Prédication du 2 mai 2021

de Dominique Hernandez

Maintenant, c’est à nous !

Lecture : Marc 16, 14-20

Lecture biblique

Marc 16, 14-20

14 Enfin, il se manifesta aux Onze, pendant qu’ils étaient à table, et il leur reprocha sévèrement leur manque de foi et leur obstination, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu après son réveil. 
15 Puis il leur dit : Allez dans le monde entier et proclamez la bonne nouvelle à toute la création. 
16 Celui qui deviendra croyant et recevra le baptême sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. 
17 Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : par mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront des langues nouvelles ; 
18 ils saisiront des serpents ; s’ils boivent un breuvage mortel, quel qu’il soit, il ne leur fera aucun mal ; ils poseront les mains sur les malades et ceux-ci seront guéris.

19 Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il s’assit à la droite de Dieu. 
20 Et ils s’en allèrent proclamer partout le message. Le Seigneur œuvrait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.

Prédication

Donc, pour ne pas en rester sur le silence et la peur des femmes au tombeau vide, l’auteur de la finale commence par un échec : celui des témoignages de Marie de Magdala et de deux hommes à qui le Ressuscité est apparu. C’est alors que Jésus ressuscité apparaît aux onze disciples avant d’être « enlevé au ciel », c’est-à-dire de ne plus être présent physiquement, matériellement dans le monde, avant de ne plus pouvoir être vu par des yeux, touché par des mains.
Le Ressuscité est désormais absent, mais cette absence n’est pas un abandon, elle n’est pas une absence vide qui laisserait les disciples livrés à eux-mêmes, aux regrets, aux souvenirs, au désarroi ou à la déception. En effet, les paroles qui sont adressées aux disciples par Jésus-Christ vivant portent en elles de quoi orienter et remplir leur existence, et celles de tous ceux qui veulent être disciples du Christ.

Le Ressuscité commence par réprimander sévèrement les Onze, il leur reproche leur manque de foi et leur obstination, littéralement leur incrédulité et leur cœur de pierre (dureté de cœur) car ils n’ont pas cru les trois témoins de ses apparitions : Marie de Magdala et les deux hommes qui étaient en chemin.
Et pourquoi ne les ont-ils pas crus ? Nous pouvons penser que les onze ont tous fait leur Thomas, ne croyant pas ce qu’ils n’ont pas vu de leurs yeux, ou bien qu’ils n’ont pas cru Marie de Magdala et les hommes qui marchaient parce que leurs témoignages ne concordaient pas. En effet le Ressuscité s’était manifesté aux hommes sous une autre forme qu’à Marie.
Il est vrai que les récits d’apparitions du Ressuscité dans le Nouveau Testament témoignent d’une multiplicité de la forme du Christ vivant :

tantôt il est reconnu, tantôt pas,
tantôt le texte insiste sur un réelle dimension corporelle, tantôt il le fait surgir au milieu d’une pièce fermée,
tantôt le Ressuscité est visible avec un corps, tantôt il est seulement audible dans une lumière éblouissante.

Cette diversité invite à ne pas nous crisper sur une seule manière de comprendre comment est le Ressuscité et à accueillir la diversité des témoignages de foi avec une souplesse de cœur, une souplesse d’esprit qui résiste au simplisme de l’opposition « avoir tort ou avoir raison », « être dans la vérité ou être dans l’erreur ». Car se tenir dans cette alternative conduit à rétrécir le monde et à le découper en camps retranchés. Ce n’est pas le monde ouvert par l’Évangile du Christ vivant.
L’incrédulité et la dureté de cœur que le Ressuscité reproche aux onze disciples désignent en creux la confiance et la souplesse de cœur et d’esprit auxquelles tous les disciples sont appelés, 

la foi non comme une somme d’articles à croire mais comme un cheminement
et un élargissement de l’esprit capable de reconnaître d’autres expressions de foi et de vie, sans forcément les adopter.

C’est avec cette ouverture de confiance et cette souplesse de cœur et d’esprit que le Ressuscité envoie ses disciples proclamer la bonne nouvelle dans le monde entier, c’est à dire vivre comme des disciples, vivre en témoignant par leurs existences de ce qui fait vivre les disciples, et qui les rend parlant, agissant, aimant, présents c’est-à-dire engagés dans le monde.
Dans le monde, et l’auteur précise : toute la Création. C’est bien plus que les seuls êtres humains, ce sont aussi les animaux, les végétaux, les minéraux, l’eau et la terre, la planète et l’univers, tout cela compris comme lieu et temps où les humains reçoivent la vocation d’exercer une responsabilité particulière de veille, de vigilance, de préservation, qui est en même temps vocation à l’action de grâce, à l’émerveillement reconnaissant.
Jésus-Christ ressuscité envoie ses disciples vivre dans la Création afin qu’ils s’y comportent selon ce que lui-même a manifesté d’attention, d’amour, de soi, de disposition et de capacité à relever et à réveiller. Jésus-Christ, enlevé au ciel et assis à la droite de Dieu est attesté, confessé comme modèle d’accomplissement de la volonté de Dieu, comme modèle d’accomplissement de l’être humain suscitant et inspirant les christs que sont appelés à devenir les disciples. 

Alors oui, bien sûr : chasser les démons, parler en langues nouvelles, saisir des serpents, boire un breuvage mortel, poser les mains sur les malades et les guérir, évidemment ! C’est cela vivre selon le Christ, vivre en lui, et vivre comme des christs. C’est notre vocation.
Tout cela, mais pas de manière littérale, en interprétant.
Chasser les démons, c’est à dire repousser ce qui écrase l’humanité d’une personne, sa conscience, sa liberté, sa capacité à faire confiance, sa vie intérieure. Le démon est ce qui envahit l’esprit de l’humain, comme une armée ennemie occupe un lieu pour y imposer sa loi, ses conditions, et ses objectifs. Ce peut être un esprit de convoitise ou de compétition, un esprit d’amertume ou de peur, ou une idéologie qui altère la représentation du réel. Un esprit, non pas un être surnaturel mais une forme d’esprit et de pensée qui prend la place de l’esprit et de la pensée libre, critique, capable d’initiatives, large et ouverte aux différences et à la diversité. L’évangile de Marc donne une large place aux récits d’exorcismes de Jésus qu’il décrit comme une œuvre de rétablissement de la vie de la vie et même de re-création d’une personne dans ses relations avec elle-même, avec les autres et avec Dieu.

Parler en langues nouvelles ne signifie pas qu’il faille apprendre le japonais ou le lingala. Cela évoque la disponibilité à écouter, comprendre et employer des langages différents, afin de s’adresser à d’autres générations, à ceux qui, au coin de la rue, ont d’autres cultures, d’autres codes, d’autres références et représentations du monde. Parler en langues nouvelles nécessite 

de la confiance : cela ne nous met pas en danger de nous intéresser à ce qui est différent
de la souplesse de cœur et d’esprit pour reconnaître ce qui est beau et bon dans une autre culture, une autre manière de dire et d’être et pouvoir ainsi entrer en dialogue
et le temps d’une maturation pour comprendre et s’efforcer d’être compris, en allant rejoindre les autres là où ils sont, sans les obliger à adopter notre propre langue. 

C’est aussi traduire l’Évangile qui n’est contraint par aucune forme, pour parler au cœur de ceux à qui l’on s’adresse, comme par exemple JS Bach l’a fait avec le langage de la musique et comme d’autres l’ont fait et le font dans les multiples domaines de l’art là où l’inspiration et la création recueillent, rassemblent, déploient, font du bien.

Saisir des serpents, plus exactement les lever ou les enlever et peut-être même les lever pour les enlever, pour les supprimer. Là encore le Christ exhorte à la confiance et à souplesse de cœur pour soulever le sable et les pierres et enlever ce qui est enfoui de menaces pour les humains, ce qui envenime les situations et les relations, ce qui siffle le dégoût et la peur, ce qui génère le sentiment d’être en danger. Il y en a des nœuds de vipères, enfouis sous les apparences, enfouis peut-être pour tenter d’y échapper ou de les oublier. Les exposer permet de les repérer et s’en débarrasser. Nous sommes appelés au courage et à l’espérance, au courage de l’espérance et de la foi pour mettre au jour ce qui menace l’humain et les sociétés humaines et qu’ainsi, les consciences réveillées, les responsabilités relevées, le monde devienne un peu plus vivable et la Création un peu plus respectée. 

Boire un breuvage mortel, ce n’est pas bien sûr se précipiter sur une coupe de cigüe pour une expérience qui se terminera mal. Certainement s’agit-il plutôt de plonger dans la réalité, avec les poisons de la haine et de l’indifférence qu’instillent les idéologies et les discours affolés par la diversité, les différences, les changements ; plonger dans la réalité avec la mort inéluctable à laquelle tant de discours proposent d’échapper à force de distractions ou d’accumulations mais qui sont comme autant de toxines qui détruisent l’intériorité de l’être. La confiance, la foi et la vie spirituelle soutiennent la capacité d’être et d’être vivant. La vie de la foi, la vie spirituelle, avec la méditation des Écritures, le partage avec d’autres personnes, la prière, cela nous aide à comprendre ce qui se passe dans le monde et à discerner ce qui est bon et fiable pour la Création, et à ne pas nous laisser submerger par ce qui ne l’est pas.

Poser les mains sur les malades, toucher : le geste implique de se rendre proche, de témoigner de la compassion. Il signifie le refus de se résigner à la souffrance, à l’isolement, le refus délibéré de se détourner de ceux qui sont affaiblis, fragilisés. Il marque un engagement de l’être, et le choix de la solidarité, de la fraternité, de l’amitié envers ceux dont l’être est altéré, ceux dont la vitalité est diminuée. Les mains des disciples, c’est-à-dire leurs présences réelles, nos mains, nos présences réelles peuvent soulager, aider ceux qui perdent espoir, sens et conscience. 

Dans le monde, le nôtre, traversé d’angoisses et de souffrances, en proie aux fuites, aux dénis, aux fragmentations, dans ce monde complexe et en évolution, nous sommes rendus capables par l’autorité du Christ de réparer, de restaurer, de soulager, de soigner, en son nom qui est un nom pour la guérison, le relèvement, le réveil.
L’Ascension n’oriente pas le regard et l’attente vers le ciel, mais vers le monde. L’Ascension n’engage pas dans un retrait du monde, mais dans une implication renouvelée. L’Ascension ne forge pas une passivité mais une dynamique de vie et de foi.
Le récit de l’Ascension, l’enlèvement de Jésus-Christ au ciel s’asseyant à la droite du Père, écrit en langage mythologique un message très simple : maintenant c’est à nous !