Prédication du 5 décembre 2021

d’Agnès Adeline-Schaeffer

Lecture : Luc 19, 1-10

Lecture biblique

Luc 19, 1-10

1 Jésus entra dans Jéricho et traversa la ville. 
2 Alors un homme du nom de Zachée qui était chef des péagers et qui était riche 
3 cherchait à voir qui était Jésus ; mais il ne le pouvait pas, à cause de la foule, car il était de petite taille. 
4 Il courut en avant et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. 
5 Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit : Zachée, hâte-toi de descendre ; car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison. 
6 Zachée se hâta de descendre et le reçut avec joie. 
7 A cette vue, tous murmuraient et disaient : Il est allé loger chez un homme pécheur. 
8 Mais Zachée, debout devant le Seigneur, lui dit : Voici, Seigneur : Je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. 
9 Jésus lui dit : Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d’Abraham. 
10 Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Prédication

Chers amis, chers frères et sœurs dans la foi comme en humanité, 

Il y a dans la Bible, des récits courts et surprenants, des récits qui n’ont l’air de rien au premier abord, mais dès lors qu’on prend la peine de les lire jusqu’au bout, alors on en découvre des richesses insoupçonnées et inattendues. 

Et l’histoire de Zachée en fait partie.

Zachée fait partie de ces personnages bibliques qui ne sont pas malades, ni boiteux, ni aveugles, ni sourds, et encore moins paralysés. On sait seulement que la nature l’a fait petit. (v.3). 

Cet homme a plutôt l’air de s’en sortir dans la vie, bien qu’il soit collecteur d’impôts. Ou justement, parce qu’il est collecteur d’impôts, ce qui pour les contemporains de cet évangile est synonyme de corruption, et même de servilité vis-à vis le l’occupant. 

L’évangéliste Luc est attaché à ces hommes qui exercent cette profession. Avec cette histoire de Zachée, cela fait onze fois qu’il mentionne ce métier mais ce sera la dernière, et pour insister sur l’importance de ce qui va suivre, Luc précise que Zachée est même le chef des collecteurs d’impôts, le chef des publicains. Et qu’il est en plus un homme riche. (v.2). 

Le prénom de Zachée contient un paradoxe en lui-même. L’étymologie de son prénom voudrait qu’il soit un homme intègre, un homme juste, mais dans la logique de son milieu, c’est tout le contraire. Il est qualifié par la foule qui l’entoure, d’homme pécheur (v.7). Étant donnés leurs contacts et de leur proximité trop grande avec l’occupant, les collecteurs d’impôts étaient mis au même rang que les prostituées. 

On s’interroge souvent sur les motivations qui ont conduit Zachée à vouloir voir Jésus. Il ne nous est rien dit dans le texte sur ses états d’âme ni sur son hypothétique désir spirituel. 

Jésus arrive dans la ville de Jéricho, la même qui avait entendu les trompettes retentir et vu les murailles tomber du temps de Josué (Jos. chap 6). Averti comme les autres de cette arrivée, Zachée cherche à voir qui est Jésus. Et c’est bien la question centrale qui traverse l’Evangile de Luc : découvrir qui est Jésus. Zachée enquête à sa manière sur l’identité de Jésus, et sa quête est très vive, ce qui l’amène à grimper dans un sycomore, un poste d’observation très commode, à la fois pour voir Jésus, de loin, mais sans être vu.  (v.3 et 4). 

Peine perdue, Jésus lève les yeux vers Zachée, Zachée croise le regard de Jésus. Et il est atteint de plein fouet. Comme une flèche en plein cœur, comme un rais de lumière qui perce l’ombre. Jésus interpelle Zachée. Il a reconnu dans la démarche de Zachée une vraie demande profonde. 

« Hâte-toi de descendre, car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison. » (v.5)  

En quelque sorte, Jésus s’invite chez Zachée, et il prend l’initiative de cette invitation. Ainsi, il reste dans une logique qui n’appartient qu’à lui, et qui sera dénoncée comme subversive par ses adversaires. Jésus, qui n’a pas un endroit où reposer sa tête, fait l’honneur de demander l’hospitalité à Zachée, cet homme riche et pêcheur. 

Cette concentration de détails nous renvoie au chapitre précédent, le chapitre 18 de cet évangile, où Jésus raconte la parabole du pharisien et du collecteur d’impôts et leur prière au temple, mais aussi la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche, qui s’en va tout triste, parce qu’il n’est pas encore prêt de suivre Jésus. Jésus donne l’occasion à Zachée de mettre en pratique ce qu’il avait recommandé sur l’accueil fait aux plus petits, alors qu’il se trouvait à partager un autre repas chez un pharisien. 

Jésus entre dans la maison d’un homme riche et pêcheur, Zachée dont la réaction immédiate est d’accueillir joyeusement Jésus. 

Jésus nomme Zachée par son nom. De cette façon, Jésus rappelle que le Dieu en qui il a mis toute sa confiance est celui qui a dit par la bouche du prophète Esaïe : « Ne crains rien, car je te rachète, je t’appelle par ton nom, tu es à moi », (Es 43/1) ; Zachée cherchait à voir Jésus, sans être vu, C’est Jésus qui le voit et qui cherche à le rencontrer à la vue de tous. En l’appelant par son nom, Zachée n’est pas réduit à ses actes, mais il lui est donné, ou même redonné une identité, comme nous le verrons par la suite. 

Souvent, nous disons que nous sommes en recherche de Dieu. Mais ici, c’est Dieu, qui en Jésus-Christ, est la recherche de l’homme, de l’être humain. En interpellant Zachée, Jésus l’oblige à descendre d’un cran, à quitter la hauteur de son sycomore pour redescendre sur terre, lui qui a choisi, dans son humanité, de se mettre à ras de terre pour rencontrer les « inrencontrables », aimer les moins aimables, accepter les inacceptables, pardonner aux impardonnables,

Dans ce récit, il n’est pas explicitement question de pardon des péchés. Mais dans l’évangile, l’accueil des pêcheurs signifie le « Oui » inconditionnel de Dieu envers l’humanité, indépendamment de la confession des péchés. Zachée ne confesse pas ses péchés, mais il accueille Jésus dans sa maison, et dans la joie. Il lui ouvre la porte de sa maison, à la grande interrogation de tout le monde. Et chacun murmure dans son coin…N’y avait-il pas une meilleure maison, où Jésus aurait pu entrer ? Pourquoi est-ce qu’il se compromet avec Zachée ? Zachée qui a refermé sa porte sur Jésus et lui, car ce qu’ils ont à partager ne regardent qu’eux. Le récit biblique ne nous donne aucun détail sur cette rencontre. Tout ce que nous savons, c’est qu’à la suite de cet entretien, Zachée tout joyeux déclare à l’assemblée qui n’en croit pas ses oreilles : Aujourd’hui, je donne mon argent qui était le but de ma vie, ma raison d’être et mon identité à ceux qui en ont besoin. Je rembourse aussi quatre fois plus à ceux que j’ai extorqués malhonnêtement. Parce que je viens de faire une rencontre qui bouleverse ma vie. Une manière de dire : Je donne ma vie au Dieu de Jésus-Christ. Qu’il en fasse ce qu’il veut. Et ce que Zachée dit n’a rien à voir avec quelque chose de prémédité ou de réfléchi, mais c’est plutôt de l’ordre d’une décision spontanée, conséquence d’une rencontre bouleversante, que je nommerai sans hésiter « conversion ». 

Et c’est comme un accomplissement de l’appel de Jean-Baptiste, qui ouvre cet évangile de Luc, dès le chapitre 3  : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers », qui est cet hymne inlassable que nous retrouvons comme fil conducteur de la période de l’Avent, reprenant ainsi la prophétie ancienne d’Esaïe (Es 40/3). Jean-Baptiste avait insisté sur les fruits à produire, « dignes de la repentance, (Lc 3/8) et répondant aux collecteurs d’impôts qui l’interrogeaient ce qu’ils devaient faire, il leur avait dit : « N’exigez rien de plus de ce qui vous a été ordonné » (Lc 3/12). Le récit de Zachée illustre cet accomplissement, comme le fruit d’une décision prise à l’instant, comme une prise de conscience sans délais, ainsi que l’exprime le verbe au présent, dans le texte grec. C’est ici et maintenant que Zachée répare ses injustices d’autrefois. Et c’est maintenant que le prénom de Zachée est éclairé par sa décision sans ambiguïté qui est la conséquence de son rapport à l’argent et aux autres. Il est, ici et maintenant, habité par un souci tout neuf de justice. Et bien qu’il ne soit pas appelé à tout quitter pour suivre Jésus, comme cela était demandé précédemment au jeune homme riche, il va partager son bien avec les pauvres et rendre au quadruple ce qu’il a extorqué. Et c’est alors que Jésus insiste de nouveau, sur cet « aujourd’hui du salut qui est entré dans cette maison », le salut de cet homme, avec toute sa dimension sociale. 

Et dans la bouche de Jésus, le mot de salut revêt une signification pleine et entière, de paix, de réintégration et d’accueil réciproque. Le salut, c’est cette présence aimante de Jésus qui s’arrête devant cet homme qualifié de pêcheur par son entourage. Le salut c’est le retournement de la situation de Zachée qui porte un autre regard sur sa vie, par un renversement qui en résulte, renversement concret par rapport aux autres, avéré par le partage de ses biens et le remboursement de sa dette. De plus, Zachée est authentiquement déclaré par Jésus, comme fils d’Abraham, ce qui dépasse la réintégration sociale pour déboucher sur la réintégration religieuse, à l’intérieur même du peuple de Dieu, peuple d’Israël. Dans son discours inaugural, Jean-Baptiste avait fustigé ceux qui se réclamaient d’Abraham mais qui ne vivaient pas en conformité avec la foi « du père des croyants » (Lc 3/8). Il avait ajouté d’une façon provocante : « Des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham ».  Et c’est ce qui est réalisé dans le récit de Zachée. 

En cette préparation de Noël, le récit que Luc nous rapporte de la rencontre entre Zachée et Jésus doit maintenant nous aider à aller plus loin. 

En relisant cette histoire qui finit bien, nous aimerions être un peu Zachée qui cherche et se convertit, comme nous nous identifions souvent à la brebis perdue que le berger retrouve et ramène, ou au fils prodigue dont le père attend patiemment le retour, qu’il célèbre par la fête.   Seulement voilà ! Nous ressemblons plus souvent au reste du troupeau bien sage ou au frère aîné resté fidèlement à la maison, et qui considèrent avec indifférence ou méfiance celui qui n’est pas conforme, qui ne porte pas la marque du groupe. Peut-être nos églises, nos communautés paroissiales, ressemblent-elles plus souvent à la foule qui est en liesse pour accueillir Jésus, comme ce jour-là à Jéricho, mais qui porte inlassablement des jugements à l’emporte-pièce, sur celles et ceux qui nous entourent, et sans se soucier du petit, ou de l’exclu, qui, derrière elle, ou même à cause d’elle, ne peut le voir et donc ne peut le rencontrer.

Avec Jésus qui lève les yeux par-dessus la foule pour rejoindre Zachée, voici que l’Evangile se raconte devant nous, et qu’aujourd’hui, aussi nous sommes invités à reconnaitre et à accueillir cette bonne nouvelle, à faire nôtre, cette Parole de salut. 

Ce salut que nous proclamons, mais dont nous avons du mal à vivre, c’est toujours Jésus-Christ qui vient à la rencontre des hommes, qui vient à notre rencontre, que nous le cherchions ou non. Nous cherchons Dieu, nous voulons monter vers lui, mais c’est lui, qui en dans le Christ, ne cesse de nous chercher. Et c’est lui qui nous trouve dans le regard aimant, bienveillant de son fils qui nous regarde, sans nous juger. Toujours proche de nous, il est encore capable aujourd’hui de nous faire descendre du sycomore de nos peurs et de nos craintes, mais aussi de notre orgueil et de notre suffisance, pour aller chercher en nous le meilleur de nous-mêmes, si peu que soit, et le mettre au monde, à la lumière du jour. Préparer Noël, c’est faire nôtre cette parole du jour : « Hâte-toi de descendre, il faut que je demeure dans ta maison. Mon frère, ma sœur, mon ami, réjouis-toi, cette maison, c’était le cœur de Zachée, aujourd’hui, cette maison, c’est ton cœur. Une seule chose est demandée, indirectement, c’est que nous devenions responsables. Et responsable veut dire : donner sa réponse. 

Amen