Prédication du 29 mai 2025
Culte de l’Ascension
de Catherine Axelrad
L’Ascension, un événement théologique
Lectures : 2 Rois 2, 7-14 ; Luc 24, 50-53 ; Actes 1, 1-11
Lectures bibliques
2 Rois 2, 7-14
7 Elie et Elisée s’arrêtèrent au bord du Jourdain.
8 Alors Elie prit son manteau, le roula, et en frappa les eaux, qui se partagèrent çà et là, et ils passèrent tous deux à sec.
9 Lorsqu’ils eurent passé, Elie dit à Elisée : – Demande ce que tu veux que je fasse pour toi, avant que je sois enlevé d’avec toi. Elisée répondit :- Qu’il y ait sur moi, je te prie, une double portion de ton esprit!
10 Elie dit : – Tu demandes une chose difficile. Mais si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi, cela t’arrivera ainsi; sinon, cela n’arrivera pas.
11 Comme ils continuaient à marcher en parlant, voici, un char de feu et des chevaux de feu les séparèrent l’un de l’autre, et Elie monta au ciel dans un tourbillon.
12 Elisée regardait et criait : – Mon père! Mon père! Char d’Israël et sa cavalerie ! Et il ne le vit plus. Saisissant alors ses vêtements, il les déchira en deux morceaux,
13 et il releva le manteau qu’Elie avait laissé tomber. Puis il retourna, et s’arrêta au bord du Jourdain;
14 il prit le manteau qu’Elie avait laissé tomber, et il en frappa les eaux, et dit : – Où est l’Eternel, le Dieu d’Elie ? Lui aussi, il frappa les eaux, qui se partagèrent çà et là, et Elisée passa.
Luc 24, 50-53
50 Il les emmena jusque vers Béthanie, puis il leva les mains et les bénit.
51 Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut enlevé au ciel.
52 Quant à eux, après s’être prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie;
53 ils étaient constamment dans le temple et bénissaient Dieu.
Actes 1, 1-11
1 Cher Théophile,
J’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé de faire et d’enseigner
2 jusqu’au jour où il fut enlevé après avoir donné ses ordres, par l’Esprit saint, aux apôtres qu’il avait choisis.
3 C’est à eux aussi qu’avec beaucoup de preuves il se présenta vivant après avoir souffert ; il leur apparut pendant quarante jours, parlant du règne de Dieu.
4 Comme il se trouvait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis – ce dont, leur dit-il, vous m’avez entendu parler :
5 Jean a baptisé d’eau, mais vous, c’est un baptême dans l’Esprit saint que vous recevrez d’ici peu de jours.
6 Ceux qui s’étaient réunis lui demandaient : Seigneur, est-ce en ces temps que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?
7 Il leur répondit : Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.
8 Mais vous recevrez de la puissance quand l’Esprit saint viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.
9 Après avoir dit cela, pendant qu’ils regardaient, il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux.
10 Et comme ils fixaient le ciel, pendant qu’il s’en allait, deux hommes en habits blancs se présentèrent à eux
11 et dirent : Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel.
Prédication
Si je vous ai proposé en première lecture ce récit de l’enlèvement au ciel du prophète Elie, c’est parce que je crois qu’il peut nous aider à comprendre les récits de l’ascension de Jésus lui-même ; cet évènement tel que Luc le raconte n’est ni le seul ni le premier dans les Ecritures. L’enlèvement au ciel du prophète Elie appartenait déjà au genre littéraire du « ravissement céleste », dont on trouve d’autres exemples dans l’AT, avec l’enlèvement du prophète Hénoch et dans d’autres textes écrits directement en grec – ces textes qui ne figurent pas dans nos bibles protestantes. Je n’ai pas eu le temps de lire le récit de l’ascension d’Elie en entier, mais il faut préciser qu’Elie est un prophète souvent violent, dans son expression comme dans ses actes, un prophète dont la vie est souvent menacée ; il a donc l’habitude d’apparaître ou de disparaître sans prévenir (par exemple au chapitre 18 du 1er livre des Rois). Et justement, sa dernière disparition, racontée comme une ascension, a lieu à un moment où il est particulièrement menacé. Dans ce cas ce récit de son enlèvement au ciel serait d’abord la réécriture magique d’une fuite bien orchestrée, qui permet à Elisée de répondre aux personnes qui vont partir à sa recherche. Parce que comme dans le cas de l’ascension de Jésus, il s’agit d’abord de répondre à cette question que tous se posent : où est passé Elie ? Où est passé Jésus ? Dans le cas d’Elie, après cette ascension, un certain nombre de personnes partent à sa recherche, mais ne le trouvent pas (au grand soulagement d’Elisée, qui était quand même un peu inquiet). Mais bien sûr, cette histoire de l’enlèvement au ciel du prophète Elie, il est probable qu’elle a circulé pendant longtemps avant d’être rédigée. Et ensuite, pendant plusieurs siècles, cet enlèvement au ciel permettra aux générations successives d’attendre le retour d’Elie, ce qui explique qu’on trouve plusieurs allusions au retour d’Elie y compris dans les évangiles, en particulier au chapitre 17 de Mathieu.
Dans le cas de la disparition de Jésus, la question est évidemment fondamentale, et agite certainement beaucoup les premières communautés. En racontant deux fois comment Jésus a été enlevé au ciel, Luc a plusieurs objectifs. D’abord, il faut le dire, si le récit de l’ascension de Jésus s’inspire des élévations de prophètes dans la bible hébraïque et dans la bible grecque, il s’inspire aussi de la tradition de l’époque, qui raconte la montée au ciel – les apothéoses- de tous les héros gréco-romains, les empereurs, et en particulier Jules César… Dans cette tradition, l’ascension de Jésus apporte une preuve supplémentaire de sa divinité, et en effet, pour la première fois nous voyons les disciples se prosterner. Mais surtout, les premières communautés chrétiennes vivent depuis quarante ans dans l’attente du retour de Jésus, ce qu’on a appelé la parousie. Cette parousie se fait attendre, mais l’ascension confirme que les croyants ont raison de l’attendre ; la parousie est annoncée de manière presque officielle par ces personnages vêtus de blanc ; on les a déjà rencontrés, ce sont des porteurs de bonne nouvelle : ils avaient annoncé la résurrection aux trois femmes le matin de Pâques, et maintenant ils viennent rassurer les disciples « Ce Jésus qui a été enlevé du milieu de vous viendra de la même manière que vous l’avez vu monter au ciel». Mais justement, si on creuse un peu plus, derrière cette affirmation, il est impossible de ne pas entendre une autre question, cette question essentielle à laquelle l’évangéliste essaie de répondre : ce Jésus dont on attend le retour, où est-il ? Comment a-t-il disparu et pourquoi ? Luc n’invente pas la réponse, pas entièrement en tous cas, comme je l’ai dit tout à l’heure je pense qu’il rédige le récit de l’Ascension à partir des histoires qui circulent déjà ; mais les différences entre la première et la deuxième version du récit donnent quand même à réfléchir. Nous venons de les entendre, la première version est très brève, alors que la deuxième version, celle qui ouvre le livre des Actes, est très longue et très détaillée – quelle qu’en soient les raisons, peut-être à la suite de demandes des auditeurs ou lecteurs, peut-être parce qu’entre temps on lui a donné des précisions, l’évangéliste a pris conscience que son premier récit n’était pas assez étoffé, qu’il fallait ajouter des détails, et on sait que ce très grand écrivain qu’est Luc n’est jamais avare de détails quand il s’agit d’évoquer un moment important. Or le moment en question est très important, c’est celui de la séparation physique définitive ; quarante jours d’apparitions fugitives, quarante jours de difficultés et de doute, et tout ça pour voir Jésus disparaître définitivement – ce pourrait être un moment de tristesse, comme celle d’Elisée quand il sait que son maître va disparaître; ce pourrait être un moment de tristesse surtout parce, comme très souvent, comme pour Elisée, comme pour les disciples à Emmaüs, la vision est immédiatement suivie de la séparation ; mais comme pour Elisée, comme à Emmaüs, par la foi, la vision va transformer la tristesse en joie. Comme pour Elisée, c’est la foi qui permet la vision, et cette vision est très importante car c’est elle qui va permettre la transmission. Vous l’avez entendu, quand Elisée demande à Elie une double portion de son esprit (la double part d’héritage du fils aîné) Elie lui répond « tu demandes une chose difficile, mais si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi, cela t’arrivera ». Et c’est bien ce qui se produit, nous constatons que cette transmission a bien eu lieu quand Elisée parvient à son tour à ouvrir les eaux du Jourdain en le frappant avec le manteau d’Elie. De même, c’est juste avant la vision de l’élévation de Jésus dans la nuée – la nuée qui protégeait la rencontre de Moïse avec Dieu, la nuée qui recouvre la vison de la Transfiguration de Jésus avant sa montée à Jérusalem – qu’il a annoncé à ses disciples « vous recevrez de la puissance quand l’Esprit saint viendra sur vous » ; oui, c’est bien la vision de l’ascension de Jésus qui va permettre aux disciples de recevoir l’esprit à la Pentecôte, cette Pentecôte que nous fêterons dans dix jours avec notre pasteure, qui elle-même nous a transmis sans compter une double part de cet esprit dont nous avons tant besoin pour voir.
Mais justement, voir, qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui ? On ne fait pas toujours attention à la phrase que prononce Elisée en frappant le Jourdain avec le manteau d’Elie : « Où est l’Eternel, le Dieu d’Elie ? » Nous aimerions bien le savoir, nous aussi, nous qui fixons le ciel comme les disciples, et qui pourrions bien perdre l’espérance. Mais voilà que les porteurs de bonne nouvelle viennent nous secouer « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? » Les humains cherchent Dieu au ciel depuis qu’ils sont humains, depuis qu’ils se tiennent debout et peuvent lever la tête vers le ciel –depuis que nous vivons cette recherche que nous appelons la transcendance. Mais cette recherche, ce désir de percevoir et d’interpréter les signes du monde spirituel ne doit pas nous égarer. Voir, accepter de recevoir la vision et poursuivre sa quête ne signifie pas que nous devons rechercher Dieu dans des phénomènes surnaturels, parce que le monde où nous vivons est dans une telle souffrance que nous pourrions être tentés de lui tourner le dos. Si tu me vois, si tu es ouvert, si tu es attentif aux signes de la présence de Christ parmi nous, y compris dans cette souffrance que nous ne savons pas empêcher ; oui, il s’agit d’être attentifs aux signes de sa présence – signes d’humanité et de fraternité, signes d’encouragement et d’entraide, signes de désir de paix dans un monde en souffrance, il s’agit tout simplement d’être attentifs aux signes de vie et d’amour. A ce propos, j’espère que vous ne m’en voudrez pas, je me permets de vous suggérer d’aller voir le film Jeunes Mères, qui est sorti récemment et qui nous permet de découvrir aujourd’hui, dans des situations humaines certes difficiles, des signes magnifiques, bien plus encourageants qu’une vision magique.
Et cette attention aux signes vient donner un sens tout particulier à cette formule que j’ai citée en introduction, selon laquelle l’événement ascension serait un événement qui ouvre sur le temps de l’Eglise ; nous savons bien que certaines disparitions d’êtres aimés, même si elles nous font souffrir, peuvent nous permettre de grandir ; comme Elisée qui pensait qu’Elie ferait tout mieux que lui, et qui a dû assumer son départ, les disciples vont devoir assumer le fait que Jésus n’est plus là, que c’est à eux que la promesse est confiée ; ce sera précisé dans l’évangile de Jean, quand Jésus leur dira cette phrase qui pourrait leur paraître obscure : « Il est avantageux pour vous que je m’en aille ». L’Ascension est un événement théologique qui permet le passage d’une foi encore infantile à une foi adulte. Nous aussi, comme les disciples et comme toutes les générations avant eux, et comme toutes les générations après eux, nous aussi, debout sur nos pattes arrière, nous regardons le ciel en nous demandant où est ce Dieu à la fois si proche et si lointain. Nous aussi, nous voudrions lui dire « Alors, c’est maintenant que tu rétablis le royaume de justice et de paix ? » et nous aussi, dans notre monde, nous devons vivre avec l’absence. Mais alors est-ce bien une fête ? Oui, car malgré nos difficultés à vivre et à croire, nous pouvons vivre cette absence de manière positive, cette absence qui vient creuser en nous le désir de ce Dieu que nous avons rencontré en Jésus Christ, et qui nous permet ainsi de quelquefois le reconnaître. La nuée qui le fait disparaître n’est pas un moyen de transport, c’est un espace de révélation qui nous encourage dans notre attente, c’est-à-dire dans notre recherche; Jésus reviendra, il ne cesse de revenir ; il revient de la même manière que nous l’avons vu aller au ciel ; il revient par notre recherche de sa présence parmi nous, c’est-à-dire par la foi. Il est présent en nous quand nous scrutons le ciel et il est présent parmi nous quand nous sommes signes de fraternité et de justice ; il revient par la foi, par cette recherche commune à toutes les générations d’êtres humains, par ce désir qui élève notre regard vers le ciel pour y trouver le sens de notre vie.