Prédication du 28 septembre 2025

de Matthias Benabdellah

Lecture biblique

1 Corinthiens 15, 1-15

1 Je vous confirme, mes frères, la bonne nouvelle que je vous ai annoncée, celle que vous avez reçue, dans laquelle vous vous tenez 
2 et par laquelle aussi vous êtes sur la voie du salut, si vous la retenez dans les termes où je vous l’ai annoncée ; autrement, c’est pour rien que vous seriez venus à la foi.
3 Je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures. 
4 Il a été enseveli, il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures. 
5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. 
6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois : la plupart d’entre eux sont demeurés en vie, quelques-uns se sont endormis dans la mort. 
7 Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. 
8 Après eux tous, il m’est apparu, à moi aussi, comme à un avorton.
9 Moi, en effet, je suis le moindre des apôtres ; c’est même trop d’honneur pour moi que d’être appelé apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu. 
10 Mais par la grâce de Dieu je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a pas été inutile ; au contraire, j’ai travaillé plus qu’eux tous ; non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. 
11 Ainsi donc, que ce soit moi, que ce soient eux, telle est notre proclamation et telle est la foi à laquelle vous êtes venus.

12 Or si l’on proclame que le Christ s’est réveillé d’entre les morts, comment quelques-uns d’entre vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? 
13 S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus ne s’est pas réveillé. 
14 Et si le Christ ne s’est pas réveillé, alors notre proclamation est inutile, et votre foi aussi est inutile. 
15 Nous apparaissons même comme de faux témoins de Dieu, puisque nous avons témoigné contre Dieu qu’il a réveillé le Christ, alors qu’il ne l’a pas réveillé, s’il est vrai que les morts ne se réveillent pas.

Prédication

Paul est un apôtre assez particulier. À vrai dire, son parcours peut laisser perplexe. C’était un bon juif, un bon pharisien, ayant bénéficié d’une solide éducation grecque. Il était même citoyen romain, privilège rare à l’époque… Paul était bien vu et bien considéré par ses pairs, il semblait avoir devant lui un chemin bien tracé, clair et ordonné. Et pourtant, il s’est curieusement jeté dans la voie balbutiante, hasardeuse et inconfortable du christianisme naissant, qui n’était à ce moment qu’mouvance ultra-minoritaire du judaïsme pluriel de l’époque.
Non. Paul n’a pas choisi la facilité en suivant le chemin du rabbin galiléen crucifié que ses disciples disaient être le messie tant attendu, le « Christ ». Mais il n’en est pas resté là. Il a choisi une spécialité pour le moins ingrate ; être l’apôtre des Gentils, c’est-à-dire de se charger de la prédication pour les non-juifs. On ne peut qu’admirer le beau « challenge » que Paul relève ainsi. Aller expliquer aux Grecs, pour qui le monde est éternel et sans commencement, pour qui le corps matériel est « le tombeau de l’âme » selon la vision platonicienne répandue à l’époque, que Dieu est intervenu dans le monde terrestre dans la personne d’un charpentier juif de Palestine, et que ce juif, après le supplice le plus infamant de l’époque, s’est « réveillé » après sa mort.

Mais que dit réellement Paul dans le passage que nous venons de lire à propos de la résurrection de Jésus ? Si on veut synthétiser, son argumentation semble tenir en deux points.

Premièrement, il cite ce qui semble être une confession de foi de l’Église primitive, qu’il dit lui-même avoir reçue : « Christ est mort pour nos fautes, selon les Écritures. Il a été enseveli, il s’est réveillé le troisième jour, selon les Écritures ».

On peut dire que Paul utilise ici un argument d’autorité, en l’occurrence d’autorité scripturaire. En faisant un gros raccourci, ce que nous dit Paul, c’est que la résurrection est annoncée dans les écritures. Et les questions des êtres rationnels que nous somme peuvent se bousculer: « Christ est mort et réveillé, mais comment ? De manière réelle ? ou bin métaphorique ? Selon les écritures, mais quelles écritures ? Peut-on citer le passage en question ? »
Paul répond-il à ces questions qui peuvent paraître légitimes ? Non ! Sans considération pour nos regards perplexes, il enchaîne sur le second point de son argumentation : Jésus, « réveillé », est apparu à Céphas (c’est-à-dire à Pierre), puis au douze, puis à plus de cinq cents frères, puis à d’autres apôtres, puis à Paul lui-même, l’ancien persécuteur devenu apôtre.
Nous restons ici également, à première vue, dans le cadre de l’argument d’autorité. Christ s’est réveillé, parce qu’il est apparu aux grandes figures de l’Église primitive, dont une partie selon Paul pouvait encore le confirmer (à l’époque peut-être, mais pour nous, plus vraiment).
Est-ce donc tout ? L’argumentation pour la résurrection, la pierre angulaire de la foi chrétienne, ne tient donc pour Paul qu’en ces arguments qui peuvent paraître aujourd’hui bien faibles ?

Essayons cependant de reprendre les arguments de Paul pour une analyse plus poussée.
L’argument de la prophétie scripturaire, « selon les écritures » comme Paul le déclare, est un argument qui provient d’une longue tradition. N’oublions pas que le judaïsme de l’époque, où le christianisme prend naissance, est un monde où les écritures saintes étaient non seulement au centre de ce que nous appelons aujourd’hui « la vie religieuse », mais au centre même de toute action individuelle ou collective. Pour les juifs, les écritures étaient partout. Pas forcément sous forme écrite d’ailleurs, mais du moins sous forme orale, ou sous forme de mémoire. « Que ce livre de la Loi ne s’éloigne point de ta bouche » comme le rappelle le livre de Josué. Il est donc tout à fait normal que les premiers chrétiens aient cherché dans les écritures, ces précieuses et omniprésentes écritures, des signes annonçant le parcours de Jésus et sa résurrection.  Nous serions cependant bien en peine de trouver dans la bible hébraïque des passages citant explicitement l’itinéraire messianique de Jésus, et encore moins sa résurrection.

Mais est-ce bien là le fond du message de ces fameuses écritures ? Est-ce vraiment le récit historique des événements de la vie de Jésus, de sa crucifixion et de sa résurrection qu’y cherchaient Paul et les premiers chrétiens ?
N’y cherchent-ils pas plutôt le visage du Dieu de l’espoir ? Du Dieu de la confiance ? Du Dieu qui ne s’avoue pas vaincu ? Du Dieu qui ne se lasse pas, du socle ferme inébranlable qui demeure debout malgré les échecs apparents ?
N’y cherchent-ils pas le Dieu qui fait renaître l’espoir dans le cœur des affligés, de ceux qui ont perdu tout espoir ? de ceux qui ont vu la mise à mort du messie d’Israël ?
N’y cherchent-ils pas le Dieu qui a ressuscité Jésus, mais qui a aussi ressuscité Pierre, Paul, les douze, tous les apôtres, et qui ressuscite de manière similaire tous ceux qui entendent son message ?

C’est dans ces fameuses écritures dont parle Paul que nous pouvons lire dans le livre d’Esaïe (41,8-10) :
« Et toi Israël, mon serviteur,
Jacob que j’ai choisi,
descendance d’Abraham mon bien-aimé.
Toi que j’ai tiré des extrémités de la terre,
Toi que j’ai appelé de ses frontières les plus lointaines,
Toi à qui j’ai dit :
« Tu es mon serviteur
Je te choisis, je ne te rejette pas.
N’aie pas peur, puisque je suis avec toi.
Ne panique pas, puisque je suis ton Dieu.
Je te fortifie, je te soutiens, je te tiens, dans ma justice la plus forte. »
C’est encore dans ces écritures que nous pouvons lire le magnifique poème qui conclut le récit du déluge, et dans lequel Dieu s’engage éternellement (Gn 8,22)  :
« Tant que la terre aura de jours,
la semaille et la moisson,
le froid et la chaleur,
l’été et l’hiver,
le jour et la nuit
ne cesseront pas. »

C’est selon ce message de confiance, selon cette promesse éternelle d’Emmanuel, îmma nou El, Dieu est avec nous, que Jésus a ressuscité, et a promis de demeurer avec nous jusqu’à la fin des temps.

Est-ce que tout cela suffit pour nous rendre l’événement de la résurrection compréhensible, familier, acceptable ?
Pas nécessairement.
Mais n’est-ce pas le propre de l’action de Dieu d’être différente, perturbante, dérangeante par moments, extérieure à la logique du monde ?
Nous sommes tous confrontés régulièrement à cette même énigme. L’énigme du caractère incompréhensible de l’action divine. De son aspect à la fois lumineux, et mystérieux. Parfois défiant toute logique.
Il est peut-être plus sage, s’il nous est permis d’utiliser ce mot en commentant un texte de Paul, d’admettre que cet événement, que cette résurrection de Jésus-Christ, gardera toujours pour nous un caractère étranger, incompréhensible, mystérieux. Et que cette étrangeté, cette altérité, nous renvoie à celle de Dieu lui-même. Comme à celle de son Fils incarné, mort et ressuscité, et à celle de son Esprit Saint planant et agissant au milieu de nous.

Cette persistante étrangeté n’est pas un mur contre lequel vient se briser notre. Elle est plutôt une porte qui s’ouvre sur le mystère, de ce mystère qui nous saisit pour mieux nous mettre en marche, à l’image de ce que vécut Moïse devant un buisson ardent.
Au début du chapitre 3 du livre de l’Exode, Moïse, exilé à Madian depuis sa jeunesse, y a fait sa vie. Marié, avec deux enfants, devenu vieux, il y mène, à 80 ans, la carrière peu remarquable  mais tranquille d’un berger à la solde de son beau-père.
Un jour comme un autre cependant, dans les environs de la montagne Horeb, il est confronté au merveilleux, à l’inexplicable : Un buisson qui brûle sans se consumer.
Que fait-il alors ?
« Moïse dit : Je vais faire un détour pour voir ce phénomène extraordinaire. Pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ? »

On sait ce que ce petit « détour » a finir par produire, pour le peuple d’Israël et pour ceux qui se réclament de leur héritage.
Moïse, le vieux Moïse, devenu un madianite parmi d’autres, désormais mort à la foi de ses pères, à la foi d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, se serait-il beaucoup arrêté devant un  buisson qui brûlait et se consumait naturellement, selon les lois de la logique et de la rationalité ? Aurait-il fait un détour ?
Probablement pas.
Nous aussi, essayons peut-être de contempler cette part d’incompréhensible, cette part de mystérieux. quand le cynisme nous gagne, quand l’usure de la vie éteint notre joie, ou quand une épreuve nous laisse sans voix, le buisson qui brûle, mais qui ne se consume pas, nous arrête sur notre route, nous réveille de notre torpeur, nous ressuscite de notre mort. Selon les écritures.