Prédication du 25 décembre 2025
Culte de Noël
de Catherine Axelrad
Le messie, oui, mais pas comme on croyait
Lectures : Ésaïe 8, 23– 9, 6 ; Luc 2, 1-20
Lectures bibliques
Ésaïe 8, 23 – 9, 6
23 Mais les ténèbres ne régneront pas toujours sur la terre où il y a maintenant des angoisses. Si le passé a réduit à peu de chose le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, l’avenir donnera de la gloire à la route de la mer, à l’autre côté du Jourdain, au territoire des nations.
1 Le peuple qui marche dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de mort, une lumière a brillé.
2 Tu as rendu la nation nombreuse, tu l’as comblée de joie.
Ils se réjouissent devant toi de la joie des moissons, de l’allégresse qui règne au partage du butin.
3 Car le joug qui pesait sur elle, la trique qui frappait son dos,
le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân.
4 Toutes les bottes qui piétinaient dans la bataille et tous les manteaux roulés dans le sang seront livrés aux flammes, pour être dévorés par le feu.
5 Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. Il a la souveraineté sur son épaule ; on l’appelle du nom de Conseiller étonnant, Dieu-Héros, Père éternel, Prince de paix.
6 Etendre la souveraineté, accorder une paix sans fin au trône de David et à son royaume, l’affermir et le soutenir par l’équité et par la justice, dès maintenant et pour toujours : voilà ce que fera la passion jalouse du Seigneur des Armées.
Luc 2, 1-20
1 En ces jours-là parut un décret de César Auguste, en vue du recensement de toute la terre habitée.
2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville.
4 Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David,
5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.
6 Pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait accoucher arriva,
7 et elle mit au monde son fils premier-né. Elle l’emmaillota et l’installa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle.
8 Il y avait, dans cette même région, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux.
9 L’ange du Seigneur survint devant eux, et la gloire du Seigneur se mit à briller tout autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande crainte.
10 Mais l’ange leur dit : N’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple :
11 aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur.
12 Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14 « Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir ! »
15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils s’y rendirent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après l’avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent s’étonnèrent de ce que disaient les bergers.
19 Marie retenait toutes ces choses et y réfléchissait.
20 Quant aux bergers, ils s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.
Prédication
Les deux textes que nous venons d’entendre nous permettent de mesurer le chemin parcouru par les générations qui croyaient au Dieu unique et qui ont attendu, découvert et accueilli la présence parmi eux de l’Immanou-El, Dieu avec les humains, mystérieusement incarné dans la personne de Jésus. L’attente est exprimée très tôt par le 1er Esaïe, celui dont les paroles remplissent les 39 premiers chapitres du livre d’Esaïe, celui qui s’exprime au 8ème siècle avant Jésus, au moment où le royaume du nord est menacé puis envahi par les assyriens ; Esaïe parle dans une période de grande détresse mais vous avez remarqué que dans cette détresse, dans l’attente d’Esaïe, l’espoir est présent malgré tout. Au-delà des malheurs du peuple, malgré les déportations en masse, au cœur même de cette détresse, l’espoir est présent ; c’est pour cela que nous aimons tant cette phrase « le peuple qui marche dans les ténèbres a vu – ou voit, selon les traductions – une grande lumière ». Nous aimons cette phrase parce qu’elle exprime l’espérance au cœur-même des difficultés et des souffrances – pendant un moment d’obscurité, dans les ténèbres du doute, car nous savons bien que dans ces circonstances il est difficile de conserver la lumière de la foi. Et pourtant cette phrase exprime non seulement l’espérance d’Esaïe, mais une espérance communautaire, l’espérance d’un peuple tout entier. Certains pensent aujourd’hui qu’Esaïe a dit cela au moment de la naissance du fils du roi, ou même de son propre fils, et c’est vrai que tout ce que le prophète vivait et exprimait prenait chez lui une dimension communautaire – quand il était désespéré il exprimait le désespoir de tout son peuple, et quand il était heureux il offrait sa joie à son peuple pour lui rendre l’espoir – et c’est bien ce qui se passe ici, c’est bien ce qui s’est passé : cette espérance du premier Esaïe, transcrite et traduite, retranscrite pendant des siècles entre le moment où il a vécu et la naissance de Jésus, cette espérance a nourri de manière de plus en plus forte au cours des siècles l’attente du messie, l’attente de celui qui va recevoir l’onction divine, la mashiah. Rappelez-vous, j’en ai parlé au culte de rentrée, à l’époque de Jésus l’attente messianique du peuple est de nouveau tellement forte qu’il suffira d’une rencontre pour qu’André aille dire à son frère Simon, celui qui deviendra Pierre « Nous avons trouvé le messie ». Et si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que nous croyons que d’une manière ou d’une autre, même si nous lui donnons un sens différent, Jésus le Christ vient répondre à cette attente qui est aussi la nôtre. Même si nous ne savons pas très bien comment, même si nous n’adhérons pas à la lettre aux détails de la conception de Jésus tels que Mathieu et Luc les ont transmis dans leurs évangiles, nous croyons que Jésus n’était pas un homme comme les autres mais qu’il avait en lui quelque chose de vraiment divin, nous croyons qu’en lui Dieu se fait proche de notre humanité. Maintenant, si nous écoutons bien l’évangile de Luc, nous voyons que la situation politique du moment est très importante. La situation politique stimule l’attente messianique, mais elle suscite aussi les conditions de la reconnaissance. En effet, Luc nous dit que si la naissance de Jésus a lieu à Bethléem c’est parce qu’il y avait un recensement obligatoire auquel Joseph était obligé d’aller. Un recensement nous savons bien ce que c’est, les habitants d’un pays se comptent pour savoir combien ils sont ; mais attention, nous le savons bien aussi, il y a plusieurs sortes de recensements ; dans nos pays encore démocratiques, on se compte pour savoir combien on est, et pour s’organiser en conséquence : est-ce que c’est une bonne idée de fermer ce petit hôpital dans cette petite ville et d’en construire un plus grand à 100 kms ? si les gens s’installent à la campagne, est-ce qu’il y aura assez d’électricité pour tout le monde ? à quel endroit faudra-t-il construire des crèches ou des écoles, ou au contraire des Ehpad ? ça c’est un recensement positif, pour améliorer la vie des gens – mais le recensement ordonné par l’empereur de Rome dans tous les pays occupés n’est pas très bon signe ; il s’agit plutôt pour les Romains de savoir combien d’impôts ils vont pouvoir exiger et combien de soldats ils vont pouvoir enrôler de force dans l’armée. Joseph va se faire recenser à Bethléem qui est la ville du Roi David ; avec cette information, Luc insiste sur le fait que Joseph est de la maison de David, c’est-à-dire qu’il serait un descendant lointain de David ; vous vous souvenez qu’il y a quelques semaines la pasteure Nathalie Chaumet nous a parlé de la généalogie de Jésus selon Mathieu, en précisant qu’elle était très différente de celle écrite par Luc et que ces deux généalogies sont complémentaires, elles insistent sur des éléments théologiques différents. Luc nous parle de David parce qu’à l’époque de la naissance de Jésus, quand le pays était soumis et occupé par les Romains, les gens appelaient encore Bethléem la ville du Roi David. Dans une période de domination, c’était une manière de rappeler les hauts faits du passé, la gloire d’Israël. Et plus ils étaient dominés par les puissances étrangères, maintenant les Romains, plus les gens attendaient la venue de quelqu’un qui sauverait Israël, quelqu’un qui l’aiderait à retrouver sa gloire passée.
Et du coup, en nous disant que Jésus est né dans la ville du roi David, Luc annonce déjà qu’il y a en lui quelque chose de glorieux ; mais en même temps, comme cette naissance se passe dans la discrétion et la pauvreté, nous avons dès sa naissance un aperçu du malentendu qui accompagnera Jésus tout au long de son ministère, jusqu’aux cris de la foule demandant sa crucifixion : celui qui vient de naître est bien le messie, oui, mais pas tout à fait celui que les gens attendaient. Jésus le dira trente ans plus tard, « mon royaume n’est pas de ce monde » ; tout le monde ne l’a pas compris, beaucoup n’ont pas voulu le comprendre, ni sur le moment ni même plus tard. Mais, nous venons de l’entendre les premiers qui l’ont compris, ce sont les bergers, et je vous propose maintenant que nous regardions la réaction des bergers – car nous avons beaucoup à apprendre des bergers – et dans dix jours, nous regarderons une autre réaction, celle des mages venus d’ailleurs, venus d’Orient.
Aujourd’hui, nos bergers, ce sont des juifs ; alors d’accord, ils connaissent peut-être les prophéties d’Esaïe, ou ils en ont peut-être entendu parler ; d’accord, ils vivent dans l’attente depuis des générations ; mais enfin, quand ils ont la splendide vision de l’ange dans la Gloire du Seigneur, et quand l’ange les a rassurés (il y a de quoi avoir peur en effet) quand l’ange leur annonce la naissance d’un sauveur, ils s’attendent probablement à autre chose qu’à un bébé couché dans une mangeoire, dans un environnement misérable. Oui, tout Israël attend le Messie depuis des siècles, mais celui que tout Israël attend depuis des siècles c’est un messie tout-puissant, un sauveur qui aura, comme disait Esaïe, la souveraineté sur son épaule – un fils de roi, personnage qui aura reçu l’onction royale, la mashiah versée sur la tête du futur roi, quelqu’un qui libérera le peuple de l’oppression, qui fera venir la Paix pour mille ans… mais ce que les bergers entendent est très différent : oui, le messie est né en effet, mais il est totalement fragile, totalement dépendant des autres. Il n’a pas de berceau, il est même déjà rejeté par les humains, puisqu’ils ont chassé ses parents du seul lieu où il y avait un peu de chaleur humaine et que sa mère a été obligée d’accoucher dans le froid et la solitude.
Ce n’est pas étonnant que beaucoup parmi les juifs, à l’époque comme aujourd’hui, ce n’est pas étonnant que beaucoup d’humains en général aient refusé, refusent encore aujourd’hui, d’accepter l’idée que ce nouveau-né était le Christ – c’est-à-dire celui à qui le Seigneur a donné l’onction royale – le Christ venu pour sauver les hommes. Ce n’est pas étonnant que cette contradiction soit difficile à accepter. Ce qui est étonnant, c’est ce que Luc nous décrit : ces hommes – quelques bergers, pauvres et simples, mais faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit, ces hommes qui pourraient ricaner décident d’aller voir – voir ce que, selon les mots de Luc, « le Seigneur leur avait fait connaître ». Dans la scène telle que Luc la décrit, dans l’annonce faite aux bergers, il y a déjà l’essentiel de la théologie chrétienne – nous qui connaissons la suite de l’histoire, comme Luc, nous savons que la faiblesse du nouveau-né, cette image qui modifie complètement l’image du messie que les juifs attendaient – nous savons que cette image annonce déjà la croix. Luther a dit que les bergers de Luc ont été les véritables premiers « chrétiens », et en effet, dans cet évangile ce sont les premiers qui acceptent de reconnaître le messie dans son dénuement et sa faiblesse. La reconnaissance pourrait être très difficile, voire impossible – d’ailleurs Luther ajoute avec un petit sourire « heureusement que les anges étaient là pour l’annoncer, parce qu’autrement, le messie aurait bien pu naître cinquante fois sans que les hommes n’en sachent rien ». Encore faut-il accepter le message quand on l’entend, et c’est peut-être cela le plus difficile. Le message, pour les bergers de l’évangile comme pour nous aujourd’hui, c’est que Dieu nous sauve non pas dans une démonstration de toute-puissance mais justement par sa faiblesse – Par sa faiblesse il prend en compte notre propre faiblesse ; si d’une manière ou d’une autre nous reconnaissons que ce nouveau-né est le messie, nous sommes obligés de changer de point de vue sur Dieu, comme les bergers l’ont fait en allant voir après avoir entendu – « allons VOIR ce que le Seigneur nous a fait CONNAÎTRE » : ils ont renoncé à l’idée d’un Dieu fort pour adopter un enfant sans défense. Et non seulement ils l’adoptent, mais ce sont eux qui confirment aux parents que ce nouveau-né est bien le Messie, et qui le font savoir autour d’eux. C’est pour cela que je disais que nous avons beaucoup à apprendre de ces bergers ; ce qu’ils ont entendu, ce que les anges leur ont appris, nous aussi nous avons besoin de l’entendre : on dit souvent que dans l’ancien testament Dieu montrait sa main, mais je crois qu’aujourd’hui, en nous donnant Jésus, Dieu montre son cœur. Et ça change tout. Oui, l’ancienne promesse d’un Dieu avec les humains est accomplie, mais pas comme les humains s’y attendaient. Les bergers se sont laissés transformer, en décidant d’aller voir ils renoncent déjà à l’idée d’un Dieu tout puissant. La seule puissance divine que Jésus va manifester est au contraire celle de sa faiblesse, car dans cette faiblesse il devient aussi entièrement humain et cela modifie radicalement notre ancienne idée d’une divinité qui maîtrise tout. La faiblesse de l’enfant dans la mangeoire nous oblige à accepter notre propre faiblesse au lieu de passer notre temps à vouloir démontrer notre supériorité ou notre force. La faiblesse tellement méprisée auparavant (et tellement méprisée par beaucoup, aujourd’hui comme hier) va devenir signe de la présence de Dieu, humain parmi les humains. En Jésus le Christ, notre Dieu se présente comme un enfant sans force matérielle, c’est un nouveau-né qui reçoit l’onction royale mais dont la puissance est entièrement spirituelle – dès sa naissance nous sommes appelés à comprendre que son royaume n’est pas de ce monde, comme il le dira lui-même plus tard. L’onction d’huile d’allégresse qui était jadis donnée aux Rois, elle est aujourd’hui donnée à un enfant ; et cet enfant a besoin de nous autant que nous avons besoin de lui, pour grandir en nos cœurs et rendre possible la venue du Royaume.
