Prédication du 25 mai 2025

de Dominique Imbert

Simon, fils de Jean

Lecture : Jean 21, 15-19

Lecture biblique

Jean 21, 15-19

15 Après qu’ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Il lui répondit : Oui, Seigneur ! Tu sais bien, toi, que je suis ton ami ! Jésus lui dit : Prends soin de mes agneaux. 
16 Il lui dit une deuxième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre lui répondit : Oui, Seigneur ! Tu sais bien, toi, que je suis ton ami ! Jésus lui dit : Sois le berger de mes moutons. 
17 Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jean, es-tu mon ami ? Pierre fut attristé de ce qu’il lui avait dit pour la troisième fois : « Es-tu mon ami ? » Il lui répondit : Seigneur, toi, tu sais tout ! Tu sais bien, toi, que je suis ton ami ! Jésus lui dit : Prends soin de mes moutons. 
18 Amen, amen, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu passais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te passera ta ceinture pour te mener où tu ne voudras pas. 
19 Il dit cela pour signifier par quelle mort Pierre glorifierait Dieu. Après avoir ainsi parlé, il lui dit : Suis-moi.

Prédication

C’est un étrange dialogue que Jésus noue avec Simon-Pierre. Un dialogue aussi bien en répétitions qu’en décalages, un dialogue qui paraît être réservé à Pierre, la notation sur la mort de ce dernier indique que cet échange a été écrit bien après la mort de l’apôtre. En même temps, si ce dialogue était réservé à Pierre, nous n’aurions pas grand intérêt à le lire sinon pour travailler la manière dont la figure de Pierre a été reçue par les générations suivantes de croyants. Bien sûr, il est question d’instituer Simon-Pierre en berger du troupeau du Christ, mais cette interprétation est loin d’épuiser celles ouvertes par le texte. 20 siècles après Simon-Pierre et l’élection récente dans l’Église catholique romaine du 400ème, à peu près, évêque de Rome, lire ce bref récit permet quand même et toujours d’entendre une bonne nouvelle pour chacun et chacune de nous. La figure de Simon-Pierre n’est pas qu’historique, chaque croyant peut s’y trouver, s’y reconnaître et y discerner quelque chose de l’appel qu’inlassablement le Dieu de Jésus-Christ adresse aux hommes, et aux femmes.

Alors que sept disciples ont partagé le déjeuner sur le rivage, Simon-Pierre est distingué par une adresse directe du Ressuscité. Ce n’est certes pas la première fois que l’évangile de Jean braque ainsi un projecteur sur ce disciple, et les trois autres évangiles l’ont déjà fait avant lui. Ce qui nous permet de tracer en deux traits un portrait très, trop, sommaire du pécheur de Galilée : un premier trait pour son zèle enthousiaste et débordant, un zèle à double facette, à la fois l’élan d’un disciple convaincu et déterminé à suivre le Christ où qu’il aille et la certitude de savoir mieux que Jésus ce que le Messie ou le Christ doit faire et dire. Un autre trait, c’est sa faillibilité culminant dans son reniement : devant le danger, lorsque Jésus est arrêté et mis en procès par les autorités religieuses, Pierre recule et par trois fois nie être disciple de Jésus. Mais auparavant, Pierre n’avait déjà pas compris ce que Jésus faisait en lavant les pieds de ses disciples, refusant d’abord puis en en demandant plus ensuite.
Que Pierre ne soit pas infaillible nous autorise à ne pas penser la foi en termes d’excellence, de niveau à atteindre, de quantité, ce qui conduirait à classer les croyants et donc à juger la foi d’autrui. Ce que le récit de Jean, en revanche, met en évidence, c’est que le Christ ne lui fait pas de reproche, pas de remontrance, pas de « je te l’avais bien dit », pas de pénitence, même pas un petit temps de mise à l’écart.
C’est d’un tout autre point de vue que le Ressuscité d’adresse à Pierre et le distingue ainsi du groupe de disciples, dans sa singularité de Simon-Pierre. Un tout autre point de vue que celui de la rétribution, que celui de l’examen comptable de la faute, et ce n’est sûrement pas non plus celui de la vengeance. Le point de vue de Jésus-Christ, c’est celui de la confiance, de l’espérance et de l’amour.
Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?
Jésus rejoint son disciple, il ne le surplombe pas, il se rapproche, tout proche, là où Simon-Pierre a faibli, là où il a renié, là où il a été inconséquent, là où sa foi et son amour ont cédé. Il le rejoint dans les larmes que Pierre a versé en entendant le coq chanter. Il le rejoint là où Pierre a manqué, là où Pierre a péché pour le dire en langage théologique. Il le rejoint là où Pierre pourrait rester bloqué par culpabilité, par peur, par un jugement porté sur lui-même, un de ces jugements qui collent à l’âme, qui engluent la personne dans le passé. Jésus-Christ rejoint Pierre dans sa misère, mais pas pour la mettre en évidence. C’est pour, au contraire, pointer ce qui fait battre le cœur, pour mettre en évidence ce qui reste force et courage dans le disciple qui a renié : m’aimes-tu ?
Là où en nous l’amour palpite, vibre, luit, là nous pouvons prendre appui, de là nous pouvons reprendre pied. Y a-t-il encore de l’amour en Pierre ? Y a-t-il encore de l’amour en nous lorsque nous avons renié, failli, trébuché, manqué ?
Ce n’est pas une épreuve ou un test que le Christ impose à Pierre, il lui offre de prendre conscience de sa vérité d’être, vérité qui n’est pas d’avoir trahi, mais d’aimer.
D’ailleurs le Ressuscité s’adresse à Pierre non pas en le nommant Pierre, mais en l’appelant « Simon fils de Jean ». Qui est Simon fils de Jean ? C’est Pierre bien sûr, mais d’un autre point de vue, qui précède Pierre et qui doit le précéder pour que la pierre solide ne devienne pas pierre projectile ou pierre stérile. Simon fils de Jean, c’est « celui qui écoute », ce que signifie le nom Simon, et qui est fils de la grâce de Dieu ce que signifie le nom Jean. Ainsi Jésus met l’accent sur l’écoute générée et portée par la divine grâce, c’est à dire l’écoute de la Parole de Dieu, l’écoute de l’Évangile du Dieu de grâce que Jésus n’a cessé de révéler. Dès le commencement de l’évangile, le prologue chante que la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Trois fois Jésus s’adresse à Simon fils de Jean : le triple reniement est dépassé. Écoute, tu es enfant de la grâce, c’est en elle que réside ton origine de personne singulière, unique et précieuse, afin que tu vives.
Personne n’est destiné à rester enfermé dans son passé, à rester prisonnier d’une impasse, à demeurer un ou une coupable en pénitence. C’est ainsi que va la grâce, c’est là qu’elle va, cela qu’elle vise, ni morale ni justice au sens pénal, mais justice de Dieu pour libérer les humains du poids oppressant du passé, du péché, pour relever, réveiller, ressusciter les vivants.

Et ce n’est pas tout, car l’amour est modulé de deux manières par le texte de l’évangile, ce que toutes les traductions en français ne rendent pas. Lorsque Jésus demande à Pierre : m’aimes-tu, il s’agit du verbe grec que l’on connaît avec le mot agapé parfois employé en Église et qui a aussi donné en français les « agapes » qui désigne le repas pris en commun par les premiers chrétiens avant d’être élargi aux repas joyeux entre amis. L’agapé, c’est l’amour qui est don gratuit pour la vie de l’autre. C’est l’amour de Dieu pour les humains, c’est ici l’amour du Christ pour Pierre. C’est aussi l’amour auquel nous sommes appelés dans une circulation, une dynamique qui s’origine en la source de l’amour qui est Dieu et passe vers autrui à travers chacun, chacune des aimés aimants.
Avec cette question, Jésus-Christ donne la parole à Pierre, non pas pour que son disciple se justifie ou s’excuse de l’avoir renié, mais pour qu’il puisse dire où il en est dans sa foi, c’est-à-dire dans sa relation au Christ.
Quand Pierre répond, il utilise un autre verbe grec que l’on connaît aussi en français par le préfixe ou suffixe phil dans philanthrope, par exemple. Ce verbe désigne l’amour dans une réciprocité, l’amour entre amis, d’où la traduction lue ce matin : Oui, tu sais que je suis ton ami. Pierre n’est pas en danger avec le Christ, nous ne sommes pas en danger devant le Christ, il est possible de reconnaître nos limites et notre réalité sans être renvoyé, déclassé, humilié.
Sans que le mot soit employé dans le récit, Pierre est pardonné. Le dialogue dans lequel Jésus l’emmène marque le pardon donné et reçu dans l’écoute, dans la prise de conscience que malgré le reniement, malgré la fuite, l’existence de Simon fils de Jean ne repose pas sur le péché mais sur la grâce. Aucune existence devant Dieu n’est fondée sur le péché ou la culpabilité.
Pierre ne se sent pas capable d’agapé, mais d’amitié oui. Et cela suffit. La troisième fois qu’il l’interroge, Jésus-Christ rejoint Pierre sur ce terrain de l’amitié : Simon, fils de Jean, es-tu mon ami ? Jésus lui-même, dans le discours d’adieu avant son arrestation et sa mort avait dit aux disciples : je ne vous appelle plus serviteurs (…) mais amis parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père (Jn 15,15).
Nous n’arrivons pas toujours à aimer de cet amour gratuit et inconditionnel qui veut que l’autre vive. Nous sommes bien souvent coincés par des aveuglements et des paralysies intérieures, empêtrés dans des peurs et dans des préjugés, retenus par l’orgueil ou par des blessures, empêchés par la honte ou par la culpabilité, comme Pierre. Ce n’est pas rédhibitoire pour le Christ. L’amitié, la philia suffit. C’est aussi, c’est quand même de l’amour et s’il y a de l’amour, de l’amitié, il y a un avenir et un avenir commun.

Dès la première réponse de Pierre, le Ressuscité lui confie une mission, une vocation : Prends soin de (fais paître) mes agneaux. Puis : sois le berger de mon troupeau. Enfin : Prends soin de mes moutons. Une vocation adressée trois fois, ce qui lui donne du poids, comme un serment d’engagement de Pierre, un serment fait par le Christ. Ce n’est plus Pierre le renégat, c’est Pierre le berger qui prend soin du troupeau du Christ venu pour que les brebis aient la vie en abondance.
Si nous nous reconnaissons dans la figure de Pierre, si nous nous reconnaissons dans la destinée de Simon fils de Jean, cette vocation est aussi la nôtre. Pas seulement celle d’un homme, pas seulement celle de quelques-uns, mais celle de tous les enfants de la grâce, celles et ceux qui se reconnaissent comme nés de l’inconditionnelle grâce, de l’inconditionnel amour, de l’inconditionnelle confiance de Dieu.
L’amour et l’amitié, cela va avec une responsabilité envers autrui, responsabilité appuyée sur la grâce, nourrie par l’écoute de l’Évangile. Prendre soin comme un berger, figure d’attention et de bienveillance, le Christ nous en rend dignes et capables. Prendre soin comme un berger pour que les brebis soient nourries de la vie du Christ, c’est ne pas encombrer leur chemin de soi-même ou de conditions qui les empêcheraient de recevoir la vie, la grâce, l’amour donnés. C’est leur désigner la transcendance sans les soumettre à des obligations. C’est se faire écho, relai de l’appel divin sans saturer leur esprit, leurs oreilles, leur vue de discours et de formes qui stériliseraient leur propre pensée. C’est témoigner, refléter la lumière de l’Évangile pour les aider à voir et à comprendre l’existence et le monde.
Et toujours revenir à l’écoute et à la grâce.
Cela ne va pas sans difficultés, sans épreuves, et même, pour Pierre, et pour d’autres, sans une fin dramatique car l’hostilité se manifeste, l’hostilité de tout ce qui compte et mesure, de tout ce qui veut gérer le sacré, de tout ce qui veut conserver ou gagner des honneurs ou du pouvoir.
Prendre soin des agneaux, des brebis du Christ, c’est la vocation de chacun et chacune, et cela se fait de manière mutuelle, dynamique. Chacun, chacune est digne et capable d’être pour d’autres, berger attentif à ce que ces autres puissent recevoir la vie donnée, se laisser saisir par l’ultime, prendre conscience et confiance qu’ils peuvent être en relation avec Dieu sans intermédiaire obligé. Peut-être est-ce là des prémices de ce que les Églises de la Réforme appellent le sacerdoce universel, par lequel chaque croyant s’engage dans le chemin ouvert par le Christ qui dit à Pierre, à chacun et à chacune : Suis-moi !

Simon, fils de Jean m’aimes-tu ? Ce n’est pas la perfection que recherche le Christ, c’est notre présence et lui-même nous aide afin qu’elle apparaisse, qu’elle surgisse, afin qu’elle soit restaurée, qu’elle soit relevée. Parce que nous sommes l’espérance de Dieu.