Prédication du 1er juin 2025
de Didier You
Le martyr d’Etienne
Lectures : Actes 6, 1-6 et Actes 7, 51 à 8, 1
Lectures bibliques
Actes 6, 1-6
1 En ces jours-là, le nombre des disciples augmentait, et les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient oubliées dans le service quotidien.
2 Les Douze convoquèrent alors l’assemblée plénière des disciples et dirent : « Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des tables.
3 Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis d’Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cette fonction.
4 Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole. »
5 Cette proposition fut agréée par toute l’assemblée : on choisit Etienne, un homme plein de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d’Antioche ;
6 on les présenta aux apôtres, on pria et on leur imposa les mains.
Actes 7, 51 à 8, 1
51 « Hommes à la nuque raide, incirconcis de cœur et d’oreilles, toujours vous résistez à l’Esprit Saint ; vous êtes bien comme vos pères.
52 Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté ? Ils ont même tué ceux qui annonçaient d’avance la venue du Juste, celui-là même que maintenant vous avez trahi et assassiné.
53 Vous aviez reçu la Loi promulguée par des anges, et vous ne l’avez pas observée. »
54 Ces paroles les exaspérèrent et ils grinçaient des dents contre Etienne.
55 Mais lui, rempli d’Esprit Saint, fixait le ciel : il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu.
56 « Voici, dit-il, que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. »
57 Ils poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles. Puis, tous ensemble, ils se jetèrent sur lui,
58 l’entraînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient posé leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul.
59 Tandis qu’ils le lapidaient, Etienne prononça cette invocation : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. »
60 Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Et sur ces mots il mourut.
1 Saul, lui, était de ceux qui approuvaient ce meurtre.
Prédication
Introduction
La lapidation d’Etienne, le « premier martyr chrétien », est un moment fort des Actes. C’est aussi une image d’Épinal de la martyrologie. Littérature plutôt sado-maso …Mais au-delà de ce moment tragique et héroïque, on peut discerner des aspects peu connus des premiers temps du christianisme que nous n’appréhendons que par le Livre des Actes. Luc (appelons-le ainsi) a une forte tendance à apaiser les différends, à niveler les conflits. Et il écrit 50 ans après les faits qu’il raconte. Ce pourquoi, il y a un exercice difficile de lecture entre les lignes, auquel nous allons nous livrer.
Le contexte
Nous sommes à quelques mois (?) de l’Ascension. Une première communauté « chrétienne » (le mot n’existe pas encore), en expansion, se constitue à Jérusalem, malgré le danger. Pour eux, la « parousie », le retour de Jésus et l’avènement du Royaume, est une question de jours. Et cela ne peut survenir qu’à Jérusalem, la Ville Sainte. Donc ils vivent en autarcie, en communauté de biens. Ils ne travaillent pas, car ils se cachent, comme fidèles d’un condamné à mort, et ne produisent rien. Il faut donc organiser la pénurie et subvenir aux besoins des plus démunis. Qui sont de plus en plus nombreux (leitmotiv des écrits du N.T.).
Là intervient un premier incident : Les hellénistes murmurent car on néglige leurs veuves.
Luc ramène à une question de « plan de table » une crise qui couve au sein de cette communauté qu’il veut idyllique.
Les « hellénistes » ne sont pas ceux qui étudient le grec, comme au lycée. Ce ne sont pas non plus des « pagano-chrétiens » (cela viendra plus tard).
Ce sont des Juifs de la diaspora, venus en Judée suivre le Christ. Mais ils ont oublié l’hébreu et l’araméen. Ils parlent le grec. C’est pour eux que, 300 ans plus tôt, les Écritures de l’A.T. ont été traduites en grec (la Bible des Septante).
Ainsi cohabitent deux groupes, en principe non antagonistes, mais qui ne parlent pas la même langue. Ce qui nécessairement pose problème.
Pour résoudre ce problème d’intendance (en réalité plus profond), les 12, qui se considèrent au-dessus de tout cela, acceptent d’introniser sept hommes « pleins d’Esprit et de sagesse », mais désignés par les fidèles, les « diacres », pour gérer le quotidien. Aujourd’hui, on les appellerait « conseillers presbytéraux ». Les sept ont des noms grecs, ce sont donc aussi des « hellénistes ». Ceux-ci ne vont pas se contenter de ces tâches. Philippe ira évangéliser jusqu’à Césarée, et baptisera le premier « païen », l’eunuque éthiopien.
Etienne
Etienne, lui, opère de « grands prodiges et signes ». Ce n’est plus un « simple diacre ». Dans les versets que je n’ai pas lus, il polémique a priori brillamment avec la Synagogue des Affranchis.
Ceux-ci, choqués, organisent alors une délation, avec des faux témoins soudoyés. Luc retrace le procès d’Etienne devant le Sanhédrin, en reprenant bien des aspects des procès de Jésus.
Lors de son procès, Etienne retrace l’Histoire biblique du peuple juif, justifiant ainsi la mission de Jésus, comme Messie, et dénonçant les autorités juives qui l’ont assassiné.
C’en est trop pour les autorités ! Il est mis à mort. Mais pas par les Romains. Il n’est pas crucifié, mais lapidé. C’est un lynchage, que Luc déguise en procès.
Il n’est pas interdit de penser, mais évidemment Luc n’en dit rien, que les 12 et les Juifs non-hellénistes ne sont pas mécontents d’être débarrassés de ce trublion éloquent et « fort en gueule ». Luc se contente de rejeter la faute sur la « Synagogue des Affranchis ». Qui sont ces accusateurs ? Ce sont des Juifs de Syrène, de Cilicie, d’Alexandrie, sans doute eux aussi hellénisés. Mais Etienne ne les convainc pas. Jésus l’avait dit : Je vous donnerai une parole, une sagesse, à laquelle vos adversaires ne pourront s’opposer. Encore un « tour de force » de Luc. Les coupables ne sont pas les Juifs de la Tradition.
Après la mort d’Etienne, qui expire comme Jésus en disant : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché », une persécution se déchaîne contre les fidèles, et tous s’enfuient… « à l’exception des Apôtres ».
Si ceux-ci ne s’enfuient pas, n’est-ce pas parce qu’ils n’ont (encore) rien à craindre ? Les autorités du Temple ne les redoutent sans doute pas. Ils sont toujours des Juifs obéissant à la Loi, au contraire de ces extrémistes comme Etienne, ces Juifs qui ne parlent même pas l’hébreu.
Luc, excellent narrateur, nous présente discrètement un moment de bascule J’ai dit « bascule » parce que Luc, sans insister, nous raconte une première rupture, un premier schisme, au sein de la toute jeune communauté proto-chrétienne, entre les tenants de la tradition juive, qui parlent hébreu, et ceux qui parlent grec, donc sont ouverts vers le monde païen. Des « libéraux » ?
On croit que la première église était unie et homogène, et qu’après sont venus les schismes. C’est le contraire, le christianisme naissant est éparpillé « façon puzzle », et ce n’est qu’après, au fil des siècles, que de grandes Eglises se sont constituées.
Saul
Et au moment de « bascule », Luc fait apparaitre celui qui sera le héros de la seconde partie du Livre des Actes: Saul. Un jeune homme (quel âge ?) qui garde les vêtements des bourreaux, et qui « approuvait ce meurtre ».
Ai-je besoin de vous rappeler que Saul, après avoir quelques années persécuté le christianisme naissant, a été « appelé » (par le Seigneur) en principe sur le chemin de Damas, puis est devenu Paul.
La figure de Paul domine l’histoire du christianisme. Il n’est pas question aujourd’hui de développer sa mission, sa théologie, son importance considérable dans la propagation du christianisme. Il ne fut pas le seul, mais c’est celui sur lequel on en sait le plus. Il obscurcit les autres, dont nous ne savons rien, ceux qui auront évangélisé Alexandrie et Rome.
Paul apparaît comme « double ». Il y a le Paul de Luc, celui dont les voyages sont rapportés par Luc. Et le Paul plus personnel des Épitres. Ils sont un peu différents.
Luc, encore modérateur, montre un Paul restant attaché au judaïsme, élève du grand théologien Gamaliel, se rendant dans les synagogues pour annoncer l’Évangile.
Dans ses Épitres, Paul apparaît comme beaucoup plus critique vis-à vis du judaïsme. Les Juifs d’aujourd’hui voient en Paul l’artisan ou du moins l’annonciateur de la rupture définitive entre judaïsme et christianisme.
Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, on note que Paul se désigne dans ses Épitres, comme « apôtre du Christ Jésus par la volonté du Père ».
Le titre lui est resté, dans les textes canoniques. Mais « apôtre » est en principe réservé aux 12, aux 12 fidèles désignés par Jésus, qui, eux, l’ont connu de son vivant, « kata sarka ». Ce qui n’est sûrement pas le cas de Paul.
Par cette revendication, cette usurpation en quelque sorte, Paul s’impose face aux « historiques », avec qui, notamment avec Pierre et Jacques, il entrera parfois en conflit.
J’y vois un parallèle entre Etienne et Paul. Tous deux ont dépassé leurs missions respectives. Etienne est devenu prédicateur, et ne s’est pas contenté du service des tables. Cela aura causé sa perte.
Paul s’est imposé par la force de son verbe et de sa pensée comme « apôtre », titre auquel il n’a normalement pas droit.
Conclusion
Alors, qu’en tirer ? Je ne voudrais pas forcer la main à Luc et lui faire dire ce qu’il n’a pas dit. Mais les deux personnages qu’il met en scène, Etienne et Paul, me semblent aptes à nous inspirer. Tous deux se sont mis en dehors de leurs « traditions » respectives, se sont en quelque sorte rebellés contre les autorités ecclésiastiques de leurs temps, les « fidèles de la Voie » (c’est ainsi qu’ils se nomment avant l’invention du mot « christianisme ») en train de forger une nouvelle Église, mais encore attachés à la loi de Moïse, pour Etienne, et les apôtres « historiques » pour Paul. Ce sont les mêmes, dans des contextes différents.
Est-ce qu’ils anticipent sur le « sacerdoce universel » que Luther proclamera 1500 ans plus tard ?
En tous cas, tous deux ont pris un chemin de traverse hors des dogmes stériles, hors des autorités constituées. C’est le chemin qu’ont pris les Réformateurs au XVIème siècle. Ceux-ci ont pu hélas tomber dans ces travers, créer de nouveaux dogmes, instituer de nouvelles Églises parfois oppressives, dresser des bûchers. Tout comme Paul n’était pas un « libéral ».
Mais ils nous ont montré un chemin… Vous connaissez l’expression « semper reformanda », l’Église est « toujours à réformer ». Continuons à affirmer notre liberté de croire comme nous croyons. Car, la Grace nous est donnée.