Prédication du 29 mai 2022

de Marco Fornerone

Lectures bibliques

Actes 1, 1-12

1 Cher Théophile, J’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé de faire et d’enseigner
2 jusqu’au jour où il fut enlevé après avoir donné ses ordres, par l’Esprit saint, aux apôtres qu’il avait choisis.

3 C’est à eux aussi qu’avec beaucoup de preuves il se présenta vivant après avoir souffert ; il leur apparut pendant quarante jours, parlant du règne de Dieu.

4 Comme il se trouvait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis — ce dont, leur dit-il, vous m’avez entendu parler :
5 Jean a baptisé d’eau, mais vous, c’est un baptême dans l’Esprit saint que vous recevrez d’ici peu de jours.

6 Ceux qui s’étaient réunis lui demandaient : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?
7 Il leur répondit : Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.
8 Mais vous recevrez de la puissance quand l’Esprit saint viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.

9 Après avoir dit cela, pendant qu’ils regardaient, il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux.
10 Et comme ils fixaient le ciel, pendant qu’il s’en allait, deux hommes en habits blancs se présentèrent à eux
11 et dirent : Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel.

12 Alors ils retournèrent à Jérusalem, depuis le mont dit des Oliviers, qui est près de Jérusalem, dans le rayon des déplacements autorisés le jour du sabbat.

Deutéronome 34, 1-12

1 Moïse monta des plaines arides de Moab au mont Nebo, au sommet du Pisga, en face de Jéricho. Le Seigneur lui fit voir tout le pays : le Galaad jusqu’à Dan, 
2 tout Nephtali, le pays d’Ephraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu’à la mer occidentale, 
3 le Néguev, le District, la vallée de Jéricho, la Ville des Palmiers, jusqu’à Tsoar. 
4 Le Seigneur lui dit : C’est là le pays que j’ai promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant : Je le donnerai à ta descendance. Je te l’ai fait voir de tes yeux ; mais tu n’y entreras pas.

5 Moïse, serviteur du Seigneur, mourut là, au pays de Moab, sur l’ordre du Seigneur. 
6 Il l’ensevelit dans la vallée, au pays de Moab, en face de Beth-Péor. Personne ne sait où est sa tombe, jusqu’à ce jour. 
7 Moïse avait cent vingt ans lorsqu’il mourut ; son œil ne s’était pas affaibli, et sa vigueur n’avait pas disparu. 
8 Les Israélites pleurèrent Moïse pendant trente jours, dans les plaines arides de Moab ; puis ces jours de pleurs et de deuil sur Moïse arrivèrent à leur terme.

9 Josué, fils de Noun, était rempli d’un souffle de sagesse, car Moïse avait posé les mains sur lui. Les Israélites l’écoutèrent, ils firent ce que le Seigneur avait ordonné à Moïse.

10 Il ne s’est plus levé en Israël de prophète comme Moïse, que le Seigneur connaissait face à face, 
11 pour tous les signes et les prodiges que le Seigneur l’envoya produire en Egypte contre le pharaon, contre les gens de sa cour et contre tout son pays, 
12 et pour toutes les choses grandes et redoutables que Moïse fit d’une main forte sous les yeux de tout Israël.

Prédication

Peut-être que celle-ci ne soit pas la première chose qu’on en pense, mais avez-vous déjà remarqué que la dernière partie de l’année liturgique avance d’une manière semblable aux montagnes russes… on commence en descendant avec le Carême et puis on monte avec les Rameaux et l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, et on descend encore dans la nuit de la trahison, de l’arrestation et plus encore avec la mort de Jésus ; on se relève avec la résurrection, on fait même pas à temps a nous y habituer, qu’arrive l’ascension et Jésus nous est enlevé. 

Pour le dire dans une façon plus sérieuse et surtout plus précise : l’histoire de Jésus est marquée par le paradoxe. Jésus porte avec soi le paradoxe : un être humain qui révèle Dieu, qui touche les intouchables, qui sauve les insauvables, qui aimes les inaimables, qui montre la présence de Dieu au fond de son absence en disant « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? », qui meurt mais est vivant. Qui est vivant, mais qui est absent. L’ascension est le paradoxe de la résurrection : rendu à la vie, mais enlevé, encore et durablement. Comme le disent les messagers célestes le matin de Pâques « il n’est pas ici » (dans le tombeau), mais il n’est pas ici non plus. Le ressuscité est absent. Le récit de l’ascension veut nous dire que Jésus n’est pas là mais au même temps il n’est pas disparu tout simplement. Pas de choses tout simples… D’autant plus qu’on est protestant. Le protestantisme a embrassé la structure paradoxale de l’Evangile. Et on le voit en particulier dans la tradition Réformée, où l’ascension a été interprétée dans une façon radicale comme la négation de quelconque tentative de localiser, renfermer Jésus quelque part ici-bas. 

Donc une première signification de l’ascension est d’utile avertissement, comme le dit Luc ailleurs : « On vous dira : Il est ici, il est là. N’y allez pas, ne courez pas après » parce que il n’est plus là. Serait certainement beaucoup mieux, très désirable qu’il fusse là, mais il ne l’est pas comme ça, donc méfiez vous des imitations. Puisqu’on a le récit de l’Ascension, personne n’est autorisé à localiser Jésus, le Christ, quelque part dans une manière exclusive. Personne ne peut dire qu’il est quelque part et qu’il n’est pas quelque autre part. Qu’il est ici et il n’est pas là. Que c’est ici, chez moi, qu’on peut le rencontrer, et pas ailleurs. Personne n’est autorisé à permettre ou empêcher la rencontre avec lui. Personne ne peut disposer de Jésus, parce que il est indisponible, il est au ciel. 

Très bien, cela a un sens libératoire, mais signifie aussi que toute relation est impossible ?
Quand j’étais au Cameroun, à la Faculté de Théologie da Yaoundé, il y avait un tout petit enfant, Gus, fils d’un collègue étudiant à la Faculté, qui était très curieux de ce « tonton » venant d’ailleurs et surtout de cette charmante femme blonde qu’il cherchait d’attendre dans l’écran de l’ordinateur. Quand on lui demandait, par exemple, « où est ton ballon ? », s’il répondait « C’est loin… » cela voulait dire qu’il l’avait perdu. Tellement loin qu’on peut pas le rejoindre. 

Les Réformateurs, coté Réformé en particulier, disait quelque chose de semblable de Jésus, mais bien sûr avec des différences. Il est loin non comme le ballon de Gus, mais comme le soleil, qui est à une distance pour nous inatteignable, mais lui il nous atteint, nous éclaire, nous réchauffe, rendant notre vie possible. 

Jésus aussi, tout en étant absent, nous fait percevoir tout de même quelque chose de sa présence. Mais comment ?
En étudiant de la Bible Hébraïque, aux similitudes astrales (qui y sont toujours quelque chose de risqué), je préfère jouer la sécurité avec Moïse, avec le texte qu’on a lu dans le Deutéronome. Moïse, lui aussi, est enlevé au peuple d’une manière un peu extraordinaire, il disparait, sans laisser un tombeau qui risquait de devenir lieu de piété superstitieuse, mais laissant la Torah, qu’on traduit souvent comme Lois, mais qui est en effet « l’enseignement », l’enseignement de Moïse. Ce qui dit le texte du Deutéronome est très claire : il y a personne ici sur la terre qui soit comme Moïse, il n’y en aura jamais, donc pas la peine de le chercher. Ce qu’il y a de plus proche de Moïse c’est son enseignement. Qui « n’est pas dans le ciel [ou] de l’autre côté de la mer […] au contraire, est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton coeur, afin que tu la mettes en pratique » (encore le Deutéronome deux chapitres avant). Ce qui reste après Moïse n’est pas quelque chose d’extraordinaire, de surnaturel, de miraculeux. Ce n’est pas non plus quelque chose d’absolu, d’intouchable, d’incompréhensible, d’inquestionnable. C’est, au contraire, un écrit, un livre, qu’on peut étudier, questionner, qu’il faut interpréter. 

Et Jésus ? Le Nouveau Testament est tout à fait d’accord avec l’Ancien sur le fait que il n’a plus paru personne comme Moïse, sauf Jésus qui est l’exception absolue à toute norme. Mais Jésus, lui aussi, il a fait comme Moïse – ou pourrait-on dire que c’est le même Dieu qui fait la même chose dans les deux cas : il nous a laissé son enseignement. Il nous reste ce qu’il a fait et dit. En effet le récit, le témoignage écrit de ce qu’il a fait et dit. C’est pas par hasard que ceux et celles qui empruntent son chemin sont appelé(e)s disciples: « élèves ». 

Et ce que Jésus nous laisse quand il est dérobé à nos yeux déterminé de nouvelles possibilités de vivre notre temps, qui est le temps de l’absence de Jésus. C’est le récit des Actes qui nous montre comment l’ascension change les perspectives des disciples. 

Un changement est mis en place par ces hommes vêtus de blanc qui réorientent leur regard : du ciel à la terre, et plus encore du domaine des esprits à la ville, où ils retournent et où vont bientôt commencer une nouvelle histoire, l’histoire de l’Eglise, de la communauté des disciples. L’Ascension n’invite pas à un regard individuel au ciel, une fuite du monde dans une monde qui se veut de purs esprits. Au contraire, ici commence un chemin incarné dans le corps de la communauté, plongé dans la réalité du monde, dans sa socialité, là où les gens vivent leurs vies, leurs joies et leurs peines, leurs projets et leurs échecs, leurs tragédies, individuelles ou collectives, et leurs espérances. 

Ici commence un chemin. En effet, dans les derniers mots de Jésus, il y a aussi un changement du temps à l’espace. « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? » demandent les disciples. Mais Jésus répond « Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » c’est-à-dire : c’est pas question de temps, de quand va arriver, mais jusqu’où s’étend dès à présent le Règne : « à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre». Et c’est là que les disciples sont envoyées à en témoigner, selon ce que Jésus a enseigné. 

Et voilà encore un autre changement : de l’attente à l’action. Jésus ne dit pas « Il ne faut pas attendre le Règne, il faut aller le voir » mais il dit « vous irez le montrer » ça c’est témoigner. C’est vivre le Règne qui est déjà là, c’est vivre l’enseignement de Jésus, parce que c’est possible. En effet, et voici encore un paradoxe, l’Ascension est le don de cette possibilité. La vie que Jésus nous a promise, que nous a montrée, n’est pas quelque chose qui doit venir du ciel, n’est pas quelque chose de miraculeux que Dieu doit faire à notre place, mais c’est la possibilité qui nous est donnée. Jésus nous est enlevé et la possibilité de vivre cette vie nous est donnée en échange.