Prédication du 4 avril 2021

Culte du Dimanche de Pâques

de Dominique Hernandez

Crise de Pâques

Lecture : Marc 16,1-8

Lecture biblique

Marc 16, 1-8

1 Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l’embaumer. 
2 Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil. 
3 Elles disaient entre elles : Qui roulera pour nous la pierre de l’entrée du tombeau ? 
4 Levant les yeux, elles voient que la pierre, qui était très grande, a été roulée.

5 En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche ; elles furent effrayées. 
6 Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s’est réveillé, il n’est pas ici ; voici le lieu où on l’avait mis. 
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.

8 Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.

Prédication

Quel étrange texte pour un matin de Pâques !
Pas la moindre trace d’un élan de joie, mais l’effroi, la stupeur, les tremblements, la peur et le silence des femmes.
Pas la moindre apparition du ressuscité non plus. Il n’est pas là. Pas là du tout. Il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez dit le jeune homme. Pas ici et pas maintenant. Un futur, et la peur en dernier mot.

Quelle étrange finale que celle de l’évangile de Marc. Car c’est ainsi que se termine cet évangile, quel qu’ait été le nom de l’évangéliste, et d’ailleurs, peut-être étaient-ils plusieurs à réfléchir, méditer, prier… pour écrire. Et pour décider de cette chute abrupte, dérangeante, intrigante, presqu’inquiétante. Bien sûr il est possible de se dire que tout de même, les femmes ont dû parler, peut-être quelques heures plus tard, peut-être le lendemain, une fois les tremblements calmés et la peur ayant reflué. Mais ce n’est pas ce que Marc a décidé d’écrire. Non pour solliciter l’imagination et le raisonnement des lecteurs, mais parce que ses quelques phrases suffisaient pour dire ce qu’il voulait dire.
Certes nous pouvons lire dans les bibles quelques lignes supplémentaire, ajoutés postérieurement à la rédaction de l’évangile. Quelques lignes, quelques versets, en forme de compilation et de condensation des récits des autres évangiles : des apparitions du ressuscité à Marie de Magdala et aux disciples, un envoi en mission, l’ascension du ressuscité.
Plus précisément, ce sont même deux ajouts qui ont été faits, deux finales, une longue et une courte, sans souci d’articulation de l’une avec l’autre, pour terminer le texte sur une note positive, rassurante.
Mais ce n’est pas ce que Marc avait décidé. Alors prenons-le au sérieux, lisons son texte tel qu’il l’a voulu. Pas d’apparition du ressuscité, pas de joie, alors quoi ? 

Ce qui apparaît à la lecture de l’ensemble de l’évangile, c’est que Marc se méfie des miracles. Certes il en écrit plusieurs, mais à la suite desquels Jésus ne cesse d’ordonner le silence à ceux qui en ont bénéficié et à ceux qui en ont été témoins. Lesquels le plus souvent s’empressent de les rapporter largement autour d’eux. En ce qui concerne la résurrection, Marc se montre encore plus radical : pas d’apparition du tout. Les lecteurs feront avec, ou plutôt sans. Ils ne liront rien à ce sujet. C’est ainsi que Marc évite ce qui représente pour lui deux risques majeurs pour les lecteurs et les croyants : 

le premier c’est de mettre sa foi dans un texte,
le second c’est de croire en raison d’un miracle : guérison, marche sur l’eau, ou résurrection.

Mettre sa foi dans un texte, c’est croire ce qui est écrit, croire parce que c’est écrit, dans la bible à plus forte raison. Mais cela revient à considérer l’écrit comme une preuve et cette attitude est à mille lieues de la confiance. Elle conduit au littéralisme et à l’extinction de toute réflexion et de tout esprit critique.
Croire en raison d’un miracle, c’est s’attacher à l’extraordinaire, à un phénomène inexplicable par la connaissance, une fascination qui rend dépendant au miracle constaté ou rapporté par d’autres, et qui laisse particulièrement démuni face aux épreuves et face à la question du sens de l’existence.
Donc pas de récit d’apparition pour Marc : il ne s’agit pas de lire ou de voir pour croire. La sobriété de Marc lui évite d’avoir à ajouter une formule analogue à celle de l’évangéliste Jean : heureux ceux qui ont cru sans avoir vu. La sobriété, voire l’austérité de Marc ne sont pas des traits de caractère, mais un choix théologique délibéré.

Reste qu’il faut quand même un certain culot pour terminer l’évangile par ces mots : car elles avaient peur. 
Il a été réveillé, il n’est pas ici dans le tombeau, n’est-ce pas une bonne nouvelle ?
Marc ne prend-il pas le risque de décourager les lecteurs et les croyants ? Terminer par la peur, ce n’est pas très engageant. Surtout en temps de crise.
Marc écrit en temps de crise, après la destruction du temple de Jérusalem, avec le judaïsme à reconstruire et des communautés chrétiennes émergeantes et différentes. Nous lisons aujourd’hui dans ce XXI°s aux multiples crises. Ne faudrait-il pas mieux une fin d’évangile pleine d’espérance, avec de la joie et de clairs encouragements ?
C’est justement parce que qu’il y a crise que Marc prend ses lecteurs et les croyants très au sérieux. Mais pour lui, la crise fondamentale, fondatrice, n’est pas la situation de Jérusalem. La crise décisive pour Marc, décidément très culotté, c’est Pâques, c’est la traversée de la mort à la vie.
Reprenons le récit.

Trois femmes marchent vers le tombeau dans lequel le corps de Jésus a été déposé. Trois femmes, c’est-à-dire dans le 1er siècle, celles qui sont en situation de dépendance d’un père, d’un mari, d’une famille, un statut de minorité permanente. Pour la plupart, même s’il y a des exceptions, elles sont confinées dans un rôle domestique ou subalterne. Il y en a quand même quelques restes au XXI°s.
Ces trois femmes portent les aromates qui servent aux rituels d’ensevelissement qui n’ont pas pu être effectués lors de la mise au tombeau car le sabbat était tout proche. Elle viennent confirmer la mort.
Chemin faisant, elles se demandent : qui roulera pour nous la pierre ? 
C’est que pour elle, la situation est bloquée : elles n’ont pas la force nécessaire pour ouvrir le tombeau. Le rituel ne pourra avoir lieu, les aromates resteront dans les pots, l’argent aura été dépensé en vain et elles se seront déplacées pour rien. Le deuil n’en sera que plus cruel. Tout cela est insensé. Et ce n’est pas la peine de se dire qu’elles auraient pu y penser avant, à cette pierre à rouler. Marc n’attend pas de ses lecteurs qu’ils rectifient son récit ni qu’ils imaginent ce qu’il n’a pas écrit.
Les femmes marchent dans une impasse, droit dans la pierre.
Mais au moins, elles en sont conscientes. Elles n’ont pas la capacité de résoudre le problème, mais elles ne le nient pas. Elles ont conscience d’avoir besoin d’aide même si elles ne savent pas qui les aidera. Qui roulera pour nous la pierre ? C’est très différent du simple constat d’impuissance : nous ne pouvons pas rouler la pierre. Leur question, qui est une question sans arrière-pensée, c’est une petite espérance. Pas en la résurrection du Christ, mais une petite espérance d’une solution, d’une sortie de l’impasse. C’est une question ouverte, ce qui leur permet d’avancer sur le chemin malgré le fait de la pierre qui ferme le tombeau. Une ouverture dans une impasse, c’est déjà une bonne chose, même si elle semble trop petite pour passer par là.

Après s’être posée la question ouverte, les femmes lèvent les yeux. Elles regardent plus loin et plus haut que leurs pieds, plus loin et plus haut que les 20cm de chemin devant leurs pieds.
Lever les yeux, c’est une manière de prendre de la hauteur, hauteur de vue et de compréhension, élargissement du regard et de l’intelligence, par rapport à l’immédiat, par rapport aux émotions, par rapport à l’impuissance, à l’incapacité. C’est peut-être la question ouverte qui provoque le mouvement des yeux. Une petite espérance permet une autre vision.
Voir plus loin, voir plus large. Et pas seulement.
Car le verbe grec traduit par lever les yeux signifie également : voir de nouveau, c’est-à-dire recouvrer la vue. C’est ce même verbe qui exprime le recouvrement de la vue des aveugles, dans le passage du prophète Ésaïe que Jésus lit à la synagogue de Nazareth. Ce que les femmes voient alors, ce n’est pas ce qu’elles pensaient, ce n’est pas ce dont elles étaient persuadées, ce n’est pas ce qu’elles croyaient, tous ces présupposés, préjugés, a priori qui altèrent la vision, quels que soient les siècles. Ce n’est pas non plus ce que Marie de Magdala avait vu trois jours auparavant, ni ce que Marie mère de Jacques et Salomé avaient entendu dire.
Elles voient la réalité : la pierre a été roulée.

Un jeune homme est assis dans la tombe. Au lieu du corps mort de Jésus, un être vivant qui annonce : il a été réveillé, il a été ressuscité. 
Ce n’est plus l’heure du deuil, les aromates ne servent vraiment à rien. La mort n’a pas été la plus forte, la fin n’a pas été la fin. C’est un peu comme si la terre s’arrêtait de tourner. Qu’il n’y ait pas rien là où il n’y avait plus rien. Qu’il y ait du nouveau là où il n’y avait que du vide.
Alors oui cela effraie, cela fait peur, car ce n’est pas seulement une bonne nouvelle, c’est une nouvelle qui va à l’encontre de cette profonde certitude humaine que la mort a le dernier mot sur toute existence, jusqu’à la fin des temps, jusqu’au jugement dernier, mais ce n’était pas ce jour-là.
Une nouvelle à laquelle il était impossible de se préparer parce qu’elle est simplement impensable, c’est effrayant.
Surtout que l’humain s’habitue, il s’adapte, à la mort, et même au malheur, à la violence, à l’injustice. Tout ce qui participe à la forme du monde et même s’il est moche, c’est celui dans lequel il faut vivre, ou survivre, et on y jette ses forces, même si on en a très peu. On s’organise avec des défenses : des habitudes, des explications, des idéologies, des calendriers, des identités, des certitudes personnelles ou communes, sociales ou religieuses, pour vivre, ou survivre, autant de protections qui sont en même temps des garanties pour la domination de la mort.
Parce qu’il est impossible de penser qu’il puisse en être autrement. Au Ier ou au XXI° siècle.

Mais il a été réveillé, il a été ressuscité. 
Les protections, les habitudes, les explications, les certitudes, les identités, tout cela est renversé, alors les femmes sont hors d’elles, littéralement en extase, ce qui est traduit par stupéfaites, mais il s’agit de bien plus que cela. Les repères connus ont été abattus. Si la mort n’a plus le dernier mot, elle a perdu son emprise sur la vie, et tout ce qui est organisé selon cette emprise n’a plus de sens.
Les femmes se retrouvent dans l’inconnu.
Pâques provoque une crise, une crise des repères, des pouvoirs, des statuts, des rôles, pour les plus forts comme pour les plus faibles, pour les privilégiés comme pour les défavorisés.
Pâques est une crise, c’est la fin d’un monde, parce que là où il devait y avoir la fin et plus rien, ce n’est pas la fin, il n’y a pas rien. C’est la fin d’un monde mais qui survient dans une expérience personnelle, singulière. C’est-à-dire que Pâques représente la fin d’une compréhension du monde et donc de la manière d’y vivre. 

Mais le jeune homme dit : n’ayez pas peur ; ce n’est pas le chaos ni le néant : autre chose commence. Pâques est le commencement d’une nouvelle compréhension, d’une nouvelle manière de vivre. Pâques est le faire part d’une nouvelle mise au monde. Mais comment ?

Il vous précède en Galilée : pourquoi en Galilée ? Parce que c’est là que tout avait commencé et que maintenant que le Christ est vivant, il s’agit de commencer à nouveau.
Aller en Galilée, ce à quoi les disciples sont appelés, n’a rien à voir avec la géographie. La Galilée, c’est là où Jésus a commencé son ministère, la Galilée, c’est au début de l’évangile de Marc, c’est le début de l’évangile de Marc.
Lire, c’est interpréter ; lire l’évangile, c’est interpréter ce qui est écrit et ce qui est vécu, c’est à dire le monde, et sa propre existence, dans le monde.
Aller en Galilée, c’est lire à nouveau l’évangile à partir de la lumière qui se lève le jour de Pâques, à partir de ce renouvellement de l’être que représente Pâques.
Aller en Galilée, c’est reprendre les chemins de la vie, avec les joies et les peines, les épreuves et les découvertes, mais c’est vivre dans cette lumière qui s’est déjà levée, qui vient toujours de derrière celui ou celle qui y entre, lecteurs, disciples du Ier ou du XXI° siècle.
Vivre dans cette lumière, c’est être ressuscité ! 

Tel est le chemin que Marc ouvre à ses lecteurs, aux disciples : vivre en ressuscité, en dés-habitué du malheur et de l’emprise de la mort sous toutes ses formes, en dés-adaptés de la violence des rapports de force et de l’injustice.
Ainsi ce ne sont pas la peur et le silence qui terminent l’évangile de Marc, parce qu’il n’est pas terminé, il n’est jamais terminé. Il n’est pas inachevé, et il n’a pas besoin des ajouts même canoniques.
L’évangile de Marc est un évangile ouvert, que chaque disciple poursuit par son existence propre, en vivant de ce dont l’évangile témoigne à travers les actes et paroles de Jésus qui est le Ressuscité et que Marc fait apparaître. Celui qui s’approche des plus démunis et des plus fragiles. Celui qui révèle et prend soin de l’humanité de chacun. Celui qui libère et nourrit, qui enseigne et questionne. Celui en qui le règne de Dieu s’est approché.
Chaque disciple continue l’évangile en y réfléchissant, en le pensant, en le racontant, en vivant son existence de ressuscité non gouverné par des stratégies de survie même dans les crises de l’histoire, une existence de ressuscité se laissant inspirer par le Christ vivant. 

Aujourd’hui, nous pouvons être fatigués par l’épreuve à supporter depuis plus d’un an, effrayés par les perspectives difficiles des mois qui viennent, agacés par les contraintes qui nous empêchent de mener nos relations et notre quotidien comme nous le souhaitons, éprouvés par la maladie, ou endeuillés par les décès de proches.
Nous pouvons être inquiets de l’augmentation de la précarité, de l’affrontement violent des croyances, des idéologies, inquiets de la fragmentation de notre société, du changement climatique et des atteintes à la biodiversité.
Et, pour une de ces raisons, ou plusieurs, ou une autre, certains ont le sentiment que nous allons droit dans un mur.
Mais voici : nous sommes éclairés par la lumière de Pâques, et aucune ténèbre ne peut engloutir cette lumière.
Alors nous pouvons poser des questions ouvertes, car aucun modèle social, politique ou religieux ne peut poser un point final à l’histoire.
Nous pouvons lever les yeux et voir des signes de vitalité, de fraternité, de compassion, et en produire nous-mêmes librement, délibérément.
Nous pouvons, malgré les impasses et les peurs, reconnaître des initiatives de solidarité, de justice, de préservation des vivants et nous y associer ou en créer.
Nous pouvons nous mettre en quête de nouvelles manières de vivre ensemble, plus respectueuses d’autrui et de la terre, en étant vigilant à ce qu’une idolâtrie ne soit pas remplacée une autre.
Nous pouvons aller en Galilée, lire et relire à nouveau les Écritures pour pouvoir interpréter d’une voix libre et intègre notre existence de ressuscité(e), ressuscité(e) par la grâce, par l’amour, par la fidélité du Dieu de Jésus-Christ.