Prédication du 17 novembre 2019

Jésus ne s’intéresse pas aux justes

d’Henri Persoz

Lectures : Matthieu 9, 9-13

Lectures

Matthieu 9, 9-13

Jésus appelle Matthieu

9 Comme il s’en allait, Jésus vit, en passant, assis au bureau des taxes, un homme qui s’appelait Matthieu. Il lui dit : « Suis-moi. » Il se leva et le suivit.
10 Or, comme il était à table dans sa maison, il arriva que beaucoup de collecteurs d’impôts et de pécheurs étaient venus prendre place avec Jésus et ses disciples.
11 Voyant cela, les Pharisiens disaient à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs ? »
12 Mais Jésus, qui avait entendu, déclara : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades.
13 Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. »

Prédication

Quel délicieux festin est raconté par les trois évangiles synoptiques, de façon très comparable, avec cependant quelques détails propres à chaque évangile. C’est ainsi que nous pouvons parler d’un festin organisé par Matthieu, probablement quelques jours après avoir suivi l’appel de Jésus. 

Nous y trouvons là, rassemblée, une grande partie des groupes qui se croisent et s’entrecroisent tout au long des évangiles. Autour de  Jésus, il y a évidemment ses disciples ; et puis beaucoup de collecteurs d’impôts, les amis de Matthieu, puisque lui-même était collecteur d’impôts. Ils sont toujours pris pour cible des personnes haïssables dans les évangiles. D’abord parce qu’ils collaborent avec la puissance romaine occupante. Ce sont des collabos. Et ensuite parce qu’ils gardent une partie des taxes collectées pour eux-mêmes, comme rémunération de leur travail. Mais ce sont eux qui en fixent le montant. Et les autres considèrent évidemment que c’est toujours trop, comme on le voit aujourd’hui encore.  Et Jésus choisit volontairement un collecteur d’impôt parmi ses disciples, et avec quelle autorité puisque Matthieu, à son bureau des taxes, ne peut faire autrement que de le suivre.  Jésus ne recherche pas à s’entourer d’une troupe de gens irréprochables. Mais il préfère des gens mal-aimés pour montrer sans doute jusqu’où doit aller la compassion dont il nous parle dans cette histoire.

Nous avons ensuite à ce repas des pécheurs. Ils n’ont pas plus péché que les autres, mais ils ne sont pas juifs, ou à la marge du judaïsme, pas spécialement pieux et ne suivant pas bien, ou pas du tout, la loi juive. Disons des juifs sociologiques. Mais surtout la scène se passe en Galilée, pas loin du lac de Tibériade, et dans ce pays, il n’y avait pas que des juifs dans la population, loin de là ; mais encore beaucoup de païens, venus de plus loin et plus ou moins influencés par la culture grecque. Et tout ce qui n’était pas juif,  pas assez juif en ne suivant pas bien la loi, c’était des pécheurs, à mettre dans le même sac que les collecteurs d’impôts. D’ailleurs, dans le Nouveau Testament, le mot pécheur est souvent synonyme de païen.

Et puis les inévitables Pharisiens qui harcèlent Jésus tout au long des évangiles et qui, eux, suivent bien la loi et reprochent à Jésus de manger chez un collecteur d’impôts et avec des pécheurs.  Ils ne s’étaient donc probablement pas invités au festin, Dieu les en garderait bien, mais regardaient simplement tous ces convives, peut-être assis sur le rebord de la fenêtre.

Pour ces repas populaires, c’était un peu comme chez nos jeunes aujourd’hui. On prévoyait un festin, celui-là en l’honneur de Jésus, mais on ne savait pas très bien qui allait venir, les portes étaient ouvertes, et venait qui voulait. Ceci explique que beaucoup s’invitaient d’eux-mêmes, et ici nous avons  même des étrangers, des pécheurs, attirés par la réputation de Jésus.

Beaucoup de repas sont décrits dans  la vie mouvementée de Jésus, depuis les noces de Cana jusqu’à la Cène, en passant par la multiplication des pains, beaucoup de repas aussi chez les pharisiens, sans compter les paraboles comme justement celle d’un roi qui donne un grand festin auquel tous les invités ne viennent pas.

 Comme aujourd’hui, les repas, petits ou grands, étaient le moment du partage entre les amis. Partage du pain pour vivre, mais aussi de la parole, des amitiés, des solidarités, des soutiens aux uns et aux autres. C’est le partage qui crée la communauté. Les repas commencent toujours par la bénédiction, moment pour rendre grâce à Dieu, l’Eucharistie, comme on dit en grec. Rassemblement préfigurant d’une certaine façon le Royaume de Dieu représenté souvent par un grand festin. Comme dit un convive, lors du repas raconté par l’évangile de Luc « Heureux celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu ».  Bonne raison donc pour ne pas manger avec les pécheurs qui ne seront sûrement pas invités dans le Royaume, ces étrangers qui  viennent d’on ne sait pas où et qui surtout ne vivent pas comme nos pères nous l’ont enseigné. Que viennent-ils faire chez nous ? Qui les a invités ? Et regardez comment ils mangent ! Ils ne connaissent même pas nos bonnes manières qui nous viennent de Moïse et de quelques autres prophètes.  La solidarité entre nous, d’accord. Mais il faut savoir où l’arrêter.

Jésus inverse complètement les arguments : «  Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecins, mais les malades ». Le plus important dans ces repas, ce n’est pas de vous tenir entre vous, qui êtes de la bonne société, mais d’accueillir aussi les autres, pas bien intégrés dans le judaïsme,  les pécheurs,  et ceux que vous ne pouvez pas supporter, les collecteurs d’impôts. Vous n’avez pas besoin qu’on s’occupe de vous. Mais ceux-là qui viennent d’ailleurs,  qui ne croient pas forcément ce que vous croyez, ceux-là qui sont réprouvés, malades, fragilisés parce qu’ils ne trouvent pas bien leur place dans ce judaïsme ancestral, bref, les pécheurs, c’est eux qui ont besoin d’être accueillis, d’être admis dans la communauté.

Jésus va rechercher l’aide du prophète Osée qui reproche à la population d’Israël d’aimer comme la rosée du matin ; elle est bien rafraîchissante, mais elle ne dure qu’un instant. L’amour qui passe mais qui n’a pas de solidité. Comme le sacrifice d’un instant, et puis l’on passe à autre chose.  Mais Dieu réclame bien plus : la compassion, une compassion durable :

Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs.

L’apôtre Paul explique bien que la foi rend juste. Et cette affirmation redécouverte par Luther, a été une des bases de la Réforme. L’évangéliste Matthieu, qui n’a rien à voir avec celui qui reçoit Jésus dans sa maison, ne dit pas le contraire. Il écrit simplement que Jésus ne s’intéresse pas aux justes mais à tous ceux qui viennent d’ailleurs d’une autre culture et qui sont donc pécheurs et qui s’installent à notre table.

Qu’est-ce d’ailleurs qu’être juste ? Les justes, hier comme aujourd’hui, sont ceux qui se considèrent du bon côté, comme les pharisiens, du côté de Dieu, protégés par Dieu. Il faudra encore plusieurs révolutions pour que la justice, celle prêchée par les évangiles, s’installe vraiment dans notre monde.

Chers amis, qui pensons avec Paul que, puisque nous avons la foi, nous sommes justes, ou puisque nous avons un peu de foi, nous sommes un peu justes, réalisons bien que Jésus ne s’intéresse pas à nous, mais à tous les autres, qui sont malades, pécheurs, mal à l’aise, souvent venus de loin, d’un autre monde. 

C’est la compassion que je veux, dit Jésus, en réponse aux pharisiens.

Amen