Prédication du 26 juin 2022

de Dominique Hernandez

Le figuier sans figue

Lecture : Marc 11, 12-25

Lecture biblique

Marc 11, 12-25

12 Le lendemain, comme ils sortaient de Béthanie, il eut faim. 
13 Apercevant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il y trouverait quelque chose ; mais, en y arrivant, il n’y trouva que des feuilles — car ce n’était pas la saison des figues. 
14 Il lui dit alors : Que plus jamais personne ne mange un fruit de toi ! Et ses disciples l’entendirent.

15 Ils arrivent à Jérusalem. Entré dans le temple, il se mit à chasser ceux qui vendaient et ceux qui achetaient dans le temple ; il renversa les tables des changeurs et les sièges des vendeurs de colombes. 
16 Et il ne laissait personne transporter un objet à travers le temple. 
17 Il les instruisait et disait : N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations. Mais vous en avez fait une caverne de bandits.

18 Les grands prêtres et les scribes l’entendirent ; ils cherchaient comment le faire disparaître ; ils avaient peur de lui, parce que toute la foule était ébahie de son enseignement.

19 Quand le soir fut venu, Jésus et ses disciples sortirent de la ville.

20 Le matin, en passant, les disciples virent le figuier desséché depuis les racines. 
21 Pierre, se rappelant ce qui s’était passé, lui dit : Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit s’est desséché.

22 Jésus leur dit : Ayez la foi de Dieu. 
23 Amen, je vous le dis, celui qui dira à cette montagne : « Ote-toi de là et jette-toi dans la mer », sans hésiter dans son cœur, mais en croyant que ce qu’il dit arrive, cela lui sera accordé. 
24 C’est pourquoi je vous dis : Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé.

25 Et lorsque vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos fautes.

Prédication

Mais quel rapport y a-t-il donc entre un figuier et le Temple de Jérusalem ? Puisque Marc prend la peine d’insérer un récit dans un autre, d’étirer l’épisode avec le figuier sur la longueur d’une journée, d’encadrer l’épisode de Jésus au Temple par cette étrange parole de Jésus à un arbre, oui, parce que Jésus parle au figuier, et l’étonnement de Pierre qui ouvre à un enseignement de Jésus sur la foi et la prière.
Le figuier est un arbre familier du lecteur des Écritures. Dans la Bible hébraïque, souvent associé à la vigne, il est cité dans des oracles prophétiques aussi bien des oracles de destruction et de malheurs, que des oracles de paix et de prospérité, les deux en lien avec la foi d’Israël en l’Éternel. Le figuier est associé à la terre promise et en cela, il est un symbole du bonheur promis par Dieu.
Dans le judaïsme du temps de Jésus, le figuier est également un symbole de l’étude des Écritures. Par exemple, dans l’évangile de Jean, lorsque Jésus voit venir Nathanaël, il dit : avant même que Philippe ne t’appelât, alors que tu étais sous le figuier, je t’ai vu (Jn 1,48). Nathanaël parlait avec Philippe de la Loi de Moïse. La Loi, les Écritures, à lire, à méditer, pour entendre la Parole de Dieu, pour nourrir la relation avec Dieu.
Alors quand Jésus a faim, et qu’il s’approche du figuier, au-delà du besoin de manger, nous pouvons entendre dans cette faim le désir, l’intérêt pour la Parole de Dieu et pour la foi. De même que lorsque Jésus a soif auprès du puis où vient la samaritaine, ce n’est pas seulement d’eau fraiche, mais d’une rencontre où la vie spirituelle se déploie dans le dialogue en vérité.
Mais il n’y a pas de figue sur le figuier et Jésus reste sur sa faim. Il y a une bonne raison à l’absence de fruit : ce n’est pas la saison des figues précise Marc. Effectivement, Jésus est venu à Jérusalem pour la Pâques juive, en mars-avril, et les figues sont mûres en août-septembre. Mais Marc ne donne pas un cours de botanique ; et ce n’est pas non plus parce que Jésus a nourri une grande foule avec cinq pains et deux poissons qu’il fera apparaître des figues si ce n’est pas la saison. Nous sommes, nous, inquiets parce que les saisons changent, parce que la saison des vendanges a avancé d’un mois depuis dix ans, mais c’est la conséquence de l’activité humaine. Ce n’est pas une décision divine.
Alors si Jésus s’agace de ne pas trouver de figues alors que ce n’est pas la saison des figues, ce n’est pas une question de saison et de végétal. Jésus cherche la foi et ne la trouve pas, il cherche ce qui nourrit la foi et ne le trouve pas. Et lorsqu’il parle au figuier, ce n’est pas à un arbre, c’est à ce qui devrait favoriser, accompagner, alimenter, approfondir la relation à Dieu de chacun : l’étude des Écritures, le rapport aux Écritures tel qu’il est réalisé par la majorité de ceux qui lisent, les pharisiens, les prêtres, les Sadducéens, les scribes. Or ce que jésus a constaté, c’est que ce travail d’étude des Écritures ne porte pas de fruits capables de rassasier une existence humaine.
Et c’est ce que Jésus dit, c’est ce qu’il révèle, sans ménagement : Que plus jamais personne ne puisse manger un fruit de toi. Ce que Jésus voit, malgré les feuilles nombreuses, c’est un figuier mort ; c’est une lecture et une interprétation des Écritures qui n’indiquent pas un chemin et un horizon pour la vie mais rétrécissent l’espace, qui n’éclairent pas mais obscurcissent, qui ne restaurent pas mais accablent, qui n’annoncent pas la Bonne Nouvelle de la grâce mais jouent sur les peurs, les obligations et les condamnations.
Que plus jamais personne ne puisse manger un fruit de toi. Ce n’est pas une malédiction comme le pensera Pierre le soir en voyant le figuier desséché jusqu’aux racines. La parole de Jésus n’a pas fait périr le figuier : il était déjà mort sous l’apparence de la vitalité de ses feuilles.
Le dessèchement du figuier n’est pas le fait de Jésus. Ce n’est pas la première fois que Pierre ne comprend pas ce qu’a dit Jésus car Pierre pense encore souvent selon une logique qui est celle de la rétribution, une logique rassurante car elle permet de prévoir et d’expliquer, mais une logique qui fait de Dieu une idole avec laquelle il n’y a qu’à compter et à marchander. 

Alors c’est dans le même souffle de sa parole sur le figuier que Jésus agit dans le Temple.
Le Temple de Jérusalem, ce n’est pas seulement l’un des bâtiments les plus imposants et somptueux de l’époque de Jésus, c’est l’institution qui organise le culte, la relation à Dieu et la vie spirituelle par les rites, les sacrifices, les fêtes religieuses, tout ce qui donne forme et sens à la foi d’Israël, la foi au Dieu de Jésus le Fils de l’homme, le Christ.
La veille, le jour de son entrée à Jérusalem, il est allé au Temple, et il a tout observé avant de se rendre à Béthanie pour la nuit. Il a vu les changeurs à leur table qui évitent que les pièces de monnaie frappées à l’effigie d’un empereur ou du dieu d’un autre peuple entrent dans les offrandes. Il a vu les vendeurs d’oiseaux et de petits animaux pour les sacrifices obligatoires dans beaucoup de circonstances de l’existence. Il a vu le système religieux établi pour se mettre en règle avec Dieu, une mise en règle qui exclut tous ceux qui ne s’y soumettent pas. Il a vu les moyens instaurés pour répondre à une obsession de pureté qui prend la place d’une relation personnelle et vivante à Dieu. Il a vu que le commerce a remplacé l’élan de l’âme démunie qui appelle le Dieu sauveur. Il a vu que la foi, pour être validée comme foi, doit être fixée sur le Temple.
Et c’est tout ce que Jésus renverse, avec les tables et les sièges, tout ce système religieux dont il dénonce l’inanité par rapport à Dieu et la cruauté par rapport aux hommes et aux femmes.
Le Temple, comme le figuier, n’est plus un moyen de se relier à la source de vie. C’est ce qui arrive lorsque la religion devient une fin en soi, lorsqu’elle capte le temps, l’énergie pour les replier sur elle-même et y enfermer la foi.

Révéler que le figuier est sec, renverser les tables, empêcher le transport – le trafic – d’objets dans le Temple, c’est révéler que ce qui fonde et anime l’être humain selon la logique de la religion est renversé. Et que la condition humaine n’est pas celle d’une course sans fin aux comptes ou aux preuves, la préoccupation permanente de justifier le simple fait d’être vivant, mais qu’elle est vocation à la communion avec le Dieu créateur et sauveur et avec les autres humains.
Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ; mais vous en avez fait une caverne de bandits.
L’économie du Temple obéit aux règles du monde qui se fonde sur lui-même, ses propres forces, valeurs, mesures et comptes. Mais en Jésus-Christ, les croyants sont appelés à faire signe vers un monde autre, celui que Jésus appelle le règne de Dieu. Le monde du monde n’est pas le seul monde possible. Le règne de Dieu témoigne d’une nouvelle économie : celle de la grâce et de l’accueil inconditionnel.
Déjà les prophètes d’Israël annonçaient avec l’image du figuier la destruction des fausses assurances et des sécurités menteuses ; non seulement Jésus reprend cette image, mais il va droit au cœur du système, de la logique trompeuse qui fait croire que Dieu a besoin de sacrifices qui finissent toujours par devenir des sacrifices d’humains, qui fait croire que l’institution est garante de la vérité de la foi.

Aucune Église ne peut se croire à l’abri de ce que Jésus révèle en paroles et en actes dans ce récit de Marc. Puisque les Églises organisent aujourd’hui le culte au Dieu de Jésus-Christ. Elles ont besoin de vigilance, de questions, d’interpellations pour ne pas dériver vers l’exercice d’un pouvoir sur leurs membres, voire même au-delà de leurs membres sur une société entière, dans un esprit quasiment hégémonique, impérial, de contrôle de la vie des personnes.
Les Église ont besoin de vigilance, questions et interpellations qui peuvent venir de l’intérieur comme de l’extérieur des Églises.
Et nous trouvons déjà dans ce double épisode du figuier et du Temple des indications précieuses : 

  • veiller à la lecture et à l’interprétation des Écritures, non seulement pour en garder la pratique mais pour que cette pratique ne s’installe pas dans la répétition et le confort, ni dans l’attente de réponses déjà formulées. Des feuilles vertes sans fruits… Les Écritures seules : le principe Réformateur garde toute sa justesse au fil du temps car l’étude de ces témoignages de foi clarifie et accompagne la foi de chacun de nous, aiguise notre lucidité, approfondit notre compréhension et nos manières de vivre grâce à l’exemple des paroles et actes de Jésus. 
  • également, résister aux logiques du conservatisme, d’exigence de pureté, de marchandages et de sacrifices, pour favoriser ce qui permet à chacun, dans sa singularité, de cheminer et de nourrir sa relation à Dieu, de déployer une spiritualité vivante au travers de ce que les Églises offrent aux personnes, puisque les Églises ne sont pas là pour elles-mêmes, mais pour les personnes, quels que soient leur âge, leur situation, leur origine.
  • et aussi, veiller à ne pas transformer la foi en croyance.

Ce dernier point, c’est ce que Jésus enseigne à ses disciples, au soir de ce jour. Ses premiers mots sont tout à fait étonnants : Ayez foi de Dieu. C’est tellement stupéfiant que bien des traducteurs transforment la phrase en : Ayez foi en Dieu. Mais Marc ne s’est pas trompé.
Ayez foi, une foi de Dieu.
Le décentrement est radical. Il n’est pas question de mesurer, d’évaluer, de vérifier la foi de qui que ce soit, ni même la sienne. La foi en nous vient d’au-delà de nous-mêmes. Elle ne vient pas de l’histoire, de la culture, du parcours personnel.
Ayez foi de Dieu, la foi de Dieu, en nous. L’essentiel, le commencement, le fondement, dit Jésus, c’est cette foi-là, celle de Dieu en nous. Face au figuier qui ne nourrit pas et à la maison de bandit, Jésus pose avant tout la foi de Dieu en nous, c’est-à-dire un crédit infiniment ouvert dont nous sommes bénéficiaires de la part de Dieu. C’est à dire qu’il n’y a rien à payer, rien à négocier, rien à rembourser, d’aucune manière que ce soit, rien à faire ou être par nous-mêmes, tout ce qui constitue une croyance dans les logiques humaines. C’est par rapport à ce Dieu qui nous fait infiniment crédit, qui met sa foi en nous, que se déploie la vie vivante des humains et non par rapport aux logiques humaines ni bien sûr par rapport aux saisons.
En conséquence, la prière est tirée hors de toute tentative de marchandage et elle échappe à toute tentative de la contrôler. La prière redevient un lieu et temps libres, lieu et temps d’écoute et de dialogue avec Dieu, sans intermédiaire. Alors du possible, du nouveau peuvent faire irruption. Du possible qui semblait impossible.
Et ce n’est pas bien sûr de faire se déplacer une montagne dans la mer. Sauf si la montagne est une image représente tout ce qui empêche, comme un obstacle imposant, d’avancer dans la vie et dans la foi en conscience et en liberté.
De même, l’image glisse vers ce qui semble tout aussi impossible, mais qui ne l’est plus, grâce à la foi de Dieu en nous, grâce à cet infini crédit ouvert en notre faveur, et c’est le renouvellement de nos relations. Ce renouvellement est exprimé par le verbe pardonner, qui traduit un verbe grec signifiant « laisser libre, laisser aller, acquitter ».
Cette foi de Dieu, en nous, nous rend capables de ne plus considérer autrui comme un ennemi, un moyen, un allié de circonstance, mais comme un compagnon, une compagne sur le chemin. L’altérité devient condition de vie humaine, à quoi répond la vocation à la communion, avec Dieu et avec le Christ, et les uns avec les autres. Alors se multiplient les fruits, et la vie, sous de diverses formes, de diverses manières, dans un joyeux foisonnement scintillant de tout l’éclat du mot BON.