïse avait les deux mains levées,  quelle main tenait le bâton ? Et bien comme Moïse avait les deux bras levés, quand il avait mal à la main droite, il pouvait faire passer le bâton dans la main gauche. C’est une histoire qui nous fait sourire et qui nous plaît parce qu’elle a un peu l’air d’une fable, presque une parabole – et d’une certaine manière c’en est une : si on la creuse un peu elle est très profonde. Elle montre non seulement que nous avons besoin les uns des autres pour nous encourager, mais que l’action encourageante de Dieu – représentée ici par l’intermédiaire du bâton- cette action ne peut être ressentie par les humains que s’ils unissent leurs efforts et se soutiennent les uns les autres. Non seulement l’encouragement de Dieu s’adresse à tous, mais pour qu’il soit efficace, Dieu a besoin que les humains s’unissent et s’entraident. Dieu a besoin de nous pour agir. Nous le savons tous, mais il n’est pas forcément inutile d’y réfléchir aujourd’hui, en ce culte de rentrée, précisément pour les raisons que Paul explique aux Galates – et pourtant, dans sa lettre aux Galates Paul n’est pas particulièrement bienveillant – en fait, le passage que  nous a lu est à peu près le seul où il n’est pas en train de leur faire des reproches. Là aussi, il leur en fait, mais discrètement, en leur disant simplement de s’examiner eux-mêmes au lieu de commencer par critiquer les autres. Ce n’est pas pour rien qu’il commence en les appelant « Frères », pour les ramener à l’essentiel ; et il les encourage, parce qu’il se rend compte que leur vie en église n’est pas toujours facile. Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi du Christ. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire – d’abord on n’a pas toujours envie de raconter ses malheurs à tout le monde, même en église, et puis quand quelqu’un vous les raconte, on se sent souvent à la fois compatissant et complètement désarmé. Mais c’est quelquefois l’occasion de jeter le masque, de vaincre sa pudeur, de ne pas craindre de se mettre en danger, pour se libérer d’un peu de tristesse d’une part, et pour offrir à quelqu’un une manifestation de fraternité très ordinaire, souvent un simple geste – et ces occasions-là nous ne devons pas les laisser passer.  Mais il faut bien le reconnaître, quelquefois, pour nous, les fardeaux se vivent aussi en église, et c’est peut-être de ceux-là que Paul parle avant tout. Pour ceux qui ont des responsabilités en église, bien sûr il y a d’abord et avant tout la joie dans le service – la joie de répondre, comme nous le pouvons, au pressant appel qui nous habite – et dans ce service les difficultés ne sont pas des obstacles, elles en font partie – mais il y a aussi les exigences de la vie avec lesquelles il faut composer, et surtout ce sentiment de solitude qu’on découvre dès qu’on accepte une responsabilité, ce sentiment que beaucoup d’entre vous connaissent,  ce sentiment qui nous oblige à accepter nos limites – le sentiment que Dieu a besoin de nous –même si bien sûr nous savons que nous n’en ferons jamais assez- le sentiment d’une responsabilité qui nous dépasse et que donc, comme dans le psaume, nous pouvons lui remettre avec confiance, au départ et au retour.  Nous sommes tous appelés à accueillir ce sentiment, à le laisser agir en nous et à y répondre comme nous le pouvons, sans complaisance mais en acceptant nos difficultés et nos limites – et j’en profite pour exprimer ma profonde reconnaissance à celles et ceux d’entre vous qui ont déjà permis à cette année de transition de démarrer de manière dynamique et encourageante. Voilà, je vous ai proposé ces lectures pour ce culte de rentrée car il m’a semblé qu’elles pouvaient nous éclairer sur ce qui est attendu de nous et la manière dont nous pouvons y répondre. Dans notre monde où les efforts sont moins valorisés que la réussite, il s’agit tout simplement d’inverser nos valeurs ; il s’agit de persévérer, avec lucidité et sans complaisance envers nous-mêmes, mais avec bienveillance envers les autres et toujours avec confiance.

Amen