Réformation et chipotage

« En me disant Croyez tout !, écrivait Rousseau, on m’empêchait de rien croire. » Et pourtant, il y a tout juste dix ans, j’entendis un jeune prédicateur s’exclamer : « Ne chipotez pas, croyez tout ! » Après un moment de stupeur devant cette attendrissante naïveté (car tout ou partie, comment croire sur commande ?), je m’interrogeai : réfléchir, questionner ou douter, refuser ou faire sienne telle ou telle proposition théologique, est-ce vraiment chipoter ? La question m’est depuis revenue en mémoire, il y a quelques années pendant une discussion sur la notion de Trinité, plus récemment au cours d’un échange autour d’un texte liturgique. « On peut parler d’un Dieu dynamique mais pas en trois personnes » ; « Avec l’Esprit Saint, j’ai du mal » ; disaient mes chipoteurs interlocuteurs.

Car bien sûr, l’agacement ressenti à ces occasions m’a aidée à le comprendre, le chipoteur c’est toujours l’autre. Moi je réfléchis, je m’interroge, je critique ou j’accepte – je proteste, en somme, à la suite de nos grands réformateurs qui ont (pas toujours dans une grande tolérance) ouvert un chemin à la raison et au libre arbitre dans l’Église universelle. Mais toi, quand tu fais la même chose, quand tu oses questionner ou remettre en cause ce que j’aime – mais en quoi j’ai souvent moi-même tant de mal à croire – toi, tu chipotes !

En disant que « tout protestant est pape une Bible à la main », Bossuet avait à la fois raison et tort. Il avait compris que la Réforme offrait ce livre – ces livres, dont je parlerai à la Fête de l’Amitié – à la réflexion critique des croyants. Mais il restait prisonnier de ses propres schémas, car il ne s’agit pas d’être pape : nous ne voulons dicter notre propre interprétation à personne, et encore moins affirmer comment il faudrait ou ne faudrait pas croire. Chacun-e saura s’il veut parler de l’Éternel ou de l’Éternel-le, comment évoquer la dynamique divine, et s’il lui est possible de percevoir le souffle créateur – le vent qui souffle où il veut – dans le spiritus sanctus hérité de Jérôme.

Le Foyer de l’Âme est un lieu propice au chipotage, c’est-à-dire à la réflexion et à l’échange, dans une recherche sincère et féconde où se manifeste l’amour du prochain en Christ (rien que ça ! mais on fait ce qu’on peut…).

Catherine AXELRAD

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