Prédication du 20 février 2022

de Dominique Hernandez

La paix et la force que tu as

Lecture : Juges 6, 1-24

Lecture biblique

Juges 6, 1-24
(d’après la version de la Colombe)

1 Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux de l’Éternel ; et l’Éternel les livra entre les mains de Madian, pendant sept ans. 
2 La main de Madian fut puissante contre Israël. C’est à cause de Madian que les Israélites se firent des trous dans les montagnes, des cavernes et des lieux escarpés. 
3 Quand Israël avait semé, Madian montait avec Amalec et les bédouins de l’Orient, et ils montaient contre lui. 
4 Ils campaient en face de lui, détruisaient les productions du pays jusque vers Gaza et ne laissaient en Israël ni vivres, ni brebis, ni bœuf, ni âne. 
5 Quand ils montaient avec leurs troupeaux et leurs tentes, ils arrivaient comme une multitude de sauterelles, et ils étaient innombrables, eux et leurs chameaux, et ils venaient dans le pays pour le ravager. 

6 Israël fut très appauvri par Madian, et les Israélites crièrent à l’Éternel. 
7 Lorsque les Israélites crièrent à l’Éternel au sujet de Madian, l’Éternel leur envoya un prophète. 
8 Il leur dit : Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël : Je vous ai fait monter d’Égypte et je vous ai fait sortir de la maison de servitude . 
9 Je vous ai délivrés de la main des Égyptiens et de la main de tous vos oppresseurs ; je les ai chassés devant vous et je vous ai donné leur pays. 
10 Je vous ai dit : Je suis l’Éternel, votre Dieu : vous ne craindrez pas les dieux des Amoréens dans le pays desquels vous habitez. Mais vous n’avez pas écouté ma voix. 

11 Puis vint le messager de l’Éternel, et il s’assit sous le térébinthe d’Ophra, qui appartenait à Joas, (du clan) d’Abiézer. Gédéon, son fils, battait du froment au pressoir pour le mettre à l’abri de Madian. 
12 Le messager de l’Éternel lui apparut et lui dit : L’Éternel est avec toi vaillant héros ! 
13 Gédéon lui dit : Ah ! mon seigneur, si l’Éternel est avec nous, pourquoi tout cela nous est-il arrivé ? Et où sont tous ses prodiges que nos pères nous racontent, quand ils disent : l’Éternel ne nous a-t-il pas fait monter hors d’Égypte ? Maintenant, l’Éternel nous abandonne et nous livre entre les mains de Madian ! 

14 L’Éternel se tourna vers lui et dit : Va avec cette force que tu as, et tu sauveras Israël de la main de Madian ; n’est-ce pas moi qui t’envoie ? 
15 Il lui répondit : Ah ! mon seigneur, avec quoi sauverai-je Israël ? Voici que ma parenté est la plus pauvre en Manassé, et je suis le plus petit dans la maison de mon père. 
16 L’Éternel lui dit : Mais je serai avec toi et tu battras Madian comme un seul homme. 
17 Il lui répondit : Si j’ai obtenu ta faveur, donne-moi un signe que c’est toi qui me parles. 
18 Ne t’éloigne pas d’ici, je t’en prie, jusqu’à ce que je revienne auprès de toi, que j’apporte mon offrande et que je la dépose devant toi. Il dit : Je resterai jusqu’à ce que tu reviennes. 

19 Gédéon alla préparer un chevreau et fit avec un épha de farine des pains sans levain. Il mit la chair dans une corbeille et le jus dans un pot, les lui apporta sous le térébinthe et les présenta. 
20 le messager de Dieu lui dit : Prends la chair et les pains sans levain, dépose-les sur ce rocher et répands le jus. Et il fit ainsi. 
21 le messager de l’Éternel avança l’extrémité du bâton qu’il avait à la main et toucha la chair et les pains sans levain. Alors du rocher monta le feu qui consuma la chair et les pains sans levain. Et le messager de l’Éternel disparut à ses yeux. 
22 Gédéon vit que c’était le messager de l’Éternel. Gédéon dit : Malheur à moi, Seigneur Éternel ! car j’ai vu le messager de l’Éternel face à face. 
23 Et l’Éternel lui dit : Sois en paix et sans crainte, tu ne mourras pas. 
24 Gédéon bâtit là un autel à l’Éternel et lui donna pour nom : l’Éternel-Paix ; il existe encore aujourd’hui à Ophra d’Abiézer.

Prédication

Qui sont les vaillants héros ? Nous pouvons avoir en tête des noms venus des événements de l’histoire d’un peuple, d’un pays, des noms que des circonstances et des situations particulières ont mis en avant, des noms qui restent inscrits dans les mémoires, dans des livres, dans des monuments.
Il y a presque deux ans, les soignants étaient applaudis tous les soirs, et les cloches du Foyer de l’Âme sonnaient pour les encourager et les remercier, et avec eux, celles et ceux qui assuraient des tâches indispensables et pourtant peu valorisées.
Nous pouvons aussi penser à celles et ceux qui viennent en aide au personnes démunies, affligés, méprisées, des bénévoles de l’épicerie solidaire du 11° au bénévoles des associations qui à Calais et ailleurs tentent de maintenir la dignité des migrants chassés, refoulés, renvoyés.
Aucun de ceux-là ne cherche à être qualifié de vaillant héros. Ils disent qu’ils font ce qu’il faut faire, qu’ils font ce qu’ils doivent faire en conscience et au quotidien.

Faut-il une guerre, un conflit, une crise pour devenir un vaillant héros ? Il n’en manque pas, jamais, de guerre, de conflit et de crise.
Madiân fond sur les Israélites comme un rapace sur sa proie, et aucun israélite ne se sent un vaillant héros. Ils sont réduits à se terrer, comme s’enterrer, dans les trous des montagnes sans autre certitude pour le lendemain qu’une possible attaque de Madiân qui pille et détruit. Se terrer, s’enterrer dans l’angoisse du lendemain, de la famine, de la mort, en tâchant de sauvegarder un peu de bétail, un peu de grains. Se terrer, s’enterrer, en quelque sorte faire les morts ; ce n’est pas une vie. Et il n’y a pas de paix.
Pas de paix en Israël, mais la paix, shalom, ce n’est pas seulement l’absence de conflit armé.
Le mot hébreu shalom est construit sur une racine évoquant l’idée de rendre entier, l’intégrité, la plénitude, la restauration, et même la vérité.
Ce récit est suffisamment précis pour décrire, c’est-à-dire pour faire comprendre aux lecteurs ce qu’est la paix et ce qui l’empêche. Shalom, la paix est déployée en plusieurs dimensions : celle de la spiritualité, celle du sens, celle de la justice, celle de la confiance.

Le livre des Juges est rythmé par quelques refrains très brefs dont l’un inaugure le récit de Gédéon : Les Israélites firent ce qui déplaisait à l’Éternel, littéralement : ils firent mal. Ce faire mal est expliqué par le prophète qui parle au nom de l’Éternel : vous ne m’avez pas écouté. Le verbe écouter renvoie à l’avant-première des dix paroles de vie, le Décalogue, les 10 promesses qui tracent le chemin pour une vie en plénitude, en intégrité, une vie entière et pas disloquée. Juste avant la première parole, retentit le verbe : Écoute ! Écoute Israël, l’Éternel ton Dieu est UN. Mais, racontent le livre des Juges et bien d’autres livres, Torah ou Prophètes, Israël n’a pas écouté.
La libération de l’esclavage ne garantit pas l’écoute.
Alors il y a du mal, alors il n’y a pas de paix car ses dimensions sont toutes altérées jusqu’à disparaître

  • Ce mal, qui fait mal, qui cause du malheur, c’est d’abord l’idolâtrie, le recours à des divinités qui ne libèrent pas mais qui asservissent. Idoles, idéologies, qui prétendent apporter salut et paix, ou seulement tranquillité, mais ce ne sont que mensonges et illusions. La spiritualité n’est plus une dynamique de vie mais elle s’échoue dans un encadrement des pensées et des paroles, une ritualité confinant à la magie, des incantations vaines.
  • Et devant les assauts de Madiân, qui représente une figure du mal, qui apporte le malheur et provoque des misères de toutes sortes, il n’est plus possible de résister, parce qu’il n’y a plus de sens, seulement s’enfouir dans les trous des montagnes, se terrer dans des refuges qui sont comme des tombeaux et des lieux sans issue. C’est comme un repli sur soi, un soi très étroit et perméable à toutes les tentations d’intégrisme (qui n’a rien à voir avec l’intégrité de shalom mais tout à voir avec l’esprit de division), les tentations de populisme, de nationalisme, tout ce qui est propice à fabriquer des ennemis et à empêcher la paix.
  • Dans ces conditions, les relations à l’intérieur du peuple ou d’une société sont profondément abîmées. Le livre des Juges se termine par une formule très simple : chacun en Israël faisait selon son bon vouloir. La justice comme socle de la possibilité de vivre ensemble n’a plus cours, et sans justice, il ne peut y avoir de paix.
  • Enfin, chacun, livré à lui-même, n’a pas assez d’assurance, de stabilité en soi pour tenir l’écoute, le sens, la justice ; c’est-à-dire qu’il n’y a plus de confiance en soi. Et qu’il n’y a plus, en soi, de confiance. Le manque de confiance en soi, c’est comme un manque de soi, un manque d’être personnel et singulier. 

Idolâtrie, injustice, manque de sens, manque de confiance en soi, chaque terme se nourrit des trois autres, chaque terme renforce les trois autres. Au lieu des quatre dimensions de la paix, ce sont les quatre dimensions du chaos qui sont déroulées et nous pouvons constater à quel point ce tableau correspond à l’actualité de notre monde dans ses manques et ses misères, ses incertitudes et ses angoisses, ses divisions et ses conflits.
Dans le récit, Israël est défait par Madian, défait comme un tissage, un ouvrage est défait. C’est-à-dire qu’Israël n’est plus fait comme un peuple libéré pour le service et la louange de Dieu ; il est défait, éparpillé en petits bouts dans des trous ; il est défait, démantelé par les raids, les razzias, désagrégé par le passage d’un nuage de criquets. Et cela dure 7 ans.
Alors au bout de 7 ans, forcément 7 ans, au bout de 7 ans de défaire, vient le temps de refaire, c’est-à-dire de recréer dans ce chaos, comme aux 7 jours du premier chapitre de la Genèse, recréer pour le shalom, la paix, recréer de l’humain. Dans la Bible hébraïque, 7 est le chiffre de la plénitude, de la bénédiction, en quelque sorte c’est aussi, ici, le chiffre de la paix restaurée et restauratrice d’être.

Cette re-création a besoin de Gédéon.
Gédéon qui est occupé à battre le froment dans le pressoir pour ne pas être remarqué par des madianites en quête de pillage. Gédéon bat le froment dans un lieu clôt où il doit quand même étouffer entre la paille, la balle, le grain et la poussière.
Gédéon qui est le plus petit de sa famille qui est la plus faible de la tribu de Manassé, laquelle n’est qu’une demi-tribu d’Israël, l’autre moitié étant Ephraïm. Après 7 ans de chaos madianite, le plus petit de la plus petite famille de la plus petite tribu n’est certainement pas le seul à se sentir tout petit en Israël.
En quoi Gédéon est-il un vaillant héros ?

Il y a tellement de raisons de se sentir tout petit comme Gédéon, après 2 années épuisantes, 

se sentir écrasé sous l’empilement des crises économiques, sociales, sanitaires, écologiques,
tassé sous les jugements portés sur chacun, les classements, les catégories, la pression pour réussir sa vie,
compressé par le poids des injonctions à la performance,
se sentir atterré par la ce qui se passe en Ukraine, en Birmanie, au Yemen et dans bien d’autres pays, et par la prolifération dans ce pays -ci des discours d’exclusion, de méfiance, de haine.

Mais voici le temps de la re-création, de la création qui se poursuit, 

et Gédéon enfoui dans le pressoir est appelé vaillant guerrier, appelé à sauver son peuple de Madiân
et le peuple enfoui dans les grottes est appelé à vivre paisiblement, chacun dans sa maison, cultivant sa vigne, s’asseyant sous son figuier…

Mais pourquoi le plus petit ? Et pas le plus fort ? ou un guerrier éprouvé ?
Parce que la conviction de ce récit est que l’Éternel ne voit pas et ne pense pas comme nous.
Parce que le plus petit, c’est la prédilection du Dieu des Écritures. Les plus petits, les cadets, les femmes, les malades, les réprouvés, les abandonnés, la brebis perdue, la petite Marie. Pour faire passer le salut, et le shalom, les hommes forts, les puissants, ceux qui ont le pouvoir ou le prestige aux yeux du monde ne conviennent décidément pas. Jésus de Nazareth, qui n’a jamais usé de la force, a été crucifié, révélant ainsi combien le Dieu dont il est le Christ renonce à l’usage de la force, de la contrainte, de la séduction, de tout mode de relation qui altèrerait la liberté et la responsabilité des humains. L’apôtre Paul écrit dans la 1ère lettre aux Corinthiens que Dieu choisit ce qui est faible pour confondre ce qui est fort. Ce n’est pas que Dieu soit faible ou impuissant, mais c’est qu’il n’use pas d’autre chose que de don, don de confiance et de grâce
Le salut et le shalom se disent dans le plus petit, qui prend confiance en lui parce que l’Éternel lui fait confiance.
Le vaillant héros n’est pas celui qui les muscles les plus endurcis, ni les armes les plus efficaces, ni la puissance la plus importante. C’est celui ou celle à qui Dieu fait confiance, celui ou celle que Dieu appelle.
C’est difficile à croire, et d’ailleurs Gédéon n’y croit pas tout de suite, il lui faut contester, discuter, avant de dire oui, un petit oui encore conditionné à un signe qu’il exige de l’Éternel.

La création, re-création, le salut, le shalom tiennent à un « avec toi », un toi qui est une personne singulière et qui n’est pas figée dans une image, dans une apparence. La bonne nouvelle de la vie et de la paix se dit avec une association, une alliance, un partenariat de confiance seulement : je serai avec toi. La confiance de l’Éternel en Gédéon est solide comme le rocher sur lequel le plus petit de Manassé dépose son offrande.
Je serai avec toi : ni sans toi, ni contre toi, et Dieu ne s’impose pas, pas plus qu’il ne renonce même quand Gédéon demande un signe. Dieu acquiesce à cette requête car, comme le chante le psaume 103, il sait de quoi nous sommes formés. Le dialogue de Dieu et de Gédéon est rythmé par les mises en question et les conditions posées par Gédéon, mais Dieu accueille et prend au sérieux les paroles de l’homme.
Nous pouvons être incrédules, manquer de foi, cela ne nous est pas imputé en négatif. Dieu persiste, insiste, malgré les peurs et les enfouissements dans des trous, malgré les réactions de déni en violence face à la dureté du temps, malgré les fascinations pour des idéologies de force et/ou de chacun pour soi, malgré les tentations de céder à l’esprit de division. Ce à quoi nous sommes appelés est un don, le don d’un « avec toi », un don de confiance qui nous rend capables d’œuvrer, même dans le chaos, pour donner forme à la vie et à la paix. 

Va avec la force que tu as, dit l’Éternel. Mais quelle est cette force ? celle dont Gédéon use pour battre le froment ? Celle de Gédéon recréé en vaillant héros ? Ou celle de la confiance de Dieu en lui ?
Car faire confiance, c’est donner de la force à qui l’on fait confiance. Ainsi, nous ne savons pas quelle force et quelle capacité nous avons, puisque notre force, notre capacité ne dépendent pas seulement de nous. Quelles que soient les circonstances, et même dans le chaos, demeure cette confiance par laquelle il est possible de devenir encore, non pas en récompense, mais par grâce.
Avec Dieu, il n’y a pas seulement ce qui paraît, ni même seulement la réalité, il y a la possibilité d’un autrement, l’autrement de la confiance créatrice et recréatrice. Il ne s’agit pas d’une revanche ou d’une vengeance de la défaite ou de la faiblesse, mais d’une autre manière de voir et de penser, un renouvellement de l’intelligence, une conversion.

Finalement, le récit donne à lire la première bataille de Gédéon, et c’est un combat intérieur, pour qu’il se débarrasse de la croyance que Dieu devrait agir tout seul pour passer à la confiance de l’avec toi, pour s’ouvrir à une parole de création et de bénédiction, pour entrer dans l’alliance offerte, pour comprendre qu’il n’est pas destiné à rester passif, soumis aux événements et à la peur. Un combat intérieur grâce à Dieu, un combat dont l’issue est le shalom en Gédéon, Gédéon qui, lorsque l’Éternel disparaît, construit un autel : L’Éternel est paix.
Nous aussi, nous pouvons construire sur la spiritualité, le sens, la justice et la confiance, non pas un autel, mais un chemin de paix.