Prédication du 21 septembre 2025
Culte du Temps pour la Création 2025
d’Anthony Odienne Magalhaes
Lectures : Genèse 8, 18 à 9, 5 et 8-11 ; Esaie 32, 14-18
Lectures bibliques
Genèse 8, 18 au 9, 5 et 8-11
18 Noé sortit, lui, ses fils, sa femme et les femmes de ses fils avec lui. 19 Tous les animaux, toutes les bestioles, tous les oiseaux et tout ce qui fourmille sur la terre, tous ceux-là sortirent de l’arche, famille par famille.
20 Noé bâtit un autel pour le Seigneur ; il prit de toutes les bêtes pures et de tous les oiseaux purs, et il offrit des holocaustes sur l’autel.
21 Le Seigneur sentit une odeur agréable, et le Seigneur se dit : Je ne maudirai plus la terre à cause des humains, parce que le cœur des humains est disposé au mal depuis leur jeunesse ; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait.
22 Tant que la terre subsistera,
les semailles et la moisson,
le froid et la chaleur,
l’été et l’hiver,
le jour et la nuit
ne cesseront pas.
1 Dieu bénit Noé et ses fils ; il leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre.
2 Vous inspirerez de la crainte et de la terreur à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui fourmille sur la terre et à tous les poissons de la mer : ils vous ont été livrés.
3 Tout ce qui fourmille et qui vit vous servira de nourriture : comme les végétaux, je vous donne tout cela.
4 Seulement, vous ne mangerez pas de chair avec sa vie, c’est-à-dire avec son sang.
5 De plus, je réclamerai votre sang, pour votre vie ; je le réclamerai à tout animal ; et je réclamerai à chaque être humain la vie de l’homme qui est son frère.
8 Dieu dit encore à Noé et à ses fils avec lui :
9 Quant à moi, j’établis mon alliance avec vous et avec votre descendance après vous,
10 avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, tant les oiseaux que le bétail et tous les animaux sauvages, avec tous ceux qui sont sortis de l’arche, avec tous les animaux sauvages.
11 J’établis mon alliance avec vous : tous les êtres ne seront plus retranchés par les eaux du déluge, et il n’y aura plus de déluge pour anéantir la terre.
Esaïe 32, 14-18
14 Car le palais est délaissé,
la ville tumultueuse est abandonnée ;
l’Ophel et la Tour
deviendront pour toujours des grottes ;
ils feront la gaieté des ânes sauvages
et la pâture des troupeaux
15 jusqu’à ce qu’un souffle soit déversé sur nous d’en haut,
que le désert se change en verger,
et que le verger soit considéré comme une forêt.
16 Alors l’équité demeurera dans le désert,
et la justice habitera dans le verger.
17 L’œuvre de la justice sera la paix,
et l’ouvrage de la justice,
la tranquillité et la sécurité pour toujours.
18 Mon peuple habitera dans un domaine de paix,
dans des demeures de confiance,
dans des lieux de repos tranquilles.
Prédication
Les récits que nous avons entendus, très beaux, très poétiques, ne sont pas des chroniques historiques du passé, mais des mythes. Ce mot ne veut pas dire que ces textes n’ont qu’un intérêt esthétique, ou qu’on essaierait de tromper le lecteur, mais ils sont comme une manière symbolique de dire le monde. Ces textes sont des cartographies de l’existence humaine. En effet, comme une carte, ils ne sont pas le territoire lui-même, mais une représentation qui permet de s’orienter, de trouver un chemin, d’ouvrir un horizon. Une carte choisit des signes, des symboles, qui aident à lire un paysage, à comprendre presque intuitivement ce qui s’y joue. On voit un dessin, on voit que ce n’est pas une représentation photographique du paysage, mais on comprend ce qui s’y passe, même sans mots, Les mythes bibliques font de même : ils choisissent des symboles pour dire l’indicible, pour rendre visible la relation entre l’humain, le cosmos et Dieu.
Les deux textes que nous avons ici sont aussi, en un sens, des cartographies symboliques qui analysent le rapport des sociétés humaines à la nature, qui essaient d’en donner une analyse et une explication, et qui tentent d’y apporter un sens, et, pourquoi pas, des sources de réflexion afin que le lecteur puisse lui aussi se positionner, faire des choix, rejeter une position ou l’adopter, bref, entrer dans une dynamique active et ne pas rester dans une passivité face à l’existence.
Voyons donc quelle lecture du monde nous est ici présentée, et les conclusions que l’on peut en tirer.
Ainsi, les passages que nous avons ici, le récit de la sortie de l’arche de Noé et le passage du prophète Ésaïe, que nous avons entendus, offrent, à l’intérieur de chacun deux, deux visions, j’ai envie de dire, clair et obscure, comme le jour et la nuit dont parle le texte de la sortie de l’arche, deux visions donc de ce qu’est le monde : celle d’un monde paradisiaque, harmonieux, où le vivant est en paix, et celle d’un monde déchiré par la violence et l’injustice. Nous sommes toujours entre ces deux pôles : le don merveilleux de la création, et l’expérience de sa dévastation ; la promesse d’une paix à venir, et la réalité d’un monde où la souffrance est bien présente. Quand on veut lire et interpréter le monde, quand on veut l’analyser, on commence par classer les choses, séparer, d’un côté et de l’autre. Passer par le binaire pour ensuite, petit à petit, mieux comprendre le monde dans sa complexité.
Le récit de Noé est particulièrement éclairant. Il commence dans le constat terrible d’une humanité violente, qui a rompu son lien avec le vivant. Le déluge n’est pas une punition arbitraire, mais la conséquence d’une cruauté devenue insoutenable. Pourtant, au sortir de l’arche, Dieu prend une décision surprenante. Il ne s’adresse pas seulement à Noé et à ses enfants, mais à « tout ce qui est vivant » : les oiseaux, le bétail, les animaux sauvages, tout ce qui grouille sur la terre. L’alliance de Dieu n’est pas réservée aux humains. Elle est cosmique. Elle embrasse le vivant tout entier. Et elle inclut aussi les rythmes du monde : jour et nuit, froid et chaleur, été et hiver. Autrement dit, l’alliance repose sur la reconnaissance de l’altérité : altérité des autres êtres, altérité des saisons, altérité de tout ce qui n’est pas moi.
Dieu fait donc alliance avec toute la Création.
Mais Dieu introduit aussi un important changement dans l’ordre des choses : l’être humain, qui jusque-là se nourrissait seulement de végétaux, est désormais autorisé à manger de l’animal. C’est comme un compromis avec la violence humaine. Mais ce compromis est limité, borné, contrôlé : il faut respecter le sang, symbole de la vie. On est dans un compromis qui canalise la violence. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien. Oui, le rapport au vivant, à la nourriture, est encadré. Même dans une société traditionnelle ancienne, j’ai envie de dire, surtout dans les sociétés traditionnelles anciennes, on ne mange pas de l’animal n’importe comment, on ne tue pas un animal de manière anodine pour se nourrir. La nourriture n’est pas dissociée du concept de respect.
Tuer un animal n’est pas un geste banal. Dans les sociétés anciennes, manger était toujours chargé d’une conscience : la vie se nourrit de la vie, et cela exige gratitude et limite.
Ésaïe, quant à lui, nous emmène ailleurs. Son regard se tourne vers l’avenir, non pas dans le sens d’une fin des temps, mais dans la perspective d’un monde transformé. Esaïe nous montre que l’état actuel des choses n’est pas immuable. Le monde injuste, dans lequel nous détruisons la nature, peut être rectifié, afin de vivre en harmonie avec la nature.
Il décrit le désert qui devient verger, le fruit qui se multiplie, la justice qui s’installe. Pour lui, la paix n’est pas un rêve éthéré, mais le fruit concret, palpable, de la justice. La justice n’est pas ici une valeur conceptuelle qu’on idolâtre, c’est une force agissante, dont les effets sont concrètement perceptible, et on nous décrit des exemples, symboliques toujours, des conséquences de son action.
On en voit les effets : tranquillité, confiance, repos. Comme si, dans la texture même du monde, une fois la justice mise en place, tout s’apaise et retrouve sa justesse.
Ces récits nous rappellent que nous vivons dans un monde d’interdépendance. Rien n’existe isolément. Nous dépendons des autres humains, des animaux, des végétaux, des équilibres écologiques. Cette interdépendance nous appelle à reconnaître la dignité de toute existence. La dignité des femmes et des hommes, mais aussi celle des espèces animales, de la terre, des eaux, de l’air. Nous avons soif de dignité, et cette soif ne peut être comblée que si elle s’étend à toutes et à tous.
À la sortie de l’arche, Dieu ne se réjouit pas de la situation. Il fait avec la violence humaine, mais il ne la cautionne pas. C’est une solution par défaut, une manière de limiter la casse. Cela ressemble étrangement à notre propre monde : nous vivons dans un système marqué par la violence, pas seulement celle des armes, mais celle d’une économie de prédation, d’une organisation hiérarchique qui met en haut les plus puissants, souvent des hommes, et en bas le reste du vivant. Nous savons, nous sentons, combien cette organisation détruit. Comme l’ont exprimé de nombreuses théologiennes contemporaines, nous vivons dans un monde dans lequel s’exerce, pour reprendre les mots de la théologienne Ivone Gebara dans son introduction au livre Gaïa et Dieu.e, nous vivons dans un monde dans lequel s’exerce « une oppression exercée par une forme d’organisation socio-économique hiérarchique et dominatrice qui détruit […].
Cette domination se fonde sur l’affirmation d’une supériorité tacite ou explicite de certains êtres par rapport à d’autres. ».
« Ce système social s’enracine dans une vision de l’être humain masculin, présenté comme supérieur aux femmes et à toutes les formes de vie qui constituent les forces de vie dans la planète. ».
Cette logique engendre exploitation, inégalités, destructions écologiques.
Mais la voix d’Ésaïe nous rappelle que ce n’est pas une fatalité. La désolation peut être retournée en fertilité. La justice peut changer les choses. Le désert peut devenir verger. La promesse de Dieu n’est pas un mirage pour demain, mais une possibilité pour aujourd’hui.
C’est ce que nous rappelle aussi le Temps pour la Création que nous vivons ces semaines-ci. Chaque année, du 1er septembre au 4 octobre, les Églises, catholiques, orthodoxes, protestantes, du monde entier nous invitent à prier et à agir pour notre maison commune.
Il est bon, il est beau, que cette réflexion se fasse de manière oecuménique. Elle devrait même pouvoir se fair de manière inter religieuse. Pourquoi ? Car nous observons dans toutes les religions les mêmes processus à l’oeuvre. Les mythes fondateurs ont été appropriés et relus à l’aune de la société patriarcale pour installer la domination de l’homme sur le reste de la création, femmes comprises. On peut donc se réjouir de voir les religions chrétiennes réfléchir ensemble à son rapport à la nature.
Le thème choisi pour 2025 est celui du « Jardin de la paix ». Quelle belle image : un jardin n’existe que si on le cultive. Il demande soin, patience, attention. Il suppose un jardinier. Dieu est le grand artisan de ce jardin, mais il ne le cultive pas seul. Nous sommes appelés à être ses coopérateurs, à prendre soin du tissu vivant dont nous faisons partie.
Or notre société contemporaine a perdu beaucoup de ce sens. Nous avons invisibilisé nos rapports au vivant. Notre alimentation en est un exemple frappant. Nous mangeons sans savoir ce que nous mangeons. Le steak dans l’assiette n’évoque plus l’animal qui a grandi, qui a été abattu, souvent trop tôt, après une vie réduite à une fonction productive.
Cette distance, ce voile, n’existait pas autrefois. Les sociétés anciennes savaient le prix d’une vie donnée pour en nourrir une autre. En oubliant cela, nous perdons une conscience essentielle, et nous sombrons dans l’indifférence.
Il faut donc retrouver une juste relation. Non pas tomber dans deux excès opposés : ni considérer la nature comme une divinité qu’il faudrait adorer. Voir dans la nature un être pensant, magique, sacré, que l’on doit vénérer. Ce serait tomber dans une forme d’idolâtrie de la nature qui ne correspond pas au message transmis par les Ecritures, dans lesquels la Création n’est que Création.
Il ne faut pas non plus la réduire à une simple ressource à exploiter, voir dans les textes bibliques un récit littéral dans lequel Dieu installerait la domination de l’homme sur les femmes, les animaux et toute la Création. C’est une analyse à courte vue, à mon sens, des textes bibliques, qui ne prend en compte ni le contexte historique, ni le contexte social, ni le mode de construction des Ecritures.
Il existe une troisième voie, celle qui reconnait dans la Nature un écosystème, d’une immense complexité, en lien avec notre propre être. Quelque chose d’à la fois Autre, mais tellement lié à moi qu’il fait presque partie de moi. Un maillage, un tissage, fin et délicat, dans lequel Dieu serait le tisserand patient, l’artisan qui conçoit avec finesse et délicatesse, et qui parfois, doit réparer comme il peu l’ouvrage abimé.
Ces textes ne nous racontent pas seulement une histoire ancienne. Ils ne nous parlent pas d’un passé révolu ou d’un futur lointain. Ils nous concernent aujourd’hui.
Alors que faire ? Il n’y a pas de solution miracle. Le texte n’apporte pas de réponse mais un questionnement. Ils initient une dynamique en nous.
Ils nous demandent : quelle est ta manière d’être au monde ? Comment te situes-tu dans le réseau du vivant ? Es-tu conscient des conséquences de tes choix, de tes habitudes, sur la terre et sur les autres ? Tâches-tu de vivre en harmonie avec le tissage délicat de la création, ou l’abîmes-tu sans y penser ?
Frères et sœurs, nous sommes appelés à devenir de beaux fils dans l’ouvrage de Dieu.
Solides, bien placés, en harmonie avec les autres, pour que la grande tapisserie de la création soit un tissu de justice, de paix, de confiance et de tranquillité. Tel est le jardin de la paix auquel Dieu nous convie. Tel est le temps que nous avons à vivre. Tel est l’appel que nous recevons aujourd’hui.