La liberté

Lectures : Luc 4,16-19 ; Galates 5,1 et 13-15

Prédication du 27 octobre 2019

Culte de la Réformation

de Dominique Hernandez

Audio du culte et de la prédication

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Lectures

Luc 4,16-19
A Nazareth, Jésus est rejeté

16 Il vint à Nazareth, où il avait été élevé, et il se rendit à la synagogue, selon sa coutume, le jour du sabbat. Il se leva pour faire la lecture,
17 et on lui remit le livre du prophète Esaïe. Il déroula le livre et trouva le passage où il était écrit :
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le retour à la vue, pour renvoyer libres les opprimés,
19 pour proclamer une année d’accueil de la part du Seigneur.

Galates 5,1
Déchus de la grâce

1 C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés. Tenez donc ferme, et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage.

Galates 5,13-15
Vivre, non selon la chair, mais selon l’Esprit

13 Mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne devienne pas un prétexte pour la chair ; par amour, faites-vous plutôt esclaves les uns des autres.
14 Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
15 Mais si vous vous mordez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de ne pas être détruits les uns par les autres.

Prédication

A partir du XVI° siècle, les Réformateurs ont ré-ouvert un vaste de champ de réflexion sur le thème de la liberté. Ré-ouvert car ils se situaient à la suite des Écritures et en particulier à la suite de l’apôtre Paul. Les lettres de Paul concentrent en effet la quasi-totalité des occurrences du mot « liberté » dans le Nouveau Testament, à tel point que Paul peut être qualifiés d’apôtre de la liberté. Ainsi dans l’épitre aux Galates, il exhorte les chrétiens de Galatie, avec des termes souvent vigoureux, à se souvenir, c’est-à-dire à rendre vivants dans leur esprit et leur existence, ce à quoi ils sont appelés, leur vocation à la liberté.

Ce qui oblige Paul à écrire aux Galates, c’est la tension entre la liberté et la loi. Après le départ de l’apôtre, d’autres prédicateurs ont prêché ce que Paul dénonce, à savoir un retour à l’obéissance à des prescriptions telles que la circoncision ou le respect d’un calendrier religieux spécifique. La tension entre la Loi et la liberté évangélique s’est affaissée parce que la Loi a repris le dessus ; la Loi ou plutôt, pour Paul, une interprétation particulière de la Loi sans l’éclairage de l’Évangile. Jean Calvin parlera aussi des siècles après Paul de l’illumination intérieure du Saint Esprit qui donne de comprendre les Écritures et ce qui fonde la Loi.

Liberté : que signifie ce mot pour Paul ?

La liberté est couramment comprise comme l’absence de contrainte. Mais cela ne correspond pas à ce que l’apôtre comprend et veut transmettre.
En effet, Paul a hérité à la fois de la compréhension hébraïque et de la compréhension grecque de la liberté. Dans les Écritures du judaïsme, ce que nous appelons l’Ancien Testament, la liberté n’est pas une idée ni un concept. Elle est une expérience, une expérience fondatrice dont l’expression majeure est mise en récit dans le livre de l’Exode. Il s’agit de la libération de l’esclavage en Égypte pour le service de l’Éternel et pour une qualité de vie particulière dessinée par le Décalogue, les Dix Paroles de vie. Les prophètes d’Israël ont déployé le service de l’Éternel, on pourrait dire le culte, dans le même espace qui joint expressément le service de l’Éternel et le comportement social. Un des témoins en est par exemple le livre du prophète Esaïe : (Es 58,6) Le jeûne que je préconise, n’est-ce pas ceci : détacher les chaînes de la méchanceté, dénouer les liens du joug, renvoyer libres ceux qu’on écrase et rompre tout joug ?La libération du peuple est accordée à l’œuvre de libération d’autrui.

Jésus de Nazareth, lors de sa première prédication publique à la synagogue de Nazareth reprend à son compte cette œuvre de libération en empruntant un autre passage du livre d’Esaïe : proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement de la vue, renvoyer libres les opprimés. L’ouverture programmatique de son ministère consiste en une fidélité à l’Esprit du Dieu de l’Exode et des prophètes, fidélité qui ne sera pas sans écart avec la compréhension religieuse de son temps.

Du côté grec, l’homme libre est celui qui peut aller où il veut sans contrainte, à la différence de l’esclave et de la femme. Pour les stoïciens en particulier, la liberté consiste en une action responsable et sans se laisser atteindre par ce qui ne dépend pas de soi, avec un certain détachement, une hauteur de vue, une liberté intérieure.

Paul retravaille l’expérience de l’Ancien Testament avec cette notion de liberté intérieure. Il se fait à partir de sa propre expérience.

En effet, Paul sait parfaitement à quel point la liberté peut s’exercer au détriment d’autrui, lui qui a délibérément persécuté les disciples du Christ pour les contraindre à abandonner leur foi et revenir à la conformité à la norme religieuse qu’il défendait. Délibérément aussi l’esclavagisme et la traite des esclaves à laquelle ont pris part des armateurs bien protestants, le régime d’apartheid en Afrique du Sud, ou l’exploitation « normale » donc l’oppression avouée ou insidieuse de parties d’une population que ce soient les femmes, les immigrés, les plus démunis… Ce n’est pas avec cette liberté que s’édifie une communauté chrétienne, nous disons aujourd’hui une Église. Cela produit plutôt une jungle où les plus faibles sont dévorés.

Il n’est pas question non plus pour Paul d’user de la liberté pour constituer des groupes différents et séparés, chacun dans ses murs, régi par ses propres lois et rassemblé autour de ses propres convictions. Même si la violence physique n’intervient pas dans cette configuration, l’indifférence et/ou le mépris oui, et cela n’édifie pas non plus une Église ; c’est plutôt aux Corinthiens que Paul le rappellera.

Ce qui construit, ce qui édifie une Église, Paul dirait plutôt la communauté des saints, c’est la liberté comprise et vécue comme service d’autrui : Faites-vous plutôt esclaves les uns des autres.

L’expérience de Paul, qu’il a rappelée aux Galates au début de sa lettre, c’est d’avoir été arraché à une spirale de mort, et d’en avoir été arraché par grâce, pour être planté dans le champ de l’humanité pour y déployer la vie. Par grâce : c’est-à-dire sans mérite de sa part. Car la première liberté pour Paul, c’est celle de Dieu qui n’est lié par aucun rite, aucune formule, aucun besoin.

L’expérience de Paul, présente en d’autres termes dans bien des récits des évangiles, c’est celle d’être libéré de la quête toujours incessante et infructueuse de devoir se justifier soi- même d’être vivant sur cette terre.
La libération selon l’Évangile, c’est de ne plus suivre la pente intérieure de la nécessité de trouver en soi sa raison d’être, dans ses capacités, ses compétences, ses dons. Cette pente intérieure mène à la comparaison et à la peur de l’autre, à la quête infinie d’une perfection qui n’est qu’orgueil. Parce que dans la foi, la raison d’être d’un humain lui est donnée et elle repose en Dieu, dans l’amour et la grâce de Dieu. La raison d’être de l’humain n’est pas en lui- même, elle est en Dieu et donc à l’abri de ce qui pourrait l’altérer. Il n’est pas besoin d’en fournir des preuves. En termes théologiques, la justification par la grâce entraîne la libération de l’humain qui n’est plus mobilisé, voire manipulé par les passions intérieures de l’auto- justification et de la peur. Ce n’est plus la Loi et son application qui justifient, c’est l’amour gratuit de Dieu tel que Jésus-Christ l’a révélé.

La conséquence de la libération pour Paul, c’est la volonté, le désir qu’il en soit de même pour autrui, car cette quête vaine est cause de malheur, malheur sur malheur, pour celui qui s’y consacre et pour et pour ceux qui l’entourent. La conséquence de la libération, c’est le service des autres, un service pour leur libération puisque leur sont offerts la même grâce, le même amour inconditionnel de Dieu. Martin Luther l’exprimera en termes forts dans le court mais si important Traité de la liberté chrétienne : Le chrétien est un libre seigneur en tout et n’est soumis à personne. Le chrétien est un esclave asservi en tout et est soumis à tous.

La liberté du chrétien ne le concerne pas lui seulement, mais également le regard qu’il porte sur l’autre. La liberté de l’Évangile, c’est de pouvoir considérer autrui comme étant lui aussi au bénéfice de la libération, c’est de n’être pas empêché d’œuvrer à la libération d’autrui.

Mais ce que Paul sait aussi, et les Galates en sont un exemple, c’est que la liberté est menacée. C’est pourquoi il précise : c’est pour la liberté que le Christ nous a libéré. La liberté au carré comme l’a écrit Corina Combet qui fut professeur de Nouveau Testament à la faculté protestante à Paris. La libération est le commencement d’un nouveau chemin, un chemin de liberté, un chemin vers la liberté. Paul, l’ancien dévoreur, le persécuteur devenu serviteur, sait quelle terrible connivence l’humain entretient avec ce qui l’asservit et qui se tapit au plus profond de lui-même : la tentation de la preuve, de l’auto-justification et ses formes récurrentes,

  • l’uniformité plutôt que la complémentarité,
  • le profit plutôt que la gratuité,
  • la peur plutôt que la confiance,
  • et aussi le slogan plutôt que la réflexion,
  • la surexploitation plutôt que la sobriété,
  • la sécurité plutôt que la liberté,
  • et la domination de l’autre plutôt que l’amour du prochain.

Paul nomme cela vivre selon la chair ce qui est le lot de l’humain livré à lui-même, asservi à ses passions intérieures, au péché pour le dire théologiquement, si bien que l’humanité de l’humain et entre les humains finit par disparaître. Dans les versets que nous avons lus, la dévoration exprime cette déformation déshumanisante que la Loi favorise lorsqu’elle n’est pas adossée à l’Évangile et à la foi au Dieu qui justifie et libère en Christ. Vivre selon la chair ou vivre selon l’Esprit (et là où est l’Esprit, là est la liberté) c’est un choix de foi qui doit être tenu, maintenu avec persévérance dans la durée du temps car les passions intérieures sont profondément ancrées en l’humain, forgées en partie par la naissance, l’enfance, l’éducation, la culture, les blessures, les échecs…

Paul bataille souvent contre les dévoiements de la liberté évangélique. Tout m’est permis mais tout n’est pas utile rappelle-t-il aux Corinthiens. Et aussi la lettre tue, mais l’Esprit vivifie, quand il s’élève à sa manière contre le littéralisme. Le chemin de liberté, vers la liberté ne passe pas par des codes à appliquer mais par une recherche accordée à chaque situation : par exemple manger de la viande sacrifiée aux idoles ou pas. En bien des circonstances, l’apôtre doit rappeler que la liberté s’expérimente dans le rapport à autrui, c’est-à-dire dans le service d’autrui. Il doit rappeler que la liberté n’est pas un gain personnel mais qu’elle joue dans les relations pour conduire à faire des choix de manière délibérée, c’est-à-dire de manière libre et réfléchie et même joyeuse : respecter ou pas une tradition, obéir ou pas à une règle, suivre ou pas une norme, se conformer ou pas à un modèle.

Et l’horizon du choix, ce n’est pas le salut ou la grâce puisqu’ils sont déjà donnés. Ce n’est pas non plus une récompense, une rétribution. L’horizon du choix, c’est le prochain, ni pour le gagner, ni pour le conformer, mais pour le servir, pour servir à sa libération.
Aujourd’hui, Paul serait certainement interrogé sur des questions d’éthique posées par le progrès scientifique et technique entre procréation et fin de vie, technique génétique et dérèglement climatique. Il n’y a pas de réponse donnée à l’avance, mais une orientation vers le prochain, qui nécessite du temps, de la réflexion et la prière aussi, et qui ne garantit ni tranquillité ni reconnaissance. Autant dire que seule la foi peut mettre en chemin dans cette direction du service de la libération d’autrui.

Bien sûr, la vie en société nécessite des lois, le rôle du pouvoir politique est de favoriser le vivre ensemble dans un espace commun dans la justice et en paix, en humains. Bien des siècles après Paul, c’est Jean Calvin qui fustige le pouvoir politique qui ne remplit pas sa fonction en obligeant les gens à vivre comme des rats sur la paille, c’est-à-dire préoccupés seulement de leur propre survie, préoccupation dans laquelle l’autre ne peut être qu’un gêneur, un outil ou un adversaire. Comme des rats, pas comme des humains.

L’amour du prochain, accomplissement de la Loi, prend en particulier la forme du service pour la libération d’autrui, une manière d’être en relation qui témoigne de l’extrême dignité dont le prochain est crédité devant Dieu et donc pour le chrétien. Le prochain est crédité et non débiteur d’une dette à rembourser.

Justifié, libéré par la grâce, pour servir le prochain. Voici, pour aujourd’hui, la Bonne Nouvelle d’une liberté dynamique, liberté dans l’Esprit de Dieu, liberté comme dynamique d’existence dans laquelle cheminer et à faire passer.

Amen