Prédication du 11 mai 2025

Baptêmes de Florence Dupin
et de Christophe Geissler

de Dominique Imbert-Hernandez

Le Christ et les poissons

Lecture : Jean 21, 1-14

Lecture biblique

Jean 21, 1-14

1 Après cela, Jésus se manifesta encore aux disciples, à la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.
2 Simon Pierre, Thomas, celui qu’on appelle le Jumeau, Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples étaient ensemble.
3 Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous venons avec toi, nous aussi. Ils sortirent et montèrent dans le bateau ; cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4 Le matin venu, Jésus se tint debout sur le rivage ; mais les disciples ne savaient pas que c’était Jésus.
5 Jésus leur dit : Enfants, avez-vous quelque chose à manger ? Ils lui répondirent : Non.
6 Il leur dit : Jetez le filet à droite du bateau, et vous trouverez. Ils le jetèrent donc ; et ils n’étaient plus capables de le retirer, tant il y avait de poissons.
7 Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C’est le Seigneur ! Quand Simon Pierre eut entendu que c’était le Seigneur, il attacha son vêtement à la ceinture – car il était nu – et il se jeta à la mer.
8 Les autres disciples vinrent avec la barque, en traînant le filet plein de poissons, car ils n’étaient pas loin de la terre, à deux cents coudées environ.
9 Lorsqu’ils furent descendus à terre, ils voient là un feu de braises, du poisson posé dessus, et du pain.
10 Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre.
11 Simon Pierre monta dans le bateau et tira à terre le filet, plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et quoiqu’il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
12 Jésus leur dit : Venez déjeuner. Aucun des disciples n’osait lui demander : Qui es-tu, toi ? Car ils savaient que c’était le Seigneur.
13 Jésus vient, prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson.
14 C’était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples depuis qu’il s’était réveillé d’entre les morts.

Prédication

Voici pour ce matin un récit très simple, sans vocabulaire théologique, une histoire de pêche, un déjeuner sur le rivage, et un récit rempli de métaphores et de symboles. Un peu comme si le récit était un filet dans lequel l’auteur avait ramené une bonne pêche de ce qui permet de parler de la foi, du Christ, de Dieu d’une manière non pas cryptée, car pour ses lecteurs du 1er siècle c’était limpide, mais d’une manière qui nous conduits, nous lecteurs du XXI°s, à prendre un peu de temps pour comprendre, pour que se déploie l’horizon vers lequel le récit nous emmène.
C’est un récit presque familier, même s’il est à peu près certain qu’il n’y a pas beaucoup, voire pas du tout de pêcheurs professionnels dans notre assemblée ce matin. Un récit familier parce qu’il est question du temps ordinaire, du quotidien, d’échec.
Sept disciples partent pour une nuit de pêche sur le lac de Tibériade. Bien sûr il faut manger, mais c’est aussi faute de mieux, pour ne pas rester désoeuvrés, à simplement attendre, attendre, attendre une nouvelle manifestation du Ressuscité. Il y a d’abord eu le jour de Pâques avec la manifestation du Christ vivant à Marie de Magdala, puis aux disciples rassemblés sauf Thomas qui était absent. Alors huit jours plus tard, nouvelle manifestation, pour les disciples avec Thomas. Et après ?
Comment fait-on après un moment si fort, si intense ? Quand il a été vécu une expérience extraordinaire ? un événement qui a soulevé les personnes et le temps, un événement comme une brèche dans la réalité et l’imagination ? Comment fait-on après l’intensité d’un commencement ? Quand dans la durée retombent quand même un peu l’enthousiasme, la joie, la sensation exacerbée de la vie et la force des liens qui unissent ? Et bien on va à la pêche. On fait ce qu’on sait faire, ce qu’on a l’habitude de faire ; on retourne, on retombe, on reprend, on revient dans le quotidien. Et le quotidien c’est parfois difficile. Même pour les disciples, peut-être surtout pour les disciples à qui Jésus de Nazareth, le Christ de Dieu n’a cessé d’ouvrir les yeux, n’a cessé d’apprendre à ouvrir les yeux (et le cœur, et l’intelligence, et l’âme) et à voir ce qui est vraiment et non pas ce qu’on voudrait voir, ni ce qu’on croit voir, ni ce qu’on dit qu’il faut voir.
Les pêcheurs n’ont rien pris. De toute la nuit de travail et d’efforts conjugués, ils n’ont pas remonté le moindre petit poisson. Oui vraiment, la nuit est bien sombre et la mer hostile non par tempête mais par absence de poisson, par manque et vide. La synergie de sept forces de compétences et d’expériences n’a rien donné. Et pourtant il y a dans la barque de fortes personnalités, et des talents, et surtout beaucoup d’humanité y compris dans ses limites : Pierre le disciple enthousiaste et un peu trop au risque de ne pas tenir sa parole, Nathanaël savant dans l’interprétation des textes, Thomas qui voulait voir et toucher pour croire, les deux fils de Zébédée pour lesquels leur mère avait beaucoup d’ambition, deux autres dont on apprend dans la suite du récit que l’un est le disciple que Jésus aimait et il en reste un, anonyme : une place pour chacun, chacune de nous.
Mais le filet reste vide : le quotidien l’est parfois, sans plus d’espoir, sans plus d’élan. Cela ressemble bien à un échec, qui laisse les disciples pêcheurs démunis, sans force après la nuit de travail et sans repas pour reconstituer les forces. Comment faire face au jour se lève, à l’aujourd’hui qui commence à peine, qui commence à la peine ?
Ce récit s’inscrit au milieu de nos jours, au milieu de nos vies, de nos quotidiens dans leur alternance souvent imprévisible de réussite et de déception, de travail et de perte, de compagnonnage et de revers. Ce n’est pas ailleurs que passe l’Évangile, parmi ces humains toujours imparfaits que nous sommes et dans le quotidien parfois essoufflé qui est le nôtre. Et cela même fait partie de la Bonne Nouvelle : que nous n’ayons pas besoin d’être parfaits, que l’ordinaire des jours soit le lieu et le temps de la venue du Christ.

Jésus le Christ ressuscité vient au matin et se tient sur le rivage.
Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? Toujours il donne la parole, il fait parler de ce qui tient à cœur, de ce qui importe. Ce ne sont jamais des questions artificielles, Jésus fait parler de la profondeur et de l’intériorité de l’être, y compris quand l’être humain est démuni, manquant du nécessaire, manquant sa propre humanité.
Non répondent les disciples qui n’ont rien, rien du tout, et Pierre est même tout nu dans la barque. Un seul mot, non, mais un mot qui suffit à dire une vérité d’être en cet instant : ils n’ont rien à manger, un rien à manger qui est besoin. Le non des disciples, c’est la juste réponse car c’est celle qui correspond à leur dénuement, à leur manque de vie.
C’est pourquoi lorsque Pierre entend, grâce au disciple que Jésus aimait, que c’est le Seigneur Ressuscité qui se tient là, il se jette à la mer, le vêtement ceint autour des reins, symbole à la fois du serviteur, le serviteur du Seigneur, et de celui qui se met en marche, en marche vers la vie, en marche dans la vie. Le Christ n’a-t-il pas été envoyé pour que les brebis aient la vie et l’aient en abondance ? Pierre se jette à l’eau et c’est comme il se jetait dans la vie, la vie donnée par la source de la vie qui appelle à vivre, un dynamisme qui est le Christ vivant. Lui qui, Parole de Dieu faite chair, n’avait pas gardé sa vie pour lui mais l’a donnée en partage, en générosité, en grâce, par-delà sa mort même. Pierre se jette à l’eau, vers la vie, pour la vie, dans la vie, et cette plongée est aussi celle signifiée par le baptême demandé et reçu par Christophe, demandé par Virginie et Nicolas pour Florence. Dieu veut pour eux la vie, que Christophe vive, que Florence vive, de la vie vivante offerte en Christ.

Le chapitre 21 a été ajouté à l’évangile de Jean qui se terminait dans sa première rédaction à la fin du chapitre 20 (Il n’y avait pas de chapitre au tournant du premier siècle). Il l’a été par un auteur, ou des auteurs, qui avait bien lu et compris ce qu’il avait reçu comme évangile. Il avait bien compris l’importance du thème de la nourriture et

  • comment un repas est signe de vie, la vie reconnue de chaque convive et la vie commune et partagée entre tous,
  • comment ce qui est mangé est métaphore de ce qui fait vivre,
  • et comment un repas est capable de dessiner ou de redessiner le monde.

Un déjeuner sur le rivage, ce n’est pas pour faire une jolie carte postale avec un gros plan sur les poissons grillant sur la braise et le pain chaud à côté. Il y a tout un chapitre dans l’évangile de Jean qui commence par le partage de cinq pains et de deux poissons pour nourrir cinq mille hommes et qui se poursuit, après une traversée mouvementée de la mer, par un grand discours de Jésus au cours duquel il dit : Je suis le pain de vie.
Le Ressuscité vient sur le rivage et grâce à lui, il y a une pêche extraordinaire mais aussi, il a préparé le repas sur la plage : du petit poisson grillé et du pain. Seulement ce n’est pas satisfaisant, il fait ajouter du poisson de la pêche, quelques-uns des 153 gros poissons du filet. A ce déjeuner sur le rivage, les disciples prennent une part de la préparation, ils ne sont pas entièrement passifs, à se mettre « les pieds sous la table ». Ils participent, ils en sont capables, responsables dans le présent. Notre participation à l’Église et au monde est suscitée, permise, possible par le Christ vivant qui rend responsable, chacun chacune avec sa parole et sa singularité d’être, elle est appelée par le Dieu de Jésus-Christ qui libère chacun chacune de la peur de vivre.

153 est un nombre aux multiples propriétés, en particulier celle d’être le nombre triangulaire de 17. 17 est le nombre des nations cités dans le récit de Pentecôte pour signifier que tous les peuples sont destinataires du don de l’Esprit saint, car Dieu n’est pas partial et tous, toutes, l’humanité entière est appelée. 153 est le symbole de cette humanité rassemblée au-delà de ses diversités, l’humanité appelée. Mais pas appelée à être mangée.

Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? Il n’est pas question dans ce récit de remplir les estomacs mais de nourrir les existences. Le récit entremêle les symboles du pain et du poisson, nourriture de base mais surtout nourriture désignant le Christ lui-même. Le pain symbolise, nous l’avons vu, c’était au chapitre 6, le Christ pain de vie. Le poisson est aussi un symbole servant à désigner le Christ, les tous premiers chrétiens s’en servaient abondamment. Poisson, en grec se dit YCHTUS, qui s’écrit de manière fort heureuse avec les premières lettres des mots grecs Jésus Christ Fils de Dieu, Sauveur : une confession de foi en forme de poisson. L’évangile de Jean, dans sa première finale, se termine par les mots suivants : Jésus a encore produit, devant ses disciples, beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrit dans ce livre. Mais ceux-ci sont écrits pour que vous croyez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que par cette foi, vous ayez la vie en son nom (Jean 20,30-31). Avoir la vie, être vivant, dans le vocabulaire johannique, c’est une manière de dire le salut, être sauvé. Jésus-Christ Fils de Dieu sauveur.
Le poisson, c’est le Christ, comme il est le pain. C’est de lui dont nous sommes nourris, c’est lui qui nourrit de vie vivante notre existence et Jean le met en récit, simplement, mais assurément. Il en témoigne parce que c’est son expérience, l’expérience même de la foi, d’être nourri par une Parole vivante et vivifiante, une Parole qui restaure et qui encourage.
Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? Qu’est-ce qui vous nourrit ? Qu’avez-vous pour vous nourrir ? pour que votre vie soit vivante ? Pour que vous ne soyez pas enfermés dans les échecs et les erreurs, dans les ratés ? Pour ne pas vous retrouver vidés, démunis, altérés, échoués ? Pour ne pas tourner en rond dans l’obscurité et l’hostilité pour reprendre d’autres symboles du récit ? Cette question du Ressuscité aux disciples est question pour chacun de nous et nous ensemble, une question au long cours de nos existences. Elle s’est posée à Christophe, elle se posera un jour à Florence.

Et parce que ce que nous mangeons, ce qui nous nourrit nous constitue, la Parole qui nous nourrit est en nous. Et même, puisque c’est sa vie que le Christ donne comme nourriture pour nos vies, il y a du Christ en nous qui sommes nourris par lui, de lui. Nous ne sommes pas réduits à la biologie et à la physiologie, ni à ce que les aléas de l’existence et les jugements du monde font de nous. Nous ne sommes pas réduits à consommer ni à nous soumettre aux impératifs des logiques humaines. Il y a du Christ en nous qui nous jetons à l’eau de la vie vivante. Du Christ en nous et du Christ qui nous attend, comme le Ressuscité attend les disciples sur le rivage, c’est-à-dire que le Christ attend de grandir en nous.

L’échec de la nuit de pêche infructueuse est dépassé par la présence du Christ qui vient et qui est là, qui nourrit. Jean met en scène un récit pour dire la fidélité de Dieu, non pour le succès, le filet plein de gros poissons est un signe, pas un miracle assurant la prospérité ou la croissance. La fidélité du Dieu de Jésus-Christ est pour la vie, fidélité du don de la vie. Le passé est dépassé, le repas partagé est signe de paix, de fraternité, de confiance, de réconciliation (la suite du récit). C’est le matin, le jour commence. Un autre, un nouveau jour de Pâques.