Prédication du 14 décembre 2025

Culte de la fête de Noël

de Catherine Axelrad

La visitation, un moment de grâce

Introduction

Je vous propose deux lectures ; la première se trouve dans l’ancien testament et elle est très ancienne. Elle remonte à une époque tellement ancienne que pour parler de force et d’honneur, on parlait encore de cornes, comme les cornes des taureaux. Y compris pour les femmes ; d’ailleurs ce que nous allons entendre, c’est la prière d’une femme, une femme qui s’appelle Anne et qui dit merci à Dieu parce qu’elle a appris qu’elle va avoir un enfant. Et le deuxième texte est écrit beaucoup plus tard, il y a seulement deux mille ans, par l’évangéliste Luc. C’est Luc qui a raconté la naissance et la jeunesse de Jésus, c’est dans les premiers chapitres de son évangile qu’on trouve ce qu’on appelle l’évangile de l’enfance, avec des détails sur la conception, la naissance et l’enfance de Jésus; l’histoire que nous allons entendre parle du moment où Marie, ayant entendu qu’elle va avoir un enfant par l’action de l’Esprit saint, part rejoindre sa cousine Elisabeth. Pour rappel, Elisabeth est beaucoup plus âgée que Marie – elle se croyait stérile, comme Sarah, mais voilà qu’elle attend un enfant de son mari, le prêtre Zacharie, et elle est déjà enceinte de plusieurs mois. Cet enfant deviendra Jean le Baptiseur, Jean-Baptiste, celui qui baptisera Jésus et qui est donc présenté ici comme son cousin. Nous entendrons donc aussi le récit de cette rencontre de Marie et Elisabeth, cette visite de trois mois qu’on appelle traditionnellement la visitation.

Lectures bibliques

Samuel 2, 1-2 et 7-10

Dans le premier livre de  Samuel, au chapitre 2, nous allons lire quelques extraits de la prière d’Anne quand elle apprend qu’elle va avoir un fils (qui sera justement le prophète Samuel).

1 Anne pria ; elle dit : Par le Seigneur mon cœur exulte, par le Seigneur ma corne s’élève ; ma bouche s’ouvre toute grande contre mes ennemis, car je me réjouis de ton salut.
2 Nul n’est saint comme le Seigneur  : il n’y en a pas d’autre que toi ; il n’y a pas de rocher comme notre Dieu.

7 C’est le Seigneur qui rend pauvre ou riche, c’est lui qui abaisse et qui élève.
8 De la poussière il relève le faible, du fumier il élève le pauvre, pour les faire asseoir avec les nobles ; il leur donne pour patrimoine un trône glorieux ; car c’est au Seigneur qu’appartiennent les piliers de la terre, c’est sur eux qu’il a posé le monde.
9 Il garde les pas de ses fidèles. Mais les méchants se perdent dans les ténèbres ; car l’homme ne triomphera pas par la force.

10 Le Seigneur jugera les extrémités de la terre. Il donnera de la puissance à son roi, il élèvera la corne de l’homme qui a reçu son onction.

Luc 1, 39-56

39 En ces jours-là, Marie partit en hâte vers la région montagneuse et se rendit dans une ville de Juda. 
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth.
41 Dès qu’Elisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit dans son ventre. Elisabeth fut remplie d’Esprit saint 
42 et cria :
Bénie sois-tu entre les femmes, et béni soit le fruit de ton ventre !
43 Comment m’est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne me voir ? 
44 Car dès que ta salutation a retenti à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse dans mon ventre. 
45 Heureuse celle qui a cru, car ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira !

 46 Et Marie dit : Je magnifie le Seigneur, 
47 je suis transportée d’allégresse en Dieu, mon Sauveur, 
48 parce qu’il a porté les regards sur l’abaissement de sa servante.
Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse, 
49 parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est saint,
50 et sa compassion s’étend de génération en génération, sur ceux qui le craignent.
51 Il déploie le pouvoir de son bras ; il disperse les orgueilleux, 
52 il fait descendre les puissants de leurs trônes ; il élève les humbles, 
53 rassasie de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.
54 Il porte secours à Israël, son serviteur, et il se souvient de son alliance
55 – comme il l’avait dit à nos pères – envers Abraham et sa descendance, pour toujours. 
56 Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois. Puis elle retourna chez elle.

Prédication

Dans un premier temps on peut s’étonner de la réaction de Marie. Cette très jeune femme vient de recevoir un message quasiment incompréhensible ; elle vient d’entendre qu’elle va avoir un enfant, et que cet enfant sera saint et sera appelé fils de Dieu. On comprendrait très bien qu’elle vive cette annonce comme une catastrophe, ou au moins qu’elle soit bouleversée, mais non : elle part – elle se met en route vers les régions montagneuses pour y trouver ce dont elle a tant besoin : l’espérance et la paix.

L’espérance, elle va la trouver dès son arrivée, grâce à la déclaration d’Elisabeth qui vient confirmer ce que l’ange lui avait dit. Elisabeth est enceinte depuis plus longtemps, elle a sans doute déjà un gros ventre ; l’enfant d’Elisabeth, son futur bébé, ce sera le cousin de Jésus, celui qui s’appellera Jean-Baptiste ; plus tard il baptisera Jésus et il proclamera que c’est le messie ; il dira que grâce à Jésus, tous les humains connaîtront le salut de Dieu. Or dès que Marie arrive, à peine enceinte, Elisabeth lui dit que son propre bébé a bougé dans son ventre ; c’est une manière de nous dire que Jean-Baptiste, bien avant sa naissance, a déjà senti qu’il se passait quelque chose ; c’est une manière de confirmer que le futur Jésus sera bien saint et appelé fils de Dieu ; Elisabeth l’a déjà compris, puisqu’elle parle à Marie de son bébé à naître en l’appelant mon Seigneur : « comment se fait-il que la mère de mon Seigneur vienne me voir ? ». Alors bien sûr, il faut être sérieux : ce qui s’est vraiment passé, ce qui a vraiment été dit, on n’en sait rien. Luc est le seul évangéliste à raconter cette histoire, or il n’y était pas, il n’était peut-être même pas né à cette époque. Certains ont imaginé que Marie avait pu le lui raconter plus tard, à la fin de sa vie ; d’autres ont plus de mal avec cette histoire, ils pensent qu’on ne saura jamais la vérité sur l’origine et la naissance de Jésus ; mais moi je crois que ça n’a pas d’importance : ce qui est important ce n’est pas que cette scène se soit réellement passée ou pas, l’important c’est ce qu’elle veut dire ; cette rencontre des deux femmes a d’abord un sens théologique, car c’est la première rencontre entre Jean-Baptiste et Jésus ; cette rencontre permet la reconnaissance de l’enfant que porte Marie et annonce déjà le témoignage et le rôle du Baptiste.  Cette rencontre est un élément théologique fondateur parce que, de manière très ordinaire, à l’aide de détails très matériels, des détails physiologiques comme les coups de pied d’un enfant dans le ventre de sa mère, elle nous dit que le sort de Jésus le Christ et celui de Jean le Baptiste sont liés. Je crois que c’est une des raisons pour lesquels nous aimons tellement ce récit : il nous fait entrer dans l’intimité des deux femmes, intimité réelle ou supposée ça n’a pas d’importance,  et il nourrit notre propre recherche, notre propre attente, en nous donnant des clefs pour comprendre. Et en même temps, et c’est peut-être aussi important, je crois que ce moment qu’on appelle la visitation, cette visite de Marie à Elisabeth c’est un moment extraordinaire dans l’évangile, un moment de paix, une rencontre qui a un caractère profondément humain et féminin. Nous le savons bien, dans l’univers biblique, comme d’ailleurs encore aujourd’hui dans trop d’endroits,  la femme est entièrement soumise et dépendante de l’homme. Les seuls moments où elle est un peu valorisée, les seuls moments de sa vie où elle est respectée en tant que femme, c’est quand elle est enceinte, parce qu’elle est porteuse de vie.  Et voilà que pendant trois mois, sans doute jusqu’à la naissance de Jean-Baptiste, ces deux femmes enceintes, deux amies, peut-être cousines, ces deux femmes se retrouvent entre elles – sans personne d’autre, sans un homme venu se faire servir ou leur donner des ordres. Il y a bien Zacharie quelque part dans la maison, le mari d’Elisabeth, mais on ne le voit pas et surtout, jusqu’à la naissance de son fils, il est muet. C’est toujours ça de gagné ! Ces deux femmes se retrouvent entre elles pour une affaire de femmes, dans la liberté et dans la joie de deux naissances à venir. On a vu que la grossesse d’Elisabeth est plus avancée que celle de Marie – l’enfant qu’elle porte remue, donne des coups de pied,  peut-être pour la première fois. C’est une scène entre femmes, une scène tendre et intime qui a d’ailleurs inspiré beaucoup d’artistes : dans certains tableaux Marie tend la main pour toucher le ventre d’Elisabeth, dans d’autres c’est un mouvement réciproque, chaque femme touche le ventre de l’autre. Certains d’entre vous ont peut-être même vu une vidéo d’un artiste américain, Bill Viola, une très belle vidéo où tous ces mouvements étaient projetés au ralenti ; au début je n’ai pas compris pourquoi et puis je me suis dit « il a raison, c’est un moment hors du temps, un moment où le temps est suspendu ; c’est un moment de grâce ». C’est ce moment si particulier, loin de la foule et des regards étrangers, ce moment de grâce qui permet la reconnaissance d’Elisabeth et le bonheur de Marie. Et ce bonheur, nous l’avons entendu, elle va l’exprimer avec un hymne très ancien, un hymne de joie qui plonge ses racines dans l’ancien testament presque mille ans en arrière à l’époque de l’évangile, donc presque trois mille ans en arrière aujourd’hui ; un hymne qui, comme vous l’avez entendu, ressemble beaucoup à celui de la mère du prophète Samuel avant sa naissance. Or Jean le Baptiste sera justement le dernier prophète, c’est lui qui annoncera la nouvelle alliance, et donc avec la visite de Marie à Elisabeth nous entrons déjà dans la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes, une alliance dans laquelle Jésus le Christ vient assumer notre humanité. Mais nous voyons que cette promesse d’un Dieu qui s’approche des hommes, cette promesse qui d’après Luc traverse l’Ancien Testament, cette promesse passe par deux femmes qui sont attentives aux signes et s’accomplit d’abord dans l’intimité de leur rencontre. Et cette rencontre manifeste l’accomplissement de la promesse et nous concerne directement. Malgré les menaces qui pèsent sur la survie de l’humanité, malgré l’angoisse des peuples qui souffrent, malgré nos propres angoisses, si nous contemplons cette simple rencontre, si nous nous sentons unies à ces deux femmes, d’une certaine manière nous participons à leur rencontre, et nous pouvons y trouver la réponse à notre attente.  Nous pouvons veiller avec les deux femmes et vivre l’attente dans la confiance et la paix, en tendant simplement la main pour sentir la joie de l’enfant d’Elisabeth, et les battements du cœur de l’enfant que porte Marie.