Prédication du 5 juin 2022

Pentecôte

de Dominique Hernandez

Hineni, Me voici

Lecture : 1 Samuel 3, 1-10

Lecture biblique

1 Samuel 3, 1-10

1 Le jeune Samuel officiait pour l’Éternel devant Eli. La parole de l’Éternel était rare en ces jours-là, les visions n’étaient pas fréquentes.
2 Un jour qu’Eli était couché à sa place — ses yeux commençaient à s’affaiblir, il ne pouvait plus voir ; 
3 la lampe de Dieu n’était pas encore éteinte, et Samuel était couché dans le temple de l’Éternel où était le coffre de Dieu — 
4 l’Éternel appela Samuel. Il répondit : Je suis là ! 
5 Il courut vers Eli et dit : Me voici ! Tu m’as appelé ? Eli répondit : Je n’ai pas appelé ; retourne te coucher ! Il alla donc se coucher. 
6 l’Éternel appela de nouveau Samuel. Samuel se leva, alla trouver Eli et dit : Me voici ! Tu m’as appelé ! Eli répondit : Je n’ai pas appelé, mon fils ; retourne te coucher ! 
7 Samuel ne connaissait pas encore l’Éternel ; la parole de l’Éternel ne s’était pas encore révélée à lui.
8 L’Éternel appela de nouveau Samuel, pour la troisième fois. Celui-ci se leva, alla trouver Eli et dit : Me voici ! Tu m’as appelé ! Eli comprit alors que c’était l’Éternel qui appelait le garçon. 
9 Eli dit à Samuel : Va te coucher ; s’il t’appelle, tu diras : « Parle, Éternel; moi, ton serviteur, j’écoute. » Samuel alla donc se coucher à sa place.
10 L’Éternel vint et se tint là. Il appela comme chaque fois : Samuel ! Samuel ! Samuel répondit : Parle ! Moi, ton serviteur, j’écoute.

Prédication

Le jeune Samuel, se lève, se tient devant Eli et dit : Me voici.
Nous venons de voir deux jeunes filles se lever, se tenir devant nous et parler, et je crois que leur prise de parole était une manière de dire : Me voici. Me voici, moi Elsa. Me voici, moi Sophie.
Me voici et c’est dans le prolongement de ces deux mots, parce que ces deux mots imprègnent sa personne et cet instant que Samuel dit à l’Éternel : Parle, ton serviteur écoute.
Et aussi parce que Éli a dit à Samuel qui l’appelait et comment répondre.
De même, ce que Sophie et Elsa ont dit, elles l’ont dit dans l’élan d’un me voici même si elles n’ont pas prononcé ces deux mots. Et elles l’ont dit parce que d’autres personnes, depuis des années, les ont aidées, accompagnées afin qu’elles puissent parler devant nous aujourd’hui.

Samuel ne connaissait pas l’Éternel : c’est-à-dire qu’il n’avait pas de relation avec Dieu. Cela ne l’empêchait pas de savoir un certain nombre de choses : il servait Éli, le prêtre du sanctuaire de Silo, où brillait la lampe et où était déposé le coffre de l’Éternel. Samuel avait des connaissances sur le culte, les rituels, les sacrifices, mais il ne connaissait pas l’Éternel, la parole de l’Éternel ne s’était pas révélée à lui.
Le récit évoque un temps et une forme de la religion où la parole de Dieu passait par l’intermédiaire des prophètes, des hommes de Dieu qui transmettaient les messages divins. Samuel sera l’un de ceux-là et l’un des plus grands. Mais il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Ce n’est plus le temps des intermédiaires obligés, des médiateurs incontournables. Aujourd’hui c’est le temps où chacun peut entendre la parole pour sa vie, par l’Esprit, l’Esprit dont nous célébrons le don à Pentecôte et qui n’est pas réservé à quelques-uns. Cependant le récit de Samuel nous aide à comprendre quelque chose de la parole qui appelle et de celui ou celle qui répond.
Samuel ! Samuel ! L’appel n’est pas lancé aux quatre vents, il est adressé à une personne précise, distincte, singulière. Même si Samuel ne sait pas encore qui l’appelle, c’est lui qui est appelé. Une parole qui appelle, un nom qui se fait entendre et résonne doucement ou bruyamment : c’est un commencement. C’est toujours un commencement, un avènement, comme une naissance au monde et à soi.
C’est ainsi que les textes bibliques témoignent que Dieu est pour nous Dieu en relation. Sa parole n’est pas un son perçu par les oreilles, comme lorsque quelqu’un parle. Comme Elsa et Sophie l’ont dit, et avec beaucoup plus de véhémence en séance de KT qu’aujourd’hui : Dieu n’est pas un quelqu’un. La parole n’est pas un son, mais un saisissement qui survient, qui surprend, une brèche dans la pensée, l’ignorance, les convictions ou les habitudes, brèche par laquelle passe un éclairage ; la parole est une puissance de transformation et d’orientation vers plus de beauté et de bonté, vers un surcroit, une plénitude de vie vivante.
A cette parole est associée le Souffle, car pour parler, il faut du souffle, nous pouvons tous faire cette expérience. C’est aussi par le souffle divin que nous la discernons, que nous la recevons, c’est le souffle qui la transmet et nous la fait comprendre et qui la fait agir en nous. Dans la manière de parler de Dieu et de la foi, le souffle et la parole sont étroitement liés pour exprimer que Dieu communique et que ce qu’il communique transforme. Parole, Souffle ce sont des mots images qui ne prétendent pas affirmer une vérité sur ce qu’est Dieu en lui-même, mais qui rendent compte de Dieu avec nous, et sérieusement, nous ne pouvons rien dire de plus sinon ce serait vaine spéculation.

Samuel ! Samuel ! Samuel répond : Me voici ! Un seul mot en hébreu : Hineni, et c’est un des mots très importants de la Bible. Une parole humaine, qui répond à un appel. Une parole prononcée par Abraham et par Ésaïe, par Samuel et par Ézéchiel, par le psalmiste et par Isaac, par Zacharie et par Jacob, et tant d’autres. Une parole incarnée par Jésus répondant par sa vie, actes et paroles, et jusqu’au bout, jusqu’à donner sa vie et jusqu’à la perdre, répondant à la parole entendue lors de son baptême : celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai pris plaisir.
Me voici, hineni
 : un mot pour dire toute la densité d’une présence humaine. Je suis là, présent, je ne me cache pas, je ne fuis pas.
Hineni, me voici sans protection, sans masque, sans ambition mais dans la simplicité et peut-être le dénuement de mon être.
Hineni, me voici sans ruse ni tentative de manipulation, sans duplicité visant à se servir de Dieu à coup de sacrifices, de bonnes œuvres, de serments, de prières.
Hineni, me voici, je m’avance, je m’expose, je me tiens là. Pas comme un héros ou une héroïne, qui suscite l’admiration des foules, ni comme un accusé devant un tribunal, mais dans la simplicité, dans la fragilité d’un enfant, et même dans le dénuement.
Ainsi Elsa et Sophie se sont-elles tenues debout devant nous, parce qu’elles ont entendu un appel. Comment ? cela leur appartient, et ce n’est pas toujours facile de dire la manière dont la parole nous a saisis, comment et quand nous nous sommes sentis appelés, concernés, convoqués, de manière à répondre : Me voici.
C’est une parole, et c’est un acte de présence, un geste d’être qui ne peut être imposé, 

sinon ce n’est pas moi que voici,
parce que l’appel signifie que Dieu a besoin de Samuel, de Sophie et d’Elsa, de nous, besoin que des hommes, des femmes, des jeunes répondent à l’appel, à la parole qui surgit, qui saisit. 

C’est bien ce qui se passe aussi dans le récit de Pentecôte dans le livre des Actes : la Parole de Dieu ne retentit pas dans le monde entier du haut des cieux, elle passe par les disciples auquel est donné le Souffle symbolisé par les langues de feu qui se posent sur chacun d’eux, un souffle qui les fait parler de manière à être entendu et compris de tous ceux qui sont à Jérusalem écrit Luc. La terre entière semble rassemblée à Jérusalem dans ce récit qui ouvre à ceux des grandes traversées de Pierre et surtout de Paul annonçant la Bonne Nouvelle à tous. Cela ne se fait pas sans nous, sans la réponse et la responsabilité libre et joyeuse de ceux qui se laissent saisir par l’appel, par la parole qui fait parler.

Samuel ! Samuel ! L’appel distingue le jeune garçon, personnellement, singulièrement, en terme religieux, cela se dit vocation. Mais celui ou celle qui répond, toujours et seulement en son nom propre, n’est pas isolé. Il ou elle est précédée d’une vaste assemblée, celle de tous ceux qui ont déjà répondu. Aujourd’hui nous appelons Église l’ensemble de ceux qui ont été et sont appelés, à travers le temps, à travers l’espace, en entendant à travers les témoignages des évangiles et d’autres humains ce que Jésus de Nazareth, le Christ révèle de Dieu. Nous appelons Église l’ensemble de ceux qui ont entendu d’une manière ou d’une autre une parole pour eux, de quelque manière que ce soit et qui se mettent en recherche, qui se mettent à parler, qui partagent ce qu’ils découvrent, qui transmettent des mots, des gestes.
L’Église est le lieu de la multiplication des paroles, des pensées, des idées, des compréhensions, des interprétations, et tout cela n’est pas n’importe quoi mais lieu de la vie même, ce que le récit de Pentecôte illustre avec ces disciples qui sortent et parlent et qui sont compris de tous. Pas seulement les Douze, mais ceux qui étaient avec eux, Luc un peu plus haut a donné le chiffre de 120, des femmes, des hommes et certainement des jeunes aussi. Vous aussi, Elsa et Sophie, vous avez des paroles à offrir, à transmettre, des ouvertures, de l’horizon, un bout de chemin. L’Esprit, le Souffle de Pentecôte c’est un grand mouvement, une vaste discussion rebondissant des uns aux autres et dans laquelle la parole passe, traverse, perce. Ceux pour qui la figure de Jésus parle de Dieu le révèlent à leur tour en donnant à d’autres de quoi répondre à l’appel et poursuivre leur quête, des paroles, des expressions, des nuances pour formuler ce qui se passe en soi et entre nous.
L’Église est un lieu de reconnaissance, de la transcendance qu’on y désigne par le mot Dieu qui n’est pas un nom, reconnaissance de chacun par les autres, et reconnaissance, presque dans le sens de découverte, de soi. Et cela afin que chacun puisse répondre en son nom propre de ce qu’il a entendu, de ce qui l’a saisi, de sa quête, de ce qu’il a compris et qui devient part de lui-même ou d’elle-même. L’Église de Pentecôte est le lieu, l’ensemble de ces personnes attentives aux résonances entre des paroles : celles de la Bible, celles d’autrui et les leurs, et aux résonances entre ce qui est offert, ce à quoi chacun aspire, et ce que chacun découvre chemin faisant.

Éli finit par comprendre qui appelle Samuel et lui indique que dire : Tu diras : Parle Éternel, ton serviteur écoute. Éli est à ce moment un passeur de spiritualité, un ouvreur d’esprit, il donne des mots, des images au jeune Samuel, et peut-être Éli est-il conscient qu’il s’agit d’un héritage. Samuel ne sera pas Éli. Mais en cet instant il reprend les mots d’Éli : Parle, ton serviteur écoute. Et c’est tout un travail, une quête spirituelle de l’âme, du cœur, de l’esprit, de l’être, car l’écoute est une composante indispensable de la vie vivante, écouter Dieu, les autres, le monde et soi-même aussi. Écouter pour ne pas confondre les multiples voix qu’on entend, et d’autres nous y aident. Écouter comme le fait retentir le premier mot du Décalogue, les Dix Paroles de Vie : Écoute Israël, l’Éternel ton Dieu est un. Écouter comme le nom de Samuel le porte puisque Samuel signifie Dieu écoute.
Parle Éternel, ton serviteur écoute. Serviteur. Le mot vient autant de la position de Samuel qui est déjà dans le temple serviteur du prêtre qui sert l’Éternel que d’une compréhension parmi d’autre de la relation entre l’Éternel et l’humain. Un service dont la notion surprend ou rebute parfois lorsqu’il s’agit de parler de relation à Dieu, de foi et de confiance. Cependant, c’est aussi un mot que Jésus endosse et transmet à ses disciples, en ce que ce service ne consiste pas en une soumission muette et irresponsable, mais en une reconnaissance d’autrui comme une personne porteuse d’un reflet du divin. Serviteur, c’est l’exemple que Jésus de Nazareth donne à ses disciples en leur lavant les pieds, c’est-à-dire en prenant soin d’eux et en les honorant. Il n’y a rien d’humiliant ni de dégradant à être de ces serviteurs-là, au service de l’humain, de chacun, au service de la divine volonté de vie vivante. Ces serviteurs-là ne répondent pas à des ordres, mais ils répondent à la grâce, à l’amour, à la confiance qui leur est faite, à l’espérance déposée en eux.
Serviteur, c’est le mot donné par Éli à Samuel, mais il en est d’autres pour exprimer la relation entre l’humain et Dieu : le mot enfant donné par exemple dans la liturgie du baptême, le mot disciple reçu à travers la lecture des Écritures, le mot Heureux donné par le discours sur la montagne de l’évangile de Matthieu, et d’autres encore. Un seul mot ne suffit pas pour dire les merveilles de Dieu à notre égard.
De même qu’Éli désigne Dieu à l’aide du tétragramme, les quatre lettres hébreux qui expriment une dynamique de vie, mais il est d’autres manières de le désigner en lui parlant ou en parlant de lui. Et chacun, par héritage et conviction, par le don du souffle divin peut trouver le souffle d’un mot ou d’une expression qui ne sera pas le nom de Dieu mais sa propre manière de le désigner. Origine et message, a aujourd’hui dit Elsa, lumière a aujourd’hui dit Sophie.

Hineni, c’est le mot, la parole de celui ou celle qui parle. Me voici, devant toi, Dieu, je me tiens ; et devant vous je me tiens. Parole de sujet, réponse à un appel personnel et ce qui importe, c’est d’ainsi se présenter, être présent. Il n’est pas besoin de justifier de mérites ni même d’une identité. L’identité de celui qui est appelé, c’est l’affaire de Dieu. Il est tout à fait possible de répondre me voici sans savoir exactement qui l’on est, qui l’on deviendra, sans attendre d’avoir construit et établi son identité. Me voici, hineni sans description, sans précision, sans complément, sans narration supplémentaire, cela suffit. Jésus de Nazareth n’a pas choisi ses disciples en épluchant une liasse de curriculum vitae…
Un sujet se lève, sujet écoutant, sujet parlant, et qui n’est pas bloqué dans sa réponse présente, car la fidélité est bien autre chose que la conservation ou la crispation.
Ce qui est certain, c’est que le sujet qui se lève en disant hineni est de toute manière toujours un sujet qui se met en quatre : un sujet qui se met en Je, en Tu, en Il ou Elle, et en nous ;

le Je de la personne qui parle, le Tu de la personne qui me parle et à qui je parle (Dieu ou autrui), le Il ou le Elle de celui ou celle que je vais servir, aider, honorer, aimer, et le Nous de ceux avec lesquels celui ou celle qui parle est reliée.

Elsa, Sophie, vous avez porté ici votre parole de sujets responsables. Vous voici chacune appelées à la porter à nouveau, encore. Et nous ici, nous vous écouterons, et nous vous parlerons. Nous parlerons ensemble des merveilles de Dieu, de ce que c’est devenir humain dans ce monde agité et incertain, de ce qui nous tient vivants et les uns avec les autres et qui est désigné en un mot par celui d’Évangile. Et nous irons le dire à d’autres encore, nous irons le vivre parmi eux, avec eux, respirant, inspirés par le Souffle de Pentecôte.