Prédication du 14 septembre 2025
Culte de rentrée
de Catherine Axelrad
« Que cherchez-vous ? »
Lecture : Jean 1, 29-49
Introduction
Je vous propose ce matin un extrait du début de l’évangile selon Jean – très exactement les versets 29 à 49 du premier chapitre. Ces 20 versets racontent une petite histoire, une suite d’événements qui se passe en trois jours, et ce n’est pas du tout par hasard. Dans ce texte, en 20 versets très exactement, nous allons voir Jésus de plus en plus près – nous le verrons d’abord de loin : il s’approche de Jean le Baptiste, pas pour être baptisé puisque nous entendrons qu’il l’est déjà, et nous entendrons Jean le Baptiste parler de lui – puis nous le verrons d’un peu plus près, quand deux des disciples quittent Jean le Baptiste pour rejoindre ce Jésus ; et nous verrons Jésus d’encore plus près quand d’autres personnes le rejoindront pour devenir ses disciples. Jean le Baptiste vivait sans doute à ce moment-là à Béthanie, près du Jourdain, avec une communauté de disciples, et juste avant l’histoire que nous allons entendre, il a reçu la visite des autorités religieuses juives qui voulaient le questionner et en savoir un peu plus sur cette secte bizarre – est-ce que ce baptiste se prendrait pour le messie, par hasard ? Et Jean le Baptiste a été à la fois très clair et un peu mystérieux : il a été très clair, il a dit je ne suis pas le Christ, ni le prophète, je baptise seulement dans l’eau ; mais il a été un peu plus mystérieux en disant « au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, il vient derrière moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale ». C’est une phrase magnifique, surtout pour nous qui savons de qui il parle, mais quand même un peu mystérieuse, et c’est le texte qui suit qui va nous permettre de comprendre. L’histoire commence le lendemain et se déroule en trois jours. Je vous propose d’écouter ce texte, et puis nous essaierons de voir ce qui se passe vraiment entre tous ces personnages, pourquoi ça se passe de cette manière, et en quoi cette histoire nous concerne encore aujourd’hui.
Lecture biblique
Jean 1, 29-49
29 Le lendemain, Jean le Baptiste voit Jésus venir à lui et dit : Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde.
30 C’est à son sujet que, moi, j’ai dit : Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi, car, avant moi, il était ;
31 moi-même, je ne le connaissais pas ; mais si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il se manifeste à Israël.
32 Jean rendit ce témoignage : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui ;
33 moi-même, je ne le connaissais pas ; c’est celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau qui m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit saint.
34 Moi-même, j’ai vu et j’ai témoigné que c’est lui le Fils de Dieu.
35 Le lendemain, Jean était de nouveau là, avec deux de ses disciples ;
36 il regarda Jésus qui passait et dit : Voici l’agneau de Dieu.
37 Les deux disciples entendirent ces paroles et suivirent Jésus.
38 Jésus se retourna, vit qu’ils le suivaient et leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui dirent : Rabbi – ce qui se traduit : Maître – où demeures-tu ?
39 Il leur dit : Venez et vous verrez. Ils vinrent et virent où il demeurait ; ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure.
40 André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu Jean et qui avaient suivi Jésus.
41 Il trouve d’abord son propre frère, Simon, et il lui dit : Nous avons trouvé le Messie – ce qui se traduit : le Christ.
42 Il le conduisit vers Jésus. Jésus le regarda et dit : Toi, tu es Simon, fils de Jean ; eh bien, tu seras appelé Céphas – ce qui se traduit : Pierre.
43 Le lendemain, il voulut se rendre en Galilée, et il trouve Philippe. Jésus lui dit : Suis-moi.
44 Philippe était de Bethsaïda, la ville d’André et de Pierre.
45 Philippe trouve Nathanaël et lui dit : Celui au sujet duquel ont écrit Moïse, dans la Loi, et les prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus de Nazareth, fils de Joseph.
46 Nathanaël lui dit : Quelque chxose de bon peut-il venir de Nazareth ? Philippe lui dit : Viens voir.
47 Jésus vit Nathanaël venir à lui, et il dit de lui : Voici un véritable Israélite, en qui il n’y a pas de ruse.
48 Nathanaël lui dit : D’où me connais-tu ? Jésus lui répondit : Avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu.
49 Nathanaël reprit : Rabbi, c’est toi qui es le Fils de Dieu, c’est toi qui es le roi d’Israël.
Prédication
Cette histoire qu’on vient de lire, si on essayait de la résumer, on pourrait dire : premier jour, Jean voit Jésus et témoigne à son sujet ; deuxième jour, Jean désigne Jésus à ses propres disciples, deux d’entre eux le quittent et décident de suivre Jésus ; l’un des deux va chercher son frère, donc maintenant ils sont trois; le lendemain, ils partent pour la Galilée, Jésus appelle Philippe qui va chercher Nathanaël – donc à la fin du troisième jour ils sont déjà cinq disciples. L’intérêt de ce résumé, c’est qu’il montre l’accélération, la dynamique du texte – la découverte qui passe de personne en personne, de voix en voix, de regard en regard. Mais si on en restait là, on risquerait d’oublier la cause de cette accélération, son origine. Et ce serait dommage parce que Jean le dit très clairement : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit « celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit saint ». Or celui qui a envoyé Jean, même s’il n’est pas nommé, le texte nous laisse entendre que c’est l’Eternel Dieu lui-même ; c’est Dieu qui m’a envoyé baptiser, dit Jean, et c’est Dieu qui m’a montré que Jésus est porteur de l’Esprit saint. Et donc on comprend que cette dynamique, ce n’est pas une question de jour ni de personne, c’est surtout l’histoire d’une révélation. Jean le Baptiste, le dernier prophète et le premier martyr (n’oublions pas qu’en grec martyr veut dire témoin, justement) le rôle de Jean c’était de recevoir la révélation et d’en témoigner – et quand son rôle est joué il va disparaître « il faut que lui grandisse, et que moi je diminue » – il disparaît mais nous voyons que c’est son témoignage qui va permettre la véritable révélation, la véritable rencontre avec Jésus.
Ce qui peut nous étonner dans la première rencontre, c’est l’expression utilisée par le Baptiste ; il voit Jésus passer et dit à ses disciples « Voici l’agneau de Dieu ». On croit souvent que c’est une expression qui vient de l’ancien testament, mais en réalité cette expression n’existe pas telle quelle dans la bible hébraïque. Et pourtant, on l’a entendu, il n’en faut pas plus pour que les deux disciples de Jean l’abandonnent pour suivre Jésus. C’est donc que pour eux, qui connaissent bien l’AT, cette expression évoque plusieurs images, et tout d’abord l’agneau pour les sacrifices ; le sacrifice de la Pâque juive, qui rappelle la sortie d’Egypte – il faut manger l’agneau comme si on était prêt à partir, les sandales aux pieds et la ceinture attachée. L’agneau pascal évoque alors le Dieu qui libère de l’oppression et de la désolation. Mais l’agneau rappelle aussi le sacrifice qui doit avoir lieu tous les jours si l’on veut rencontrer Dieu : dans le livre de l’Exode, au chapitre 29, il est dit : « Voici ce que tu offriras sur l’autel : deux agneaux d’un an, chaque jour, constamment. Tu offriras le premier agneau le matin, le deuxième à la tombée du soir. C’est un holocauste constant, dans toutes vos générations, que vous offrirez à l’entrée de la tente de la rencontre, devant le Seigneur : c’est là, dit le Seigneur, c’est là que je vous rencontrerai, c’est là que je te parlerai. » Le sacrifice de l’agneau était donc censé permettre la rencontre avec Dieu. Et les disciples de Jean connaissent aussi très bien les prophéties d’Esaïe, qui parle du mystérieux serviteur souffrant dont nous avons parlé en juin : brutalisé, il s’humilie ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau trainé à l’abattoir. Le serviteur de Dieu subira la persécution et la mort, mais ensuite il sera reconnu comme le sauveur de toute l’humanité « Mon serviteur triomphera, il sera élevé ». Et donc dans l’évangile selon Jean, quand le Baptiste dit de Jésus qu’il est l’« agneau de Dieu », c’est déjà une manière pour lui d’annoncer à ses disciples le sens du ministère et de la mort de Jésus. Dès sa première apparition, Jésus est présenté comme celui qui se dirige vers la croix. Et ça c’est tout à fait caractéristique de l’évangile de Jean, la croix est présente dès le début. Pour Jean – et c’est un des éléments fondateurs de la théologie chrétienne – c’est bien le sacrifice de l’agneau qui pourra permettre la libération et la rencontre. Beaucoup d’entre nous ont du mal à accepter cette dimension théologique, et moi la première, car nous savons bien que Christ agneau de Dieu ne supprime ni le mal, ni la souffrance – mais ce que nous dit Jean c’est simplement qu’en venant souffrir avec les humains, en acceptant la croix, Christ peut donner un sens à la souffrance humaine et donc un sens à la vie – à notre vie, qui nous paraît si souvent absurde.
Et justement, toutes ces personnes qui commencent à suivre Jésus, qui veulent demeurer avec lui ou marcher avec lui, c’est bien cela qu’elles cherchaient, un sens à leur vie. Les deux disciples de Jean avaient quitté la ville pour vivre avec le Baptiste dans cette communauté perdue près du Jourdain ; et leur frère, leurs amis aussi sont en recherche, une recherche tellement forte, tellement fondamentale pour eux que dès qu’ils ont le sentiment d’avoir trouvé, ils se mettent en route. Mais il reste une question : comment ça se passe ? Qu’est-ce qui leur donne ce sentiment ? Vous avez sans doute entendu qu’au début, quand les deux disciples du Baptiste rejoignent Jésus, ils l’appellent Rabbi – ils croient encore que Jésus est une sorte de guide spirituel, comme celui qu’ils viennent de quitter ; mais dès le lendemain, André parle de lui en l’appelant le Messie, le Christ (celui qui a reçu l’onction royale et que beaucoup attendaient) – et cette reconnaissance est précisée le troisième jour, Philippe dit à Nathanaël que ce Jésus de Nazareth est bien celui annoncé par Moïse et les prophètes, et la révélation est complète puisque Nathanaël l’appelle roi d’Israël, fils de Dieu. Alors qu’est-ce qui s’est passé ? Jésus leur a fait un cours, il leur a tout expliqué, comme il va beaucoup leur parler dans l’évangile de Jean ? Pas du tout. Plus tard, il fera de très longues phrases, il appellera ses disciples « mes petits enfants » – mais pendant ces trois premiers jours c’est à peine s’il leur a dit trois phrases. Il commence par demander à André et son compagnon ce qu’ils cherchent ; pas qui ils cherchent mais ce qu’ils cherchent – et bien sûr la question s’adresse à nous aussi : au fond de notre cœur, que cherchons-nous ? Quelle libération attendons-nous, quel sens voulons-nous donner à notre vie ? Les disciples répondent de manière un peu étrange : « Maître, où demeures-tu ? » En réalité c’est une question qui montre déjà leur désir de le suivre jusqu’au bout. Les réponses de Jésus sont courtes, il leur donne des ordres « venez et vous verrez » ; à Simon il a dit « tu es Simon, fils de Jean, tu seras appelé Képhas » ; et à Philippe il dit simplement « suis-moi ». Ce sont des paroles d’autorité, mais si les disciples les acceptent, c’est qu’ils ont compris que Jésus était bien la réponse à leur recherche; et la vraie reconnaissance, je crois qu’elle est passée par le regard. Jésus se retourne et les voit, il leur dit « venez et vous verrez » – ils viennent et ils voient ; Jésus regarde Simon et lui dit non seulement qui il est, mais qui il sera. Quand Jésus regarde quelqu’un (et ce sera pareil pour les femmes, par exemple pour la Samaritaine) c’est comme s’il le connaissait déjà ; la personne se sent non seulement connue mais reconnue ; reconnue et aimée, acceptée telle qu’elle est. Ce regard que Jésus pose sur chacun, sur chacune, ce regard lui permet de se sentir connu, reconnu comme une personne unique, totalement acceptée et totalement aimée. L’invitation à suivre Jésus passe d’abord par ce regard qu’il pose sur chacun, un regard qui prend en compte toute l’histoire de la personne – son passé mais aussi son avenir – sa recherche de sens « que cherchez-vous ? » – peut-être qu’avant de rencontrer Jésus les disciples ne savaient pas bien ce qu’ils cherchaient, mais lui le sait ; – ces hommes cherchaient le messie, celui qui les sauverait – celui qui les sauverait en donnant un sens à leur vie – et ce regard qu’ils reçoivent leur permet de pressentir que Jésus est bien la réponse à cette recherche. Et d’ailleurs ce premier jour, quand les deux premiers disciples demeurent avec lui, le texte ne nous en parle pas, il nous laisse simplement comprendre que ce doit être une expérience de paix intérieure extraordinaire puisque dès le lendemain ils ont compris, et ils le disent : « nous avons trouvé le Messie » – tout de suite après la rencontre et le reconnaissance arrive le désir très fort de communiquer la joie de cette rencontre, avec l’accélération dont je parlais tout à l’heure. Alors si j’ai choisi ce texte aujourd’hui, vous vous en doutez, c’est parce que je crois qu’il parle aussi de nous, de notre propre recherche et de notre propre rencontre avec celui qui donne un sens à notre vie.
Bien sûr aujourd’hui nous vivons cette recherche différemment, chacun selon notre histoire personnelle – pour certains elle passe d’abord par l’étude et l’histoire des textes, pour d’autres par la rencontre avec les autres et le choix de les aider, pour d’autres encore par leur vie familiale ou professionnelle, ou leur vie amoureuse – en réalité nous pouvons vivre cette rencontre dans tous ces domaines, même si nous ne le savons pas toujours – le Christ pose son regard d’acceptation et de reconnaissance sur chacun et chacune de nous, là où nous sommes, et c’est ce qui nous permet de le reconnaître à notre tour; mais ce n’est pas toujours facile, surtout que ce regard de reconnaissance a été trop longtemps présenté, et encore souvent aujourd’hui, comme un regard de surveillance ou de jugement, ce qui est très grave parce que ne l’oublions pas, ce regard qui donne un sens à notre vie vient de l’Eternel, l’Eternel que les prophètes ont recherché et annoncé, l’Eternel qui avait envoyé Jean baptiser dans l’eau et Jésus baptiser dans l’esprit saint. Et si nous sommes ici aujourd’hui, si nous nous sommes mis en route à la suite des disciples, c’est que justement, chacun, chacune à notre manière, nous recherchons cette rencontre car nous savons qu’elle donne un sens à notre vie et nous souhaitons la vivre ensemble; nous l’avons vécue et nous cherchons à la vivre, ou à la revivre, encore et toujours – ensemble, en église, avec André, Simon-Pierre, Philippe et Nathanaël – et surtout avec le disciple bien aimé, celui qui a raconté l’histoire pour qu’elle soit écrite. Le disciple bien aimé, que nous retrouverons tout au long de l’évangile de Jean, et jusque dans la maison du grand prêtre au moment de l’arrestation de Jésus, est un témoin volontairement anonyme qui a reconnu en Christ la réponse à sa recherche, mais cette recherche est aussi la nôtre. Comme le disciple bien aimé, nous voulons demeurer avec Christ et le suivre – demeurer avec lui en esprit pour que son regard donne un sens à notre vie, et le suivre dans notre monde d’aujourd’hui comme autrefois sur les routes de Galilée, pour reconnaître sa présence en chaque être humain et pour en témoigner.