Prédication du 3 mars 2024

Culte-cantate

de Dominique Hernandez

La demeure de Dieu

Lecture : Jean 14, 15-29

Lecture biblique

Jean 14, 15-29

15 Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. 
16 Moi, je demanderai au Père de vous donner un autre défenseur pour qu’il soit avec vous pour toujours, 
17 l’Esprit de la vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il sera en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viens à vous. 
19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, parce que, moi, je vis, et que vous aussi, vous vivrez. 
20 En ce jour-là, vous saurez que, moi, je suis en mon Père, comme vous en moi et moi en vous. 
21 Celui qui m’aime, c’est celui qui a mes commandements et qui les garde. Or celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui.
22 Judas, non pas l’Iscariote, lui dit : Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non pas au monde ? 
23 Jésus lui répondit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure auprès de lui. 
24 Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Et la parole que vous entendez n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé.
25 Je vous ai parlé ainsi pendant que je demeurais auprès de vous. 
26 Mais c’est le Défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, qui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne cède pas à la lâcheté ! 
28 Vous avez entendu que, moi, je vous ai dit : Je m’en vais et je viens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, car le Père est plus grand que moi. 
29 Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent, pour que, lorsqu’elles arriveront, vous croyiez.

Prédication

Il y aurait bien des raisons de laisser tomber et des prétextes pour se laisser aller. Qu’est-ce que c’est que cet humain, que cette humanité dérivant de profits en violences, d’égoïsme en haines ? Il suffit d’entendre, de l’Ukraine à la Palestine, du Congo à la Russie et à la forêt amazonienne, n’entendre que morts, destructions, famine, répressions et oppression. Il suffit de constater ces crises accumulées : climat, justice sociale, droits de l’humains, et de regarder dans nos villes celles et ceux qui errent, qui crient, qui tombent, qui sont défaits, petit à petit, d’un coup. Et cette solitude, cet isolement qui enferme et sépare, qui fragmente et diminue.
Qu’est-ce que cet humain perdu, perdant, déchiré, pécheur pour le dire en terme théologique ?
Il y aurait de quoi se laisser aller à la fatalité, spirale descendant dans l’obscurité du désespoir.

Lorsque Jésus parle à ses disciples, c’est pour les préparer à son absence : il va mourir. Ils auraient de quoi laisser tomber, se laisser aller : celui en qui ils reconnaissent le Christ, celui en qui ils ont placé leur raison de vivre va mourir.
Lorsque l’évangéliste Jean écrit, c’est pour des croyants vivant un monde bien agité, hostile à leur égard, et des divisions s’installent parmi eux. Ils ont de quoi être troublés, bouleversés, déçus.
Les lecteurs du XXI°s ne se trouvent eux-mêmes ni préservés, ni privilégiés, plongés dans des temps incertains et des situations précaires ou carrément insupportables.
Pourtant, à lire le discours d’adieu à ses disciples, ou seulement l’extrait qui nous occupe ce matin, nous ne lisons aucune réserve de la part de Jésus, aucun jugement, aucune condamnation, aucune menace, aucun chantage. Seulement une promesse, qui porte en elle et dans son accomplissement le relèvement, le soulèvement de ses disciples, de ces humains qui pourraient se laisser aller et laisser tomber.
Ce que Jésus promet à ses disciples, c’est que, malgré ce qui va lui arriver, malgré ce qui va leur arriver, et finalement quoi qu’il arrive, à nous, à d’autres, leur destinée, notre destinée, qui commence déjà, est de vivre de cette qualité de vie qui est d’amour c’est-à-dire d’une proximité, d’une co-existence, d’une intimité avec lui et avec le Père.
Alors que ce qui va arriver pourrait concourir à la dérive de l’humain, et/ou à son écrasement, Jésus promet une qualité de présence divine au plus près de l’humain, en l’humain lui-même, et dans le même temps où le divin fait de l’humain sa demeure, c’est comme une élévation de l’humain.

Ce dont parle Jésus, c’est de Pâques, non pas la date ou la fête, mais l’événement existentiel d’une nouvelle relation au Christ qui vient, au Christ vivant, une relation porteuse de vie pour les disciples, pour celles et ceux qui croient, parce que oui, Pâques ne relève pas d’une manifestation visible ou qui se prouve, mais de la confiance, de la foi. Et cela a un véritable effet sur la personne et son existence. L’expérience pascale est ainsi ouverte dans tous les temps, à chaque génération, pour chaque personne : si quelqu’un m’aime dit Jésus, qui que ce soit, n’importe quand.
Ce que Jésus promet, une promesse, est à croire.
Ce que Jésus promet, c’est, à travers sa venue, la manifestation du Dieu d’amour au cœur même de la vie de l’humain, une manifestation dont le signe est cette vie nouvelle qui anime le disciple, une vie qui n’est plus gouvernée, écrasée par le destin mais soulevée dans l’éternité.
Ce regard d’espérance et de confiance porté sur l’être humain, c’est une manière de dire l’Évangile, la Bonne Nouvelle. Car il ne s’agit pas d’être compétent ou méritant, mais de croire et recevoir.
La Bonne Nouvelle, c’est cette circulation de vie et d’amour, cette dynamique de vie et d’amour qui relie Dieu et l’humain, le Christ, l’Esprit, la transcendance et celui ou celle qui croit. Dynamique dont le texte rend compte, sans définition, sans dogme, mais avec ces mots qui tourbillonnent, glissent, sont repris d’un paragraphe à l’autre, d’un lieu à un autre, de Dieu à l’humain, du Christ à l’Esprit, du disciple, au Père… du texte au lecteur…
La vie, la vie libérée, relevée, soulevée, est le signe qu’il y a eu amour, qu’il y a eu Dieu. Car pour l’évangile de Jean, aimer, c’est communiquer la vie, la vie de la vie, ce qui rend la vie vivante.
Lorsque Jésus dit à ses disciples que l’aimer c’est garder ses commandements, c’est de cela dont il s’agit. En effet, garder, ce n’est pas obéir, en dépit de ce que donnent à lire certaines traductions. Garder est constitué de deux mouvements :

  • le premier c’est se souvenir. Cette manière de se souvenir qui rend actuel ce dont on se souvient, qui ne le laisse pas dans les strates du passé mais le garde au présent.
  • Le deuxième mouvement, c’est l’interprétation : quel sens pour le présent, comment mettre en œuvre le commandement aujourd’hui.

Et pour ces deux mouvements, Jésus annonce le don du défenseur, ou du consolateur, l’Esprit saint. Le défenseur, le consolateur, les deux traductions sont possibles, c’est celui qui procure du souffle, de quoi respirer à celui ou celle qui est menacé ou affligé et qui manque de souffle. L’Esprit saint souffle l’inspiration pour penser, créer et vivre dans la dynamique d’amour qui est communication de vie. L’inspiration qui saisit et soulève des hommes et des femmes qui rendent présents, qui incarnent, qui mettent en œuvre dans leur existence les deux commandements que Jésus a donné à ses disciples. Car il n’y en a que deux dans l’évangile de Jean, énoncés au chapitre 13 :

  • Le premier lorsque Jésus, après avoir lavé les pieds de ses disciples leur dit : Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné l’exemple afin que vous fassiez comme moi j’ai fait pour vous (Jn 13,14-15).
  • Le second, c’est celui que Jésus donne un peu plus loin : Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres (Jn 13,34).

Vous aurez remarqué que Jésus ordonne ce qu’il a donné à ses disciples :

  • une extrême dignité en leur lavant les pieds,
  • et l’amour dont il les a aimés et qui est de les faire entrer dans la vie en abondance, la vie vivante, la vie éternelle.

Aussi, garder ses commandements, c’est faire comme il a fait et parce qu’on en a bénéficié dans les circonstances et les situations qui sont les nôtres : reconnaissance de la dignité d’autrui et amour qui est la vie pour autrui. Nous en sommes capables lorsque nous avons reçu ce qu’il est venu donner et parce que le défenseur, consolateur, Esprit saint qui enseigne et rappelle, qui rend actuel et ouvre le sens, nous soulève et nous entraîne.

Nous en sommes capables, hommes et femmes vivants en ce monde d’un autre souffle, d’une autre source, d’un autre pain que ceux du monde qui croit qu’il se suffit à lui-même. Le monde, dans l’évangile de Jean est caractérisé par un état d’esprit qui incite l’humain à constituer son identité sur son passé, à fonder son existence sur ses compétences, à envisager le futur selon la contrainte terriblement réductrice et mortifère des préjugés et des assignations. Cette logique est très cruelle parce qu’elle fait croire qu’il y a des gagnants et des perdants, qu’il est donc admissible, normal qu’il y ait des perdants et qu’il n’y a rien à perdre à être gagnant, ce qui est un mensonge.

Ce que Jésus annonce, dans ce passage et dans bien d’autres, c’est qu’il est une autre manière de penser et de vivre ; c’est qu’il y a une foi dans laquelle l’intériorité de l’être n’est pas seulement comprise comme un refuge devant une menace ou un chagrin, mais comme le lieu d’une ouverture et d’un élan vers autrui parce qu’elle est, cette intériorité, le lieu où le divin se rend présent à l’être.
Nous sommes ces humains destinés à la vie éternelle, dès aujourd’hui et lorsque nous le croyons, notre existence en est renouvelée, relevée, dans la plénitude dont le nom est paix.

Cette méditation va se prolonger avec l’interprétation que JS Bach donne à ces paroles de Jésus dans l’évangile de Jean, une interprétation musicale inspirée à celui qui est parfois désigné comme le cinquième évangéliste. Une cantate, c’est une mise en mouvement offerte, où la musique provoque un déploiement de l’âme et l’élève, à sa manière propre qui n’est pas celle des mots, mais qui n’en permet pas moins une véritable expérience spirituelle d’ouverture, d’élévation, de contact intérieur avec ce qui est plus grand que nous, plus que nous et qui nous élargit dans les deux sens du terme.
Nous garderons donc l’amen final pour après la cantate.