Prédication du 9 janvier 2022

de Dominique Hernandez

Avec joie !

Lecture biblique

1 Thessaloniciens 5, 16-24

16 Réjouissez-vous toujours,
17 priez continuellement,
18 rendez grâce en toute circonstance : telle est, à votre égard, la volonté de Dieu en Jésus-Christ.
19 N’éteignez pas l’Esprit,
20 ne méprisez pas les messages de prophètes,
21 examinez tout, retenez ce qui est bien ;
22 abstenez-vous du mal sous toutes ses formes.
23 Que le Dieu de la paix vous consacre lui-même tout entiers ; que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé irréprochable pour l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ ! 
24 Celui qui vous appelle est digne de confiance : c’est lui qui le fera.

Prédication

Mais qu’est-ce que ce texte ?
Serait-ce une liste de bonnes résolutions ? de celles qu’on peut prendre au 1er janvier… et qui déjà le 9 sont oubliées ou abandonnées…
Serait-ce une liste de choses à faire, une « to do » liste à ajouter à toutes celles qui gouvernent les journées et les images qu’on voudrait donner de soi-même ?
Serait-ce une liste de directives comme un « règlement intérieur pour communauté chrétienne », ou des critères d’évaluation des « bons chrétiens » ?
Rien de tout cela !
Ou alors, serait-ce une petite comptine bien rythmée pour la retenir facilement ? 8 verbes chacun suivi d’un adverbe ou d’un bref complément
Réjouissez-vous/toujours
Priez/sans cesse
Rendez grâce/en toute circonstance
N’éteignez pas/l’Esprit
Ne méprisez pas/les messages des prophètes
Retenez/ce qui est bien
Abstenez-vous/du mal sous toutes ses formes
Nous pouvons la mémoriser ainsi, mais cela n’en donne pas le sens.

Dans cette liste, retenons particulièrement les trois premiers verbes : réjouissez-vous, priez, rendez grâce. Trois impératifs dont nous comprenons vite qu’il ne s’agit pas d’ordres auxquels obéir sans plus, car ces verbes ne peuvent donner lieu à obligations sauf à les vider de tout sens. Une joie ordonnée, une prière imposée, une action de grâce exigée ne sauraient être sincères et véritables.
De plus : Réjouissez-vous toujours, Priez sans cesse, Rendez grâce en toute circonstance, il n’y a pas de limites. Mais comment se réjouir toujours quand nous vivons dans un monde et un début d’année où s’accumulent les tragédies, les conflits, les drames, les épreuves, les angoisses. Comment prier sans cesse avec des emplois du temps tellement chargés, avec la pression de réussir les études, les objectifs, les projets ? Comment rendre grâce en toute circonstance quand nous sommes affligés de maladie, de deuil, d’échecs, de ruptures ?
L’apôtre Paul n’est pas un adepte de l’auto-suggestion, ni un coach en développement personnel. Il sait aussi très bien que la situation des chrétiens de Thessalonique est difficile car ils sont soumis à des persécutions. Et même si les Thessaloniciens attendaient le retour du Christ en gloire dans un futur imminent, ces impératifs ne sont pas caducs parce que presque 2000 ans après Paul, ce retour en gloire n’a pas eu lieu.
Réjouissez-vous, priez, rendez grâce, sans cesse, car telle est la volonté de Dieu à votre égard en Jésus-Christ : Paul n’imprime pas un sceau divin sur son message pour couper court à toute réflexion. Il est l’apôtre de la liberté, même dans cette lettre, la plus ancienne de celles qu’il a écrites et qui sont conservées.
Les exhortations de Paul sont fondées sur la bonne nouvelle, l’Évangile de Jésus le Christ, mort, et ressuscité par Dieu, et c’est dire que la volonté de Dieu en Jésus-Christ à notre égard est jaillissement, surgissement, résurrection de la vie, création et re-création de vie pour les vivants. Et certes, pour cela déjà, nous pouvons nous réjouir, prier, rendre grâce, sans cesse.

Se réjouir, prier, rendre grâce, les trois verbes sont étroitement liés.
La joie évoquée par Paul est différente des joies que nous éprouvons ordinairement, qui sont des joies suscitées par des événements, des circonstances : une fête, une réussite, une guérison, la compagnie d’une personne qu’on aime, la beauté d’un paysage. Ces joies sont véritables, mais elles sont aussi temporaires, parfois ambigües, et concurrencées par les événements malheureux. La joie dont il est question pour Paul, et qui ne dévalorise pas les autres joies, c’est une joie qui ne dépend pas de ce qui survient autour de nous.

C’est la joie de la foi, la joie d’être, quoi qu’il arrive, au bénéfice des dons de Dieu, l’amour, la grâce, l’Esprit, le Christ.
Elle est la joie d’être, quoi qu’il arrive, reconnu et appelé comme une personne digne, de grande valeur.
Elle est la joie d’être, quoi qu’il arrive, destiné à la vie éternelle, à un bon donné, un à-venir bon, et déjà de notre vivant.

Que nous nous réjouissions, oui, c’est la volonté de Dieu écrit Paul, mais ce n’est pas une volonté que nous avons à faire, à mettre en œuvre, à réaliser, c’est une volonté à recevoir, en Jésus-Christ, par l’Esprit. Ce qui signifie que la joie est profondément associée à la prière, à la reconnaissance, à la gratitude, à l’espérance et à la vie spirituelle. Réjouissez-vous sans cesse, puisqu’il s’agit de la joie de la foi et que la foi n’est pas seulement l’affaire du dimanche matin !
Il paraît que les protestants ont plutôt la réputation d’être austères plutôt que joyeux. C’est bien dommage, il serait bien temps de faire évoluer cette réputation ! Si la foi est sérieuse, elle ne peut pas être triste. Même si la réjouissance ne se révèle pas forcément par des manifestations sonores et publiques d’exubérance, il est bon que Paul nous rappelle aujourd’hui que la joie n’est pas une option dans la foi, mais qu’elle est un des éléments constitutifs de la confiance au Dieu qui donne et qui appelle, qui crée et ressuscite. 

C’est pourquoi Paul écrit : priez sans cesse, parce que la prière est la manière de prendre soin de la relation à Dieu, c’est-à-dire de la foi. Nous entendons souvent prière comme un temps mis à part, au culte, dans les journées, et comme une expression de mots adressés à Dieu. Les évangiles montrent à plusieurs reprises Jésus se retirant seul pour prier et précisent quelques fois, rarement, le contenu de sa prière.
Ces mots des prières que nous prononçons sont soit transmis, repris, partagés soit spontanés. Mais la prière est aussi plus vaste que ces mots prononcés du fond du cœur dans des temps réservés pour prier.
Cette descente en soi, comme une plongée lente dans ses propres profondeurs.
Cette écoute d’une musique qui ouvre en soi comme une immensité.
Ce doute qui retourne en tous sens les images de Dieu devant les misères des vivants et de la terre.
Ce silence intérieur qui s’installe.
Cette remise désolée à Dieu de ne pas savoir ou pouvoir prier avec des mots.
Ces quelques mots d’un texte biblique qui tournent et retournent dans la tête jusqu’à faire apparaître quelque chose qui bouleverse.
Tout cela est aussi prière.
Mais aussi une tâche quotidienne effectuée de ses mains, du ménage, du bricolage, réalisée avec la conscience du sens qu’elle porte et des relations qu’elle implique.
Une discussion au cours de laquelle on se met à parler de choses essentielles, sans prétention, et soudain une parole prononcée qui porte véritablement la Parole de vie.
Désirer de toutes ses forces et peut-être même douloureusement, que la cruauté cesse, que la bêtise cède, que le monde et peut-être soi-même aussi soient différents.
Éprouver de la gratitude, pour quelque raison que ce soit, et la laisser grandir en soi, la cultiver, la raviver, la laisser déborder.
Tout cela est prière.
Est prière la disposition d’esprit par laquelle on se tient en communication avec Celui qui se tient dans la profondeur de l’intimité de chacun pour l’ouvrir à sa transcendance. Est prière la disposition d’esprit par laquelle on se tient accompagné par Celui qui appelle et qui donne, qui crée et ressuscite. Et cela peut-être chaque instant. Par exemple dans l’épisode où Jésus commence par renvoyer la femme syro-phénicienne en la comparant à un chien, lorsqu’il change d’avis grâce à ce qu’elle dit et qu’il guérit sa fille, c’était une attitude de prière. Parce que toute sa vie, même une impasse, était reliée à Dieu, ce qui l’a conduit à comprendre que cette femme était aussi au bénéfice de la puissance créatrice et recréatrice de Dieu.
La vie spirituelle n’est pas un compartiment de l’existence, elle n’est pas à part de la vie familiale, de la vie professionnelle, de toutes les sphères d’activités ou simplement de présence. La vie spirituelle, c’est une vivification de la conscience, c’est l’imprégnation progressive de toute l’existence par la puissance transformatrice de l’Évangile. Celui ou celle qui prie est ouvert à plus que lui-même ou elle-même et ne se prend pas pour la mesure du monde en comprenant que la grâce est encore bien plus vaste que ce qu’il ou elle en a reçu.

Réjouissez-vous toujours, Priez sans cesse, Rendez grâce en toute circonstance. Rendre grâce rassemble et contient les deux verbes précédents car rendre grâce, c’est prier avec joie, dans la joie, faire part de sa reconnaissance de et à Dieu.
En toute circonstance : non que tout ce qui survient vienne de Dieu et qu’il faille rendre grâce, ratifier ou acquiescer à tout ce qui arrive. Dieu n’est pas la cause des événements. Mais en toute circonstance, se mettre en relation, se connecter avec le OUI originel déposé en chacun de nous, parce que le BON de la Création excède le mal que nous faisons ou subissons et qu’alors nous ne sommes pas envahis par le désespoir, nous ne perdons pas le goût de tout et de vivre. Ce n’est pas qu’il y ait plus de bon que de mal en quantité, mais c’est que le BON déborde, transperce, traverse même dans le pire des chaos, non pour tout arranger, mais pour que nous puissions vivre l’Évangile ou pour le dire autrement, pour que, en toute circonstance, nous puissions rester humains.
Rendre grâce, alliance de joie et de prière, c’est se sentir, être vivant et présent, engagé avec d’autres dans le temps qui est. Les impératifs de la lettre aux Thessaloniciens indiquent à la fois un présent et un horizon, c’est-à-dire un chemin. Car le temps présent quel qu’il soit n’est pas clôt : c’est aussi le temps de la promesse ouvert à un à-venir. Rendre grâce ouvre un espace d’engagement, de mouvement, pour être et pour agir. Rendre grâce crée du champ, du jeu, c’est une mise au large, au grand large.
Se réjouir, prier, rendre grâce c’est répondre oui au OUI de Dieu déposé en soi que rien ne peut effacer, qui affermit l’âme et le cœur, qui donne le courage d’être et d’entreprendre même au risque de l’échec.

Réjouissez-vous toujours, Priez sans cesse, Rendez grâce en toute circonstance. 
Par la joie, la prière, l’action de grâce, par ce qu’elles représentent de relation à Dieu, nous devenons une personne, une par l’unité intérieure, une personne qui peut dire : Me voici, présent ou présente.
Nous sommes intégrés au monde, solidaires, non par approbation mais par engagement libre et responsable, et inscrits en relations malgré les solitudes, les amertumes, les replis sur soi.
Nous sommes éclairés dans le sens de la vie et de l’humanité malgré les absurdités et les désespoirs.
Nous pouvons examiner les situations dans lesquelles nous nous trouvons grâce à ce que l’Évangile et les Écritures nous donnent de comprendre de l’existence humaine et des rapports humains.
Nous sommes grandis, élargis, 

mis au large comme une libération et comme une dilatation du cœur, de l’âme, de l’être,
et le monde aussi devient plus vaste 

Telle est la volonté de Dieu à notre égard en Jésus-Christ : 

volonté de joie et de vie, de liberté et
volonté de communion avec lui, en Jésus-Christ,
volonté de nous faire participer à l’enjoiement du monde, selon l’expression du professeur Raphaël Picon, afin que le monde devienne plus vivable, plus accueillant.