Prédication du 19 octobre 2025
de Sandrine Maurot
« Des millénaires et pas une ride : la sagesse du jeune Salomon »
Lecture : 1 Rois 3, 16-28
Lecture biblique
1 Rois 3, 16-28
16 Alors deux prostituées vinrent chez le roi et se présentèrent devant lui. 
17 L’une des femmes dit : Pardon, mon seigneur ! Moi et cette femme nous habitons la même maison, et j’ai accouché près d’elle dans la maison. 
18 Le troisième jour après mon accouchement, cette femme aussi a accouché. Nous étions ensemble, personne d’autre n’était avec nous dans la maison, il n’y avait que nous deux dans la maison. 
19 Le fils de cette femme est mort pendant la nuit, parce qu’elle s’était couchée sur lui. 
20 Elle s’est levée en pleine nuit, elle a pris mon fils à mes côtés tandis que, moi, ta servante, je dormais, et elle l’a couché sur son sein ; et son fils, qui était mort, elle l’a couché sur mon sein. 
21 Au matin, je me suis levée pour allaiter mon fils ; mais il était mort. Je l’ai examiné au matin : ce n’était pas mon fils, celui que j’avais mis au monde ! 
22 L’autre femme dit : Pas du tout ! C’est mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort. Mais la première femme répliqua : Pas du tout ! C’est ton fils qui est mort, et c’est mon fils qui est vivant. C’est ainsi qu’elles parlèrent devant le roi.
23 Le roi dit : L’une dit : « C’est ici mon fils, qui est vivant ; c’est ton fils qui est mort ! » L’autre dit : « Pas du tout ! C’est ton fils qui est mort, et c’est mon fils qui est vivant ! » 
24 Le roi dit alors : Allez me chercher une épée ! On apporta l’épée au roi. 
25 Le roi dit : Coupez en deux l’enfant vivant, donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre. 
26 Alors la femme dont le fils était vivant s’émut pour son fils et dit au roi : Pardon, mon seigneur ! Donnez-lui l’enfant vivant, ne le mettez pas à mort ! Tandis que l’autre disait : Il ne sera ni à moi ni à toi ; coupez-le ! 
27 Alors le roi dit : Donnez-lui l’enfant vivant, ne le mettez pas à mort. C’est elle qui est sa mère.
28 Tout Israël apprit le jugement que le roi avait prononcé ; on craignit le roi, car on avait vu que la sagesse de Dieu était en lui pour agir selon l’équité.
Prédication
Lumineuse sagesse que ce jugement de Salomon, que tout le monde comprend, même les plus petits.
On trouve la chute brillante, juste, mais on ne voit pas toujours comment cette histoire pourrait résonner avec la nôtre : nous nous sentons loin des responsabilités de ce tout jeune roi et juge d’il y a 3000 ans. De plus, la probabilité qu’une mère étouffe son enfant et que le texte biblique nous soit utile pour discerner quoi faire est bien faible !
Alors nous risquons de refermer trop vite ce 1er livre des Rois et de ranger ce texte parmi les beaux textes littéraires, ce qu’il est assurément !
Pourtant, si nous écoutons attentivement, ce récit nous propose avec ces trois personnages d’explorer trois types de relations à Dieu et aux autres.
Commençons par nous approcher de Salomon.
Vous avez entendu au début du culte la prière que Salomon adresse à Dieu et la réponse divine (1Rois 3, 4-15).
Ce jugement de Salomon vient juste après.
C’est dire à quel point ce jugement est, pour les auteurs bibliques, la mise en pratique de la sagesse qui se fait dans le compagnonnage avec Dieu.
La première chose à remarquer, c’est que Salomon est roi et qu’il est pourtant très accessible, ce qui est courant dans le Proche Orient Ancien, mais les auteurs bibliques insistent pour nous dire qu’il prend vraiment le temps d’écouter ces deux moins que rien pour la société de l’époque que sont ces deux prostituées.
Le signe qu’il les écoute vraiment est qu’il est capable de reformuler ce qu’elles ont dit.
C’est l’art de la reformulation avec trois millénaires d’avance sur les manuels de communication interpersonnelle !
C’est respecter la singularité de la parole de l’autre si bien que l’on peut être capable de reformuler ce qu’il dit sans le déformer.
Et comme on n’a pas toujours l’esprit aussi vif que Salomon, cela peut aussi vouloir dire prendre le temps, si l’on n’a pas bien compris, de faire préciser à l’autre ce qu’il veut dire, alors que la tendance naturelle est de se précipiter vers une réponse à donner.
Salomon donc respecte celles qui sont devant lui, les écoute mais l’impasse parait insoluble.
Chacune dit que l’enfant est le sien.
C’est parole contre parole.
On attendrait une parole de sagesse, un beau discours.
Au lieu de cela, Salomon demande d’apporter une épée.
Le jugement de Salomon, comme le jugement de Dieu, ce n’est pas une partie de plaisir, parce que c’est toujours difficile de venir à la vérité, mais ce n’est pas du tout la vieille image du Dieu barbu avec une balance qui pèse les bonnes et les mauvaises actions. Un peu plus, un peu moins…
Jésus le dira avec force : le jugement, c’est « krisis », qui a donné notre français « crise » : c’est ce moment de vérité, de révélation, où l’on ne peut pas rester dans l’entre-deux, dans les faux-semblants.
Et l’on voit bien ici que ce jugement/crise est déjà présent dans l’Ancien Testament.
Salomon aurait pu dire : « Bon, l’enfant, quinze jours chez l’une, quinze jours chez l’autre… », un moyen terme, une justice apparemment égalitaire.
Non, Salomon dit : « Coupez-le en deux » et le lecteur frémit.
Mais c’est évidemment une parole violente qui cherche à faire réagir et non à détruire, comme souvent les paroles de Dieu qui nous paraissent au premier abord violentes.
Il s’agit d’aider l’être humain à descendre au coeur de son être, où la vérité peut se révéler.
Le critère de la sagesse divine sur laquelle le jugement de Salomon s’appuie, même les petits le comprennent d’emblée : c’est l’amour.
Le problème c’est que l’amour est un mot qui est mis à toutes les sauces en Français.
D’abord parce qu’on a le même mot pour dire qu’on aime ses parents, son amoureux ou le chocolat. Ce n’est pas très pratique.
Ensuite, parce que nous confondons souvent aimer et posséder. C’est beaucoup plus courant qu’on ne croit…
Salomon, lui, a reçu la sagesse de discerner ce qu’est l’amour selon Dieu : celui qui préfère le bonheur de l’autre à l’illusion de sa possession.
Salomon figure donc le premier type de relation à Dieu et aux autres que la Bible nous donne à méditer dans cette histoire.
C’est toi, c’est moi, quand je cherche à me désencombrer de mes préjugés et que je prends du temps pour demander à Dieu de m’éclairer pour savoir gouverner, c’est à dire agir dans la vie en adulte qui sait discerner et faire de vrais choix.
C’est toi, c’est moi quand nous comprenons que l’amour à la « manière de Dieu » c’est écouter, consacrer du temps à l’autre.
C’est vouloir son bonheur et donc aussi sa liberté.
Approchons-nous maintenant des deux autres personnages : les deux femmes.
Chacune a un fils.
On ne nous dit pas si elles ont d’autres enfants et c’est fait exprès.
C’est pour mettre en valeur le fait que leur fils est ce qu’elles ont de plus précieux.
À une époque où il n’y a pas de retraite ni de sécurité sociale, avoir un fils c’est avoir de la force de travail.
Le fils laboure la terre ou s’occupe du bétail : avoir un fils, c’est avoir la garantie d’avoir à manger.
Plus encore pour ces femmes prostituées en butte aux violences.
Avoir un fils, c’est avoir aussi une garantie de protection.
Si les deux femmes habitent ensemble c’est qu’elles s’entendent bien.
C’est facile de bien s’entendre quand on est à égalité. Toutes les deux prostituées.
Elles se serrent les coudes.
Mais le grand malheur arrive et voilà que nait une grande inégalité entre elles : l’une a un fils vivant et l’autre n’a plus rien.
La Bible ne cesse d’explorer ce qui se passe quand survient le malheur ou l’inégalité entre les êtres.
Regardons d’abord la mère de l’enfant mort : elle a étouffé sans le faire exprès son enfant dans son sommeil.
C’est une femme pauvre.
Sans doute fatiguée.
Elle s’est endormie avec son enfant et en se tournant dans son sommeil, elle l’a malencontreusement étouffé.
C’est un grand malheur.
Et même si elle n’y est pour rien, elle doit beaucoup culpabiliser.
Qu’est-ce qu’elle fait de son malheur ?
Elle est jalouse de l’autre femme.
Elle va lui voler son enfant. C’est un premier péché, comme on dit dans nos Eglises.
C’est-à-dire que plutôt que de se tourner vers Dieu au coeur du malheur pour trouver un chemin dans l’impasse, elle va essayer de remplir son vide avec ce qu’à l’autre.
Elle voit l’enfant comme une chose interchangeable, et pas du tout comme un être unique.
Ensuite, au moment du jugement, c’est encore pire, non seulement l’enfant est une chose qu’elle veut posséder, un peu comme un objet, mais elle le sacrifie.
C’est probablement d’abord pour ne pas se contredire – on aurait tort de considérer cela comme une petite chose : l’être humain déteste avoir tort devant tout le monde ! –
Mais c’est plus profondément pour que l’autre femme soit entrainée dans son malheur, dans le trou : « Coupez-le en deux, comme ça il ne sera ni à moi ni à toi. ».
C’est le deuxième type de relation à Dieu et aux autres.
Bien entendu, comme les autres personnages de cette histoire, c’est un personnage extrême, mais cela donne à voir ce qui se passe quand je ne me sens pas aimé par Dieu, par les autres ou par la vie… et que dans le malheur je veux essayer de combler mon manque avec ce qu’à l’autre.
Le troisième personnage de l’histoire, la mère de l’enfant vivant, est une femme tout à fait ordinaire : son discours est le même que l’autre femme, elles semblent interchangeables, mais quand Salomon propose de couper l’enfant en deux, le texte nous dit : « La mère de l’enfant vivant s’émut pour son fils ».
Elle est bouleversée. Le mot en hébreu dit littéralement : « prise aux tripes ».
Elle parle du plus profond d’elle-même.
Vous savez, c’est ce moment où le regard des autres ne compte plus, où l’on ne peut faire autrement que d’aimer viscéralement – pour garder l’image hébraïque – de tout son être.
Ce qu’elle dit à ce moment-là, ce n’est pas une bonne action, c’est le fruit de son amour pour cet enfant-là, singulier.
Elle ne peut pas faire autrement, puisqu’elle aime vraiment, que de sacrifier son honneur : devant toute l’assemblée du tribunal, elle parait donner raison à l’autre femme, elle rétracte sa demande :
Elle dit : « Mon roi, pardon ! Donne plutôt l’enfant vivant à cette femme. Ne le tue pas ! »
Elle sacrifie son désir d’avoir son fils pour elle, avec elle, afin qu’il vive.
Elle n’aurait jamais cru être capable de cela un jour, sans doute.
Le texte ne nous dit pas qu’elle a une relation à Dieu plus pieuse que l’autre femme. Non, mais c’est la justesse de la parole de Salomon qui lui révèle à elle-même qu’elle aime à ce point-là.
Cette femme figure le troisième type de relation à Dieu et à l’autre : c’est moi, c’est toi, c’est celui qui dans l’épreuve, même s’il ne sait pas que Dieu est la source de l’amour, se laisse comme irriguer par cette sève qui lui permet d’aimer encore davantage.
Son sacrifice n’est pas masochisme parce qu’il est source de vie.
Dans l’ordre du Royaume de Dieu, cette femme prostituée est une reine : libre, clairvoyante, aimante comme l’est Salomon.
Alors, comme vous voyez, loin d’être un texte mort, ce récit du jugement de Salomon nous parle de nous et des différentes possibilités de réagir face aux événements de la vie.
Il nous tend comme un miroir grossissant, parce qu’il pousse la logique des attitudes que sommes tentés d’adopter dans la vie.
Il nous montre où ces différentes tendances conduisent…
Et l’on voit souvent très bien ces travers chez les autres, mais le texte biblique veut nous conduire à nous interroger nous-mêmes.
Voici donc au moins deux grandes séries questions qu’il ouvre pour chacun d’entre nous :
Qu’est-ce qu’est-ce que je fais avec l’épreuve, le malheur qui atteint ma vie ?
D’abord avec les grandes épreuves de l’existence : quand on perd un enfant, un conjoint, un vrai ami.
Est-ce que cela me conduit à vouloir remplir le vide ?
À me recroqueviller sur moi-même et mon malheur ?
Mais la question est valable aussi pour tous les petits malheurs, toutes les inégalités entre nous, ce qui nous parait injuste : l’autre qui a plus de succès ou qui est plus beau que moi… Cet autre, est-ce que je suis heureux pour lui ou non ?
Est-ce que je cherche à voir quel peut être mon chemin propre, mes propres talents à développer, ou est-ce que je suis obsédé par ce que je perçois comme une injustice de Dieu ou de la vie ?
Et même, est-ce que je suis parfois jaloux au point de faire du mal à l’autre, pour ne pas être seul dans mon malheur ? Peut-être pas par une action horrible comme la mère de l’enfant mort du livre des Rois mais plus souvent par des petites piques, vous savez, celles qui minent les relations humaines…
La seconde grande série de questions que nous pose ce texte, c’est : est-ce que je veux devenir petit à petit « roi » ou « reine » à la manière de Salomon ?
En prenant le temps d’écouter vraiment, de discerner.
Ou bien à la manière de la mère de l’enfant vivant, sans vouloir posséder celles et ceux que j’aime mais en prenant ma joie dans le fait qu’ils soient heureux ?
Que Dieu nous aide chacun, chacune, pour nous puissions repenser nos rapports humains en résonance avec ce jugement de Salomon. Qu’il nous guide par son Esprit petit à petit vers des relations plus justes et plus aimantes.
