Prédication du 23 novembre 2025

du Père Antoine Guggenheim

L’espérance ne trompe pas

Lecture : Jean 14, 1-14

Lecture biblique

Jean 14, 1-14

1 « Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2 Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ?
3 Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.
4 Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin. »
5 Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ? »
6 Jésus lui dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi.
7 Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. »
8 Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. »
9 Jésus lui dit : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : “Montre-nous le Père” ?
10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres.
11 Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi ; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.
12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père.
13 Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, de sorte que le Père soit glorifié dans le Fils.
14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.

Introduction

Chers Amis,

Je vous remercie du fond du cœur pour cette invitation dont l’initiative revient à votre Conseil et à Dominique Imbert, alors même qu’elle se savait appelée à une autre mission. J’ai été très touché de cette intention de marquer une continuité dans nos rencontres et dans le soin mutuel que nous prenons les uns des autres. Ce lien est notre espérance commune de porter témoignage à Jésus Christ, pierre de fondation de nos deux communautés faites de pierres précieuses, vivantes.

Nos communautés sont liées par une pratique de la rencontre au quotidien, enracinée dans le voisinage, mais plus encore dans un certain esprit de foi, un esprit libéral par fidélité à la Parole, une espérance œcuménique illuminée par la rencontre de l’Autre et des autres.

Ces liens se sont concrétisés depuis quatre ans avec l’événement « Traverser la nuit », cette « nuit de la rencontre » ouverte à tous les habitants et les passants du quartier, qui fait coopérer des équipes du Foyer de l’âme, de Notre-Dame d’Espérance et de la synagogue Maayan.

Prédication

Le texte de Jean que j’ai choisi pour cette prédication a fait écho en moi à ce que vous vivez dans cette année de transition, ou de respiration, où vous faites le point sur votre histoire, vos projets, vos espoirs dans l’attente de votre nouvelle pasteure.

Jean rapportera, un peu plus loin dans le discours après la Cène (Jn 16, 7), cette promesse de Jésus : « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. » Le don de l’Esprit est la promesse par excellence dans les Ecritures et dans nos cultes. Il préside au retour d’exil (Isaïe 40, 1 ; 52, 7 ; 61, 1). Il précède l’écoute de la Parole. Il vient au moment du silence, de l’absence, de la stérilité. Il est comme attiré les déchirures de l’histoire, par les cahots des chemins de nos vies, comme il est capable de couver et de féconder le chaos à l’origine pour qu’émerge le cosmos et de réveiller Jésus d’entre les morts pour que surgisse la Parole de la Bonne Nouvelle (Rm 1, 4 ; 4, 17).

L’absence prend possible la surprise de l’Esprit, car « le vent souffle où il veut et toi tu entends sa voix, et tu ne sais ni d’où il vient ni d’où il va » (Jn 3, 8). C’est peut-être ce que nous appelons « l’espérance » qui ne trompe pas, à condition qu’on en accepte la surprise (Rm 5, 5).

Prenons une comparaison. Dans un moment suspendu, les oiseaux nouveau-nés semblent tomber du nid dans le vide. En fait, ils commencent à voler en compagnie de leurs congénères, à faire usage de la résistance de l’air, des vents chauds ascendants et froids descendants, à chercher leur nourriture et leur abri, à migrer s’il le faut. Ils découvrent la richesse des ressources accumulées en eux par ceux qui les ont nourris quand ils les dépensent pour vivre avec les autres !

A leur image, nous vivons de tels moments de choix de vie. Plongeons dans vos souvenirs de l’été : voulons-nous être comme ces jeunes hirondelles, qui tourbillonnent ensemble et chacune sur son chemin, en toute liberté, dans le haut ciel ou entre les maisons, sans jamais se heurter les unes les autres. Ou bien, regardez ces milliers d’étourneaux en d’immenses rubans, qui changent de cap en un instant, au commandement d’un seul. Regardez les buses solitaires.  C’est l’heure du choix. Comment voulons-nous voler : comme des hirondelles, comme des étourneaux ou comme des buses ? La promesse de Jésus est que son départ vers le Père libère l’Esprit pour nous rendre libres, ni enrégimentés ni solitaires.

Dans l’extrait du chapitre 14 de Jean que nous avons entendu, nous n’en sommes pas encore là. Jésus n’annonce pas encore la venue de l’Esprit, fruit de son départ, mais la séparation et la mort, si toutefois nous entendons ce qui a déjà été dit dans ses paroles testamentaires du chapitre 13, 33-35 :
« Mes petits-enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi maintenant je le dis. 34 Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. 35 A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
Avant que la séparation n’ouvre l’espace du don de l’Esprit de liberté, il y a un autre moment spirituel à vivre. Un moment avant l’espérance. Comme dans la respiration une pause intervient entre expiration et inspiration, comme un silence dans un dialogue, comme un blanc entre deux mots. Et que peut-il y avoir avant l’Espérance, avant le Souffle, avant la Parole ? Je ne vois que deux choses : l’écoute et / ou l’angoisse. Il faut accueillir l’une et l’autre si nous voulons vivre le miracle spirituel de l’éveil de l’espérance. L’écoute, c’est-à-dire l’attention. L’angoisse, c’est-à-dire l’incertitude.

Pas de résurrection sans mort : l’annonce de la mort de Jésus fait partie du kérygme, c’est-à-dire de l’annonce de la Bonne Nouvelle. L’impact spirituel sur nos vies de la mort de Jésus ne peut être minoré, oublié, nié. « Que votre cœur ne se trouble pas ». Si ! un peu quand même ? Comprenez ce que vous perdez pour accueillir ce que je vous donnerai, ce que vous ne connaissez pas encore, dont je ne vous parle pas encore. Mais ce que vous avez reçu de moi, gardez-le en vous et surtout entre vous. C’est ainsi que vos cœurs seront de chair et non de pierre.

« Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi », comme vous avez cru en Moïse après avoir traversé la mer avec lui (Exode 14, 31). Qu’avez-vous reçu de moi que vous n’avez pas encore compris, qui manque à votre peur, que vous ne posséderez que par mon départ et votre fidélité ? « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Ma vie n’est que chemin, révélation, redressement. Ce que vous avez vu de moi – ou peut-être pas encore réellement vu – est un reflet de l’invisible du Père. Telle est la profondeur de chacune et de chacun de nous : l’humain est à l’image du Père appelé à devenir plus ressemblant. Chemin vers le Père parce que « image du Père ». Le Père demeure dans ses images.

Jésus ne peut rien nous donner d’au-delà de la mort si nous n’accueillons pas sa vie ici-bas et toute vie humaine en lui comme un chemin d’éternité. La mort – les « petites » morts du quotidien – ne trahissent pas la vérité de la vie, mais elles la rendent douloureuse et cette douleur elle-même est à vivre comme un passage, qui ressemble à une impasse. Tout nous est déjà donné ici-bas pour vivre à l’image de Dieu, même la mort, car toute vérité, toute vie n’est que chemin, itinérance, voyage.

Dans les voyages de Pantagruel, au Livre 5 (posthume), Rabelais imagine son arrivée sur l’île de « ode » – entendez en grec hodos, chemin. En cette ile, à la question « où va ce chemin ? », on répond « à la paroisse, à la ville, à la rivière » au sens propre, car les chemins eux-mêmes se déplacent :
« Car les chemins cheminent comme des animaux : et les uns sont des chemins errants, similaires aux planètes ; les autres, des chemins passants, chemins croisants, chemins traversants. Se laissant guider par le chemin de leur choix, sans se donner de peine ni de fatigue, ils arrivaient à destination : ainsi ressemblaient-ils à ceux qui, pour aller de Lyon à Avignon et Arles, prennent le bateau, sur le Rhône. Et comme vous savez qu’en toutes choses l’erreur advient, et que le bonheur ne peut être complet partout, on nous dit que, là aussi, sévissaient certaines gens qu’ils nommaient guetteurs de chemin et batteurs de pavé. Et les pauvres chemins les craignaient : ils s’éloignaient d’eux comme on fuit des brigands. »[1]François Rabelais, « Le cinquième et dernier livre des faits et dits héroïques du bon Pantagruel », chapitre 25, dans Tout Rabelais, coll. « Bouquins », Mollat, Bordeaux-Paris, 2022, p. … Continue reading
En nous disant que sa vie est chemin, que la vie est chemin, Jésus ne se propose pas comme un tapis roulant ou un « long fleuve tranquille » tracé d’avance. Comme le dit Rabelais, il parcourt nos chemins errants, passants, croisants, traversants. Il invite ses disciples à comprendre qu’il fait route avec tous dans la plus totale liberté, selon le dessein du Père. Il est en route et ses disciples sont invités à faire route en lui avec chacune et chacun. C’est ainsi que Jésus se comporte en Fils unique et frère aîné. C’est pourquoi il est vérité et vie.

« Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » Comment entendre une telle phrase ? C’est l’évangéliste Jean qui écrit ces mots avec son langage et ses préoccupations, mais, pour lui, « témoin fidèle » c’est Jésus qui parle dans son Eglise (Jn 21, 24). L’évangéliste innove-t-il en plaçant ces mots dans sa bouche ? Peut-être, mais telle est la tâche de tout disciple fidèle d’un maître pharisien. Le Hidduch, l’innovation fidèle ou la fidélité créatrice est la matrice de la transmission dans le judaïsme du premier siècle auquel Jean appartient.

Sur ce verset, les dogmaticiens, ministres responsables de la recherche rationnelle sur le sens doctrinal de nos textes bibliques, élaborent depuis 2 000 ans des systèmes d’idées complexes et nécessaires pour cheminer dans l’intelligence de la foi et répondre aux questions de leur temps. Parfois cependant, ils se comportent comme « ces guetteurs de chemin et batteurs de pavé » que « les pauvres chemins craignent ».

Il faut distinguer recherche sur le dogme et esprit dogmatique, car il y a une grande place pour la raison dans notre foi, comme il y a une place pour la certitude à côté du doute dans nos vies. Foi et raison sont comme deux ailes de l’esprit. Mais nous ne devons pas nous laisser abuser ni enfermer dans cette perspective bien souvent querelleuse et douanière. Jésus ne parle pas pour les savants, même si les savants ont tous les droits de passer ses paroles au crible de leurs questions. Cette phrase est dite pour les disciples et pour une révélation existentielle.

Si la mort de Jésus fait partie de son passage, s’il est chemin et accompagne donc tous nos chemins, c’est parce qu’il est le Fils et que le Père est en lui et lui dans le Père. Il nous accompagne, même quand il meurt, et il nous invite à vivre des séparations, car Dieu trine est éternellement vie, chemin, passage et que nous sommes à son image, sa famille humaine en devenir.

« Le propre de l’espérance, disait Gabriel Marcel, est peut-être de ne pouvoir utiliser ou enrôler aucune technique ; l’espérance est propre aux êtres désarmés ; elle est l’arme des désarmés, ou, plus exactement, elle est le contraire même d’une arme, et c’est en cela mystérieusement que réside son efficacité… Puissance prophétique, elle ne porte pas sur ce qui devrait être, ou même sur ce qui devra être ; simplement elle dit : ce qui sera »[2]Être et avoir

Nous voilà devant les défis de notre œcuménisme du quotidien et devant nos vies du quotidien armés de la seule espérance… qui n’est pas une arme. L’Evangile ne nous cache rien des difficultés à vivre nos vies et à construire la communion des chrétiens encore, parfois, séparés. Mais il nous promet la joie de l’Esprit si nous cheminons par le mystère pascal. Et l’Esprit est un merveilleux artiste, un artisan, pas un illusionniste, comme le dit un évêque orthodoxe de Syrie dans une inoubliable prière cosmique pour l’Eglise universelle :

Prière d’Ignace, évêque de Lattaquié (Syrie)
Sans l’Esprit Saint,

Dieu est loin,
le Christ reste dans le passé,
l’Évangile est une lettre morte,
l’Église une simple organisation,
l’autorité une domination,
la mission une propagande,
le culte une évocation,
et l’agir chrétien une morale d’esclave.
Mais, en Lui,
le cosmos est soulevé et gémit
dans l’enfantement du Royaume,
le Christ ressuscité est là,
l’Évangile est puissance de vie,
l’Église signifie la communion trinitaire,
l’autorité est un service libérateur,
la mission est une Pentecôte,
la liturgie est mémorial et anticipation,
l’agir humain est déifié.

Amen

Références

Références
1 François Rabelais, « Le cinquième et dernier livre des faits et dits héroïques du bon Pantagruel », chapitre 25, dans Tout Rabelais, coll. « Bouquins », Mollat, Bordeaux-Paris, 2022, p. 1376.
2 Être et avoir