Prédication du 3 octobre 2021

de Dominique Hernandez

Création de la maison universelle

Lectures : Genèse 1, 1-3a
Genèse 1, 26-31 et 2, 1-3
Apocalypse 13, 1-6 et 11-17
Apocalypse 21, 1-2 et 22-26

Genèse 1, 1-3a

1 Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.
2 La terre était un chaos informe ; il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux.
3 Dieu dit

Au commencement, une maison est inscrite. Elle est inscrite dans le texte hébreu, dans ce qui est traduit par « au commencement », bereshit en hébreu, un mot dont la première lettre est dans l’alphabet hébreu un beth. C’est ainsi que cette lettre est nommée, mais beth est aussi un mot, un mot qui signifie maison, comme dans Bethléem qui veut dire la maison du pain. En hébreu, beth est une lettre qui a à peu près la forme d’un cube avec une petite corne sur l’angle inférieur droit, et dont l’un des côtés, le vertical gauche est ouvert. Comme l’hébreu s’écrit de droite à gauche, la lettre est ouverte du côté de la suite du mot et de la suite du texte. Le commencement, l’ouverture du texte est une lettre ouverte sur tout le chapitre, sur tout le livre de la Genèse, sur toutes les Écritures de la Bible hébraïque et de nos Bibles Nouveau testament compris.
C’est comme si ce qui est au programme du chapitre, et du livre de la Genèse, et de la Bible, c’est une maison.
Vous le savez, en français, et c’est la même chose en hébreu, le mot maison ne désigne pas seulement un bâtiment, la maison est aussi la maisonnée, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui font partie de la maison, des personnes ayant chacune une place dans la maison, des personnes reliées entre elles par différentes relations. Les habitants de la maison, les membres de la maisonnée ne sont pas indépendants les uns des autres mais dans une dynamique relationnelle.
La maison c’est aussi la succession des générations d’une famille, large famille, comme Joseph l’époux de Marie est dit de la « maison de David ». La maison ne signifie pas seulement une stabilité mais aussi une dynamique de changement, d’évolution dans le temps
Voici donc, dès le commencement du texte, au commencement du récit, la maison, la maisonnée.
Ce qui édifie, ce qui constitue la maison, la maisonnée, c’est que Dieu parle, et voici encore de quoi renforcer la notion de relation, d’autant que cette parole sépare, elle distingue, ce qui est indispensable pour des relations. Si tout est confus, indistinct, aucune relation n’est possible.
D’ailleurs sans la parole divine, la terre est chaos informe. Chaos pour dire le tohu-bohu hébreu, mais en français, tohu-bohu est souvent relatif au domaine sonore. Chaos informe : beaucoup de traductions écrivent « vide », mais ce n’est pas un vide sans rien, c’est un vide sans sens, où l’on ne distingue pas les éléments, où l’on ne distingue pas d’orientation. Il se peut bien que dans un chaos on puisse s’aménager un petit coin un peu plus rangé, un abri un peu plus en ordre, mais en dehors, c’est toujours le chaos. Ce n’est pas que les éléments qui composent le chaos soient mauvais, c’est que l’ensemble ne fonctionne pas dans des relations, avec des articulations qui permettent une orientation, qui découvrent un sens, qui favorisent un mouvement selon ce sens. Alors même dans le chaos auquel nous sommes confrontés dans le monde, il ne s’agit pas de tout jeter ni de tout condamner, mais de distinguer, et d’articuler, de s’articuler soi-même, en relations avec les vivants, par la grâce de la parole qui donne sens, qui met en relation, qui appelle. Et c’est ce processus que le premier mot, la première lettre de la Genèse désigne avec le terme de maison qui donne à l’habitation du monde la couleur de l’hospitalité et celle de la gratitude qui lui répond.
La parole divine appelle, parole de surgissement de vie car parole de surgissement de possibilités nouvelles que le chaos ne permettait pas.
La parole, ce n’est pas un son, ni un mot, ni une suite de mots, c’est l’affirmation d’une présence et d’une présence fiable et fidèle, comme lorsque l’on dit : je te donne ma parole, comme un poids, une densité de soi-même pour manifester la confiance possible et la liberté offerte.
La Création arrive dans la réponse à la Parole divine qui appelle, 

qui appelle à l’existence et à la relation dans une habitation partagée et commune,
qui appelle encore et toujours à de nouvelles possibilités,
qui appelle à la vie vivante
et qui continue d’appeler.

Genèse 1, 26-31 et 2, 1-3

26 Dieu dit : Faisons l’humain à notre image, comme notre ressemblance, pour qu’il gouverne sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre. 
27 Dieu créa l’humain à son image : il le créa à l’image de Dieu ; mâle et femelle il les créa. 
28 Dieu les bénit ; Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Gouvernez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui fourmillent sur la terre. 
29 Dieu dit : Je vous donne toute herbe porteuse de semence sur toute la terre, et tout arbre fruitier porteur de semence ; ce sera votre nourriture. 
30 A tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui fourmille sur la terre et qui a souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Il en fut ainsi. 
31 Dieu vit alors tout ce qu’il avait fait : c’était très bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : le sixième jour.

1 Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée. 
2 Le septième jour, Dieu cessa tout le travail qu’il avait fait ; le septième jour, il se reposa de tout le travail qu’il avait fait. 
3 Dieu bénit le septième jour et le consacra, car en ce jour Dieu se reposa de tout le travail qu’il avait fait en créant.

L’humain à l’image de Dieu, comme sa ressemblance. Le fait d’être né n’y suffit pas, ce n’est pas automatique, ce n’est pas naturel au sens de la nature dont nous sommes un des éléments au fil d’une très longue évolution. Mais justement il n’est pas question de nature dans la notion de Création qui relève d’une parole, d’un processus de parole. Nous ne sommes pas destinés à n’être que le produit de notre biologie, de notre physiologie, de notre esprit, de notre nature d’humain.
L’appel à être humain en image de Dieu, comme sa ressemblance, est un appel à devenir, en écoute et en réponse, en confiance et en liberté.
Soumettre la terre et la gouverner prennent sens dans cet appel et non dans leurs usages mondains. Nous pouvons y entendre plutôt une fonction de régisseur ou d’intendant et Calvin écrivait lieutenant, tenant lieu, lieutenant de Dieu à condition bien sûr de ne pas se prendre pour lui ce qui conduit toujours à une catastrophe. Nous trouvons dans cet appel, dans la relation qu’il implique entre ceux qui l’entendent et celui qui l’émet, une raison de résister aux discours qui cherchent à diviniser la terre d’une manière ou d’une autre, et résister aussi aux discours qui jugent les humains illégitimes ou fondamentalement nocifs pour la planète.
Le récit de Genèse représente un poème de parole pour la vie vivante, parole de bénédiction, parole de célébration et d’émerveillement, parole du Dieu qui n’use ni de violence ni de manipulation. La parole qui appelle à le représenter nous précède et est encore devant nous, car elle attend réponse au fil du temps, des circonstances, des évolutions, des progrès et des échecs, car la Création est processus dynamique et permanent.
Gouverneur, intendant ou lieutenant, en tant qu’hôtes de la maison de Dieu, nous sommes appelés à nous souvenir de tous ceux qui en sont également les hôtes, puisque l’appel est celui de la veille au bien-vivre de tous. C’est une responsabilité pour une créativité renouvelée dans chaque temps du présent, y compris ceux dominés par l’incertitude, créativité renouvelée et appuyée non sur une culpabilité mais sur une bénédiction fondatrice d’un nouveau rapport au monde, sur la confiance qui nous est faite de devenir et d’être image de Dieu.
Alors le motif du repos de Dieu le septième jour, le sabbat qui rompt avec toute notion de production ou de rentabilité de la Création, permet de comprendre la maison comme un espace de grâce à habiter dans la reconnaissance et la gratitude d’une vie vivante qui n’est conduite ni par la culpabilité ni par la peur. Dans la maison monde, c’est à nous de poursuivre l’œuvre divine, œuvre non de conservation, mais de création : distinction et relations, séparation et articulations, parole fiable et bénédiction.

Apocalypse 13, 1-6 et 11-17

1 Alors je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes ; sur ses cornes, dix diadèmes, sur ses têtes des noms blasphématoires. 
2 La bête que je vis était semblable à un léopard, ses pattes étaient comme celles d’un ours et sa bouche comme la bouche d’un lion. Le dragon lui donna sa puissance, son trône et un grand pouvoir. 
3 L’une de ses têtes était comme égorgée, mais sa blessure mortelle fut guérie. Étonnée, toute la terre suivit la bête.
4 On se prosterna devant le dragon, parce qu’il avait donné le pouvoir à la bête ; on se prosterna devant la bête, en disant : Qui est semblable à la bête et qui peut lui faire la guerre ?
5 Il lui fut donné une bouche qui proférait des paroles arrogantes et des blasphèmes, et il lui fut donné le pouvoir d’agir pendant quarante-deux mois. 
6 Elle ouvrit sa bouche pour proférer des blasphèmes contre Dieu, pour calomnier son nom et sa demeure, ceux qui ont leur demeure au ciel. 

11 Alors je vis monter de la terre une autre bête. Elle avait deux cornes semblables à celles d’un agneau, et elle parlait comme un dragon. 
12 Elle exerce tout le pouvoir de la première bête devant elle, et elle fait que la terre et ses habitants se prosternent devant la première bête, dont la blessure mortelle a été guérie. 
13 Elle produit de grands signes, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des humains. 
14 Elle égare les habitants de la terre par les signes qu’il lui a été donné de produire devant la bête, en disant aux habitants de la terre de faire une image de la bête qui a été blessée par l’épée et qui a repris vie.
15 Il lui fut donné d’animer l’image de la bête, pour que l’image de la bête parle et fasse tuer tous ceux qui ne se prosterneraient pas devant l’image de la bête. 
16 Elle fait qu’on impose à tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, une marque sur la main droite ou sur le front, 
17 et que personne ne puisse acheter ni vendre sans avoir la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom.

Dans ce chapitre de l’Apocalypse, il est question de l’humanité en proie à des bêtes monstrueuses au service d’un dragon tout aussi monstrueux. Les descriptions peuvent laisser perplexes, elles peuvent faire sourire, ou effrayer. Ce sont des images qui parlent de peur et combien sont prégnantes les peurs contemporaines : peurs générées par la crise climatiques, par la pandémie et ses conséquences, par les injustices sociales et économiques, par les violences politiques ou religieuses.
Certainement le livre de l’Apocalypse, il vaudrait peut-être mieux traduire le mot grec et l’appeler livre de la révélation, invite déjà à regarder les peurs en face, aussi effrayantes soient-elles, afin de discerner leurs ressorts.
C’est ainsi que la vision de Jean de Patmos décrit un pouvoir, un monstre de pouvoir ou un pouvoir monstrueux, qui soumet les humains désemparés, effrayés, envahis par le sentiment de l’absurde. Ce pouvoir remplace la solidarité par la compétition ou le chacun pour soi, la dimension collective par la masse indistincte, les articulations par la crispation des identités et la fragmentation des espaces, l’interdépendance par l’oppression des uns sur les autres.
C’est l’empire romain qui est ainsi représenté dans la vision dans sa prétention totalitaire, dans sa volonté de régir chaque domaine de l’existence par une hiérarchie stricte, une propagande bien huilée, une force armée écrasante.
Mais au-delà du premier siècle et de l’empire romain, l’Apocalypse est le livre qui révèle ce qui détruit l’humanité des humains, parfois même avec leur consentement car certains sont séduits par l’ordre hiérarchique pour peu qu’ils aient la possibilité d’y grimper quelques marches, ou par la force et les armes et le sentiment de puissance ou de sécurité qu’elles procurent.
D’autres sont aveuglés par la propagande leur faisant croire qu’il n’y a pas d’alternative à l’idéologie dominante.
Et d’autres enfin se sentent bien trop coupables de ne pas être en phase ou pas assez bien.
Et à tous est imposé une marque sur le front ou la main droite, qui permet d’acheter ou de vendre, une marque d’esclavage qui conditionne la survie à une épouvantable réduction de la condition humaine à celle d’acheteur ou de vendeur.
Jean de Patmos insiste sur la violence de l’empire et si l’Apocalypse représente surtout des humains, ni l’environnement, ni la terre ne sont, ne peuvent être épargnés par une telle domination qui est oppression et prédation. Pour aujourd’hui, les ravages des bêtes monstrueuses dépassent largement les seuls humains, mais il s’agit fondamentalement, toujours, d’un ravage de l’humanité, d’une conception déshumanisante de l’humain, que ce soit par l’hubris qui veut s’affranchir de toute limite que par la transformation de l’humain en objet.
Le monde des bêtes et du dragons, la terre habitée, l’oikoumenè, de l’empire romain, n’est pas une maison mais un terrain de chasse, un champ de bataille, et ce que décrit le visionnaire résonne d’une étrange actualité.
Jean de Patmos écrit qu’un tel monde, fondé sur la violence, l’oppression, la prédation ne peut que s’effondrer à cause de la violence dont il use et qu’il génère, à cause des ravages qu’il cause.
Les bêtes monstrueuses dont la convoitise et la violence semblent sans limites, l’une avec un pouvoir d’immortalité, l’autre avec un pouvoir de marchandisation de l’humain et donc de tout vivants et de toute chose, ces bêtes effrayantes s’effondrent. Fin d’un monde, mais pas fin du monde, car ce n’est pas la peur le ressort de l’Apocalypse.
Parce qu’en vérité, et c’est la révélation de l’Apocalypse, il n’y a pas que les bêtes et le dragon, il y a ce que les bêtes disent qu’il n’y a pas. Il y a l’agneau.

Apocalypse 21, 1-2 et 22-26

1 Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus. 
2 Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la Jérusalem nouvelle, prête comme une mariée qui s’est parée pour son mari. 

22 Je n’y vis pas de sanctuaire, car le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, est son sanctuaire, ainsi que l’agneau. 
23 La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour y briller, car la gloire de Dieu l’éclaire, et sa lampe, c’est l’agneau. 
24 Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire. 
25 Ses portes ne se fermeront jamais pendant le jour — or là il n’y aura pas de nuit. 
26 On y apportera la gloire et l’honneur des nations. 

Cette ville, c’est comme une très grande maison, une vaste maisonnée rassemblant tous les peuples. Mais où est la nature ? les végétaux ? les animaux ? tout ce qui reçoit l’hospitalité de la maison de Dieu dans le livre de la Genèse ?

Ce n’est pas un retour à la nature que décrit la vision, mais une ville nouvelle, absolument nouvelle, d’une nouveauté qui est œuvre divine à tel point qu’il n’y a plus ni pouvoir politique, ni pouvoir économique, ni pouvoir religieux, et plus aucune de leurs idoles et plus rien de leur sacré. Et cela grâce à l’agneau. C’est par cette image de l’agneau que Jean de Patmos désigne le Christ, ce qui fait vérité dans son existence et à partir de quoi il interprète la réalité afin de soutenir les communautés dans leur résistance spirituelle qui fondera leur comportement, leur présence dans l’empire.
L’appel à la vie vivante est repris dans la vision, d’une autre manière, pour une humanisation de l’humain, toujours en responsabilité, en dynamique vers une juste posture d’humain : ni en domination, ni en démission, ni en désespoir ni en frayeur, mais en confiance.

Un agneau pour une autre vision du monde, une autre compréhension de l’existence, voir à partir du Christ, puissance d’être en qui chacune de nos existences n’est plus qualifiée par les critères du monde mais par la grâce, l’amour. C’est cela le salut, et il est déjà donné, quelques soient les circonstances, les combats à mener, les transformations à engager, les épreuves à traverser, les douleurs à supporter et même si nous échouons dans nos entreprises.
C’est pourquoi nous pouvons regarder les bêtes monstrueuses, qui ne peuvent altérer l’amour qui nous fait vivre, ni nous priver de la grâce qui nous a relevés. C’est pourquoi nous pouvons être présents dans le monde et nous tenir dans l’existence avec courage, courage d’être selon l’expression de Paul Tillich, ce qui ne garantit pas le succès, mais nous permet de regarder l’avenir tellement incertain avec foi plus qu’avec angoisse.
Voir à partir du Christ, l’agneau sacrifié aux intérêts du pouvoir et de la religion, l’agneau symbole de faiblesse, et de confiance et vivant malgré la mort et les puissances qui s’en servent ou la servent, ce qui revient au même.
Voir à partir du Christ le surgissement de la vie, la lumière dans les ténèbres, la création dans le chaos, nouvelle création, renouvelée en grâce et en universalité, une nouvelle oikoumenè, maison (oikos en grec) universelle.

 Une ville est un lieu de vie commune, de relations et la ville qui descend du ciel parle de relations entre des sujets, pas des objets, des sujets qu’il nous est déjà donné d’être 

et c’est ainsi que nous pouvons aller jour après jour, dans nos villes et ailleurs sur cette terre transformée du meilleur au pire par l’activité humaine,

aller avec au cœur la gratitude pour ce qui nous a été donné, la capacité de la mettre en forme, en couleur dans nos choix et nos actes, 

et ainsi habiter la terre comme la ville descendue du ciel, comme une maison, beth, et Jésus dans l’évangile de Matthieu dit que c’est l’héritage des doux.

Si vous souhaitez en savoir plus sur le programme de ce culte au format particulier animé avec la commission de l’Église verte :