Prédication du 27 avril 2025

d’Éléonore Berger

Lecture biblique

Apocalypse 1, 9-20

9 Moi, Jean, votre frère, qui prends part à la détresse, à la royauté et à la persévérance en Jésus, j’étais dans l’île appelée Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus 
10 quand je fus saisi par l’Esprit, au jour du Seigneur ; j’entendis derrière moi une voix, forte comme le son d’une trompette, 
11 qui disait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Eglises : à Ephèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et à Laodicée.
12 Je me retournai pour voir celui qui parlait avec moi. Quand je me fus retourné, je vis sept porte-lampes d’or 
13 et, au milieu des porte-lampes, quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme. Il était vêtu d’une longue robe et portait une ceinture d’or à la poitrine. 
14 Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme laine blanche, comme neige. Ses yeux étaient comme un feu flamboyant, 
15 ses pieds ressemblaient à du bronze incandescent, et sa voix était comme le bruit de grandes eaux. 
16 Il avait dans sa main droite sept étoiles ; de sa bouche sortait une épée acérée, à deux tranchants, et son visage était comme le soleil lorsqu’il brille dans toute sa puissance.
17 Quand je le vis, je tombai à ses pieds, comme mort. Alors il posa sur moi sa main droite, en disant : N’aie pas peur ! C’est moi qui suis le premier et le dernier, 
18 le vivant. Je suis mort, mais je suis vivant à tout jamais, et j’ai les clefs de la mort et du séjour des morts. 
19 Ecris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui va arriver après. 
20 Quant au mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite, et aux sept porte-lampes d’or, les sept étoiles sont les anges des sept Eglises, et les sept porte-lampes sont les sept Eglises.

Prédication

Voilà un récit à l’allure quelque peu ésotérique qui pourrait nous laisser circonspects. Qu’est-ce que le narrateur essaye donc de nous raconter avec cette vision surnaturelle ? Il semble faire référence à des symboles que nous ne saisissons pas, comme si le texte était crypté et qu’il fallait le décoder. Que faire comme lecteur ou lectrice contemporaine de cet appel à 7 églises disparues, de ces pieds de bronze incandescents ou de cette épée à double tranchant qui sort d’une bouche ?

Jean est probablement un prophète de la fin du Ier siècle après Jésus-Christ, exilé sur l’île de Patmos. Lorsqu’il nous parle de sa vision, il utilise les codes prophétiques traditionnels hérités du premier testament et du Proche-Orient ancien : une voix forte l’appelle, un messager incarné à l’allure surnaturelle lui donne une mission, un message. Effrayé par ce contact avec le divin, Jean tombe « comme mort », mais l’homme lui dit « n’ait pas peur », leitmotiv biblique d’Abraham à Marie. Quand Jean écrit, il ne nous raconte pas une histoire vraisemblable, il ne nous décrit pas un tableau. Il se positionne dans une tradition littéraire prophétique qui exploite largement le registre du symbolique. Pour autant, il n’est pas question pour nous de tout chercher à décrypter. Le symbole n’est pas un code secret à casser. C’est un appel à des références, qui obligent à dépasser la lecture immédiate du texte pour chercher le sens plus loin. Il n’y a pas de bonne réponse à trouver, nous ne sommes pas les protagonistes du film Da Vinci Code, mais une fenêtre qui s’ouvre sur une pluralité de sens possible. Nous sommes mis dans une position humble d’auditeur, d’auditrice, qui cherche à saisir ce dont Jean a cherché à témoigner à sa manière, avec le langage de son époque, mais surtout nous sommes invités à recevoir la façon dont ce texte peut encore entrer en résonance avec nos expériences chrétiennes individuelles ou collectives. Il nous invite à nous interroger : et nous, comment le Christ nous parle-t-il aujourd’hui ? Comment le décririons-nous à nos contemporains ? À quoi nous appelle-t-il ?

Un premier élément d’intérêt réside dans la description de l’homme qui apparaît à Jean et qu’il identifie ensuite au Christ lui-même. Tout fait référence à la puissance, à la force, à la pureté. Bien qu’il ressemble à un fils d’homme, c’est un Christ qui porte les attributs du divin (le visage rayonnant, la voix qui tonne…). Jean veut nous parler d’un Dieu puissant et qui ne perd rien de cette puissance même quand il s’incarne. Un Christ protecteur du monde qui porte les anges et les églises dans ses mains. Pourtant, ce n’est pas ce Dieu surpuissant que nous sommes invités à contempler avec ce texte. Jean nous en rappelle l’existence, mais nous redit aussi qu’une telle vision submerge celui ou celle qui la reçoit, qui la regarde de face. Elle ne conduit à rien d’autre qu’à une prostration similaire à la mort. Oui nous pouvons nous rappeler de la supériorité de Dieu, de sa force dans nos vies, de sa puissance de changement dont lui seul à la maîtrise. Mais chercher à le contempler de face est sans issue. À trop vouloir regarder Dieu de près, le maîtriser par nos mots, nos conceptions toutes humaines, à trop le décrire comme nous croyons le voir, nous finissons dans une impasse stérile qui ne mène à rien d’autre qu’à tomber comme mort, c’est-à-dire tout le contraire de la vie dont nous parle le Christ.

Car ici, c’est le Christ vivant qui invite à l’action, qui appelle Jean à écrire. Par la même main qui portait les étoiles (les anges), il touche Jean, il se fait soutient, il change la paralysie en action. Là où le premier testament envoyait des anges auprès des humains, c’est le Christ ressuscité lui-même qui vient à la rencontre de Jean, et à notre rencontre. Dieu s’est fait homme et par l’intermédiaire du Christ vient à notre rencontre.

Oui, l’évènement de Pâques est arrivé entre temps. Jésus est mort et ressuscité, le Christ a vaincu, la mort n’a pas eu le dernier mot. Il nous le déclare dans le texte « C’est moi qui suis le premier et le dernier, le vivant. Je suis mort, mais je suis vivant à tout jamais, et j’ai les clefs de la mort et du séjour des morts. ». Nous, hommes et femmes, sommes en quelque sorte déchargés du souci de la mort, de l’angoisse du commencement et de la fin. Non pas que ces questions disparaissent, non pas que la mort ne surgisse plus dans nos vies avec tous les malheurs qu’elle porte. Mais elle n’est plus la maîtresse de nos vies. Face à l’abattement de la mort, nous pouvons nous relever pour entendre l’appel de Dieu dans nos existences, déchargées du souci. C’est le paradoxe de Pâques, Jésus est mort, mais, par sa résurrection, plus vivant que jamais, car il a dépassé la mort et nous donne sa vie, nous invite à la poursuivre dans le monde.

À Jean, il transmet un message qui va être rapporté dans la suite du livre de l’apocalypse. Il en fait le porteur d’une parole venue de plus haut. En faisant cela, le Christ témoigne à Jean de la confiance de Dieu envers lui. Alors que dans la vision du monde qui nous est présentée, le Dieu de la puissance dispose d’anges pour les églises et le Christ peut apparaître sur terre, c’est à un homme exilé et légitimement apeuré qu’il confie son message. Ce n’est d’ailleurs pas un ordre qu’il lui donne, pas un impératif dans le texte, mais une sorte de demande, une invitation à témoigner de ce qui va lui être révélé.

Le Christ lui demande d’écrire dans un livre ce qu’il voit. Un livre, c’est quelque chose qui se transmet. Ici, Jean n’est pas appelé à apprendre par cœur un message pour le répéter à des disciples. Il n’est pas appelé à prendre son bâton de pèlerin et à aller visiter une à une les sept églises à la manière d’un apôtre Paul. Comment le pourrait-il d’ailleurs, lui qui est exilé sur son île pour des raisons politiques ? Il ne va pas courir partout, défier les puissants, les oppresseurs et changer le monde de sa faible main d’homme. Il doit écrire dans un livre. Écrire sur quelque chose qui se partage. Jean doit retranscrire cette expérience, ce message sur un support qui lui survira, qui pourra être lu sans lui (et probablement lu à l’oral devant des assemblées), qui pourra être reçu, interprété, par les membres des sept églises sans que lui, Jean, soit présent. En lisant le témoignage de Jean, les récepteurs en tireront des sens probablement différents. C’est un risque pour celui qui voudrait verrouiller le sens de ses paroles, qui voudrait contrôler ce que son auditoire en reçoit. Avec ce livre qui circule sans son auteur, les portes de l’interprétation s’ouvrent. Mais si c’est un risque, c’est surtout la trace de la confiance de Dieu envers Jean et envers nous. Dieu ne désigne pas des gardiens de la morale, de la pensée orthodoxe. Il révèle à l’humain un message de vie, il s’incarne au milieu de nous et épouse notre condition humaine, jusqu’à s’en remettre à notre communication imparfaite. Quelle libération aussi pour Jean ! Il n’est pas responsable du message que le Christ lui transmet. Il le reçoit, est appelé à le transmettre, ce dont il s’acquitte pleinement, mais ne devient pas le défenseur ni l’auteur fantôme de ce que Dieu souhaite dire aux hommes et aux femmes. Dieu est seul maître de sa relation à nous et aux autres, il choisit les voies pour nous parler.

Jean n’est pas pour autant la marionnette, le simple mégaphone de Dieu. Le Christ lui demande d’écrire « ce que tu vois » puis « ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va arriver après ». Le livre de l’apocalypse rassemble un ensemble de visions et de prophéties pleines de symbolisme, avec un fort accent sur les questions eschatologiques, celles qui concernent la fin du monde. Jean écrit, retransmet ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il vit. Il mêle la retranscription directe des paroles révélées et sa propre expérience subjective de cette vision surréaliste, aussi complexe et ésotérique qu’elle puisse nous paraître à nous, lecteur et lectrices d’aujourd’hui.

Dans notre expérience chrétienne, nous pouvons nous sentir appelés à partager ce que nous voyons, comprenons de la présence de Dieu dans le monde. Les écritures nous invitent à plusieurs reprises à témoigner de la bonne nouvelle de la grâce de Dieu dans nos vies. Notre église, l’Église Protestante Unie de France ne décrit-elle pas elle-même comme « Église de témoins ? ». Témoigner certes, mais comment faire ? Comment dire ce qui n’est pas si simple, ce qui relève à la fois de l’expérience et de la révélation ? Comment parler quand il nous semble que tant d’autres portent des voix discordantes, témoignent d’expériences qui ne sont pas les nôtres et souvent avec une force de conviction qui peut nous laisser désemparés ? De quoi parler ? À qui ? À trop y réfléchir, l’injonction au témoignage peut devenir paralysante, et nous voilà à nouveau au sol, comme mort à trop chercher à regarder Dieu en face pour essayer de le décrire à nos contemporains.

Chers frères et sœurs, lorsque de telles questions nous submergent, repensons à Jean et à sa vision. Si nous sentons l’invitation de Dieu à parler au monde, c’est comme un signe de sa confiance qu’il faut nous en saisir. Le Christ est avec nous et nous dit à nous aussi « n’ait pas peur ». Il nous donne sa confiance et nous sait capable de porter notre témoignage auprès de nos contemporains. Parlons humblement de ce que nous recevons, de ce dont nous faisons l’expérience. Écrivons, échangeons avec celles et ceux qui nous entourent sans autre prétention que de partager nos expériences, singulières, profondément humaines, pas toujours logiques, parfois plus faciles à dire sur le registre du symbolique que du réel. Ce qui advient de nos discours dans le cœur des hommes et des femmes qui les reçoivent n’est pas de notre maîtrise. Nous sommes appelés à partager, pas à conquérir les cœurs. C’est l’Esprit de Dieu qui opère, qui agit dans le monde et qui peut seul opérer cette transformation. Jésus est mort, Christ est ressuscité et sa puissance de vie se transmet aussi par la parole. Nous pouvons participer à répandre cette bonne nouvelle. L’aube de Pâques éclaire ce nouveau monde appelé à la vie. Et nous, membres d’églises, sommes des porteurs et porteuses de lumière, des bougies sur des porte-lampes d’or qui éclairent doucement le monde et transmettent un peu de ce soleil divin sans l’éblouir.