Prédication du 12 octobre 2025

de Catherine Axelrad

« Va en paix »

Lecture : 2 Rois 5, 1-19

Introduction

La lecture biblique que je vous propose ce matin est extraite du deuxième livre des Rois dans l’Ancien Testament, qu’on appelle aussi le Premier Testament. Le livre des Rois – les deux livres des Rois – commencent avec le règne de Salomon et continuent avec la séparation de la Judée en deux Royaumes. Il est beaucoup question des luttes des populations qui cohabitent en Judée au 7ème et 6ème siècles pour imposer leur culte, et deux prophètes jouent un rôle particulièrement important pour faire reconnaître la supériorité du Dieu d’Israël sur le dieu des Philistins – le dieu Baal – et le dieu des Araméens, qui s’appelle Rimmôn. Ces prophètes, vous en avez déjà entendu parler, le premier s’appelle Elie et le deuxième Elisée ; Elisée c’est le disciple d’Elie, qui disparaît au début du livre des Rois, peu de temps avant l’histoire que nous allons entendre maintenant. Elisée prend sa suite et il faut maintenant montrer que lui aussi est un prophète puissant, qui peut accomplir des signes et des guérisons. Et justement, il va avoir l’occasion de le faire.

Lecture biblique

2 Rois  5, 1-19

1 Naaman, le chef de l’armée du roi d’Aram, était un homme important aux yeux de son seigneur ; il jouissait d’une grande considération, car c’est par lui que le Seigneur avait donné la victoire à Aram. Mais cet homme, ce vaillant guerrier, était « lépreux ».
2 Lors d’une expédition, des troupes araméennes avaient ramené captive, du pays d’Israël, une petite fille. Elle était au service de la femme de Naaman.
3 Elle dit à sa maîtresse : Oh ! si mon maître allait chez le prophète qui est à Samarie, celui-ci le débarrasserait de sa « lèpre » !
4 Naaman vint dire à son seigneur : Voici ce qu’a dit la jeune fille d’Israël.
5 Alors le roi d’Aram dit : Vas-y ; j’enverrai une lettre au roi d’Israël. Il partit en prenant avec lui dix talents d’argent, six mille pièces d’or et dix vêtements de fête.
6 Il apporta au roi d’Israël la lettre, où il était dit : Avec cette lettre je t’envoie Naaman, mon serviteur, afin que tu le débarrasses de sa « lèpre ».
7 Après avoir lu la lettre, le roi d’Israël déchira ses vêtements et dit : Suis-je Dieu, pour faire mourir et pour faire vivre, qu’il s’adresse ainsi à moi afin que je débarrasse un homme de sa « lèpre » ? Constatez, je vous prie, qu’il me cherche querelle !

8 Lorsque Elisée, l’homme de Dieu, apprit que le roi d’Israël avait déchiré ses vêtements, il fit dire au roi : Pourquoi as-tu déchiré tes vêtements ? Laisse-le venir chez moi, je te prie, et il saura qu’il y a un prophète en Israël.
9 Naaman vint avec ses chevaux et son char et s’arrêta à l’entrée de la maison d’Elisée.
10 Elisée envoya un messager lui dire : Va te laver sept fois dans le Jourdain ; ta chair redeviendra saine, et tu seras pur.
11 Naaman s’irrita ; il s’en alla en disant : Je me disais : Il sortira et se tiendra devant moi, il invoquera le nom du Seigneur, son Dieu, il agitera sa main sur l’endroit malade et débarrassera le « lépreux » de sa « lèpre ».
12 Les fleuves de Damas, l’Abana et le Parpar, ne valent-ils pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? Ne pouvais-je pas m’y laver pour devenir pur ? Il repartit en fureur.
13 Mais ses serviteurs vinrent lui dire : Si le prophète t’avait demandé quelque chose de difficile, ne l’aurais-tu pas fait ? A plus forte raison s’il te dit : « Lave-toi et sois pur ! »
14 Il descendit alors et se plongea sept fois dans le Jourdain, selon la parole de l’homme de Dieu ; alors sa chair redevint comme celle d’un petit garçon : il était pur.
15 Naaman revint vers l’homme de Dieu, avec toute sa suite. Lorsqu’il fut arrivé, il se présenta devant lui et dit : Je sais qu’il n’y a pas de Dieu sur toute la terre, si ce n’est en Israël. Maintenant, accepte, je te prie, un cadeau de ma part.
16 Elisée répondit : Par la vie du Seigneur, au service duquel je me tiens, je n’accepterai pas. Naaman insista pour qu’il accepte, mais il refusa.
17 Alors Naaman dit : Dans ce cas, je te prie, qu’on me donne, à moi, ton serviteur, de la terre, la charge de deux mulets ; car je ne veux plus offrir ni holocauste, ni sacrifice, à d’autres dieux qu’au Seigneur.
18 Que le Seigneur me pardonne cependant ceci : quand mon seigneur se rend à la maison de Rimmôn pour s’y prosterner et qu’il s’appuie sur mon bras, je me prosterne aussi dans la maison de Rimmôn ; que le Seigneur me pardonne donc lorsque je me prosternerai dans la maison de Rimmôn !
19 Elisée lui dit : Va en paix.

Prédication

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve que le grand Général Naaman a eu bien de la chance – il faut croire qu’il n’était pas si désagréable, que les gens l’aimaient bien malgré sa fierté et même son orgueil. En tous cas ses serviteurs l’aiment bien et essaient de l’aider à plusieurs reprises : la petite servante, les hommes de son escorte… et non seulement ils essaient de l’aider, mais sans eux il serait toujours en Syrie en train de se gratter. Car je commence par préciser que quand on trouve le mot lèpre dans la bible,  ce n’est pas forcément la lèpre qui tue – ce mot est utilisé pour toutes sortes de maladies de peau (et c’est pareil dans l’évangile) –– il s’agit souvent de maladies qui se voient, qui font peur et qui du coup éloignent tous les autre êtres humains du malade – quelqu’un qui est atteint d’une maladie de peau dans la région à cette époque est considéré comme impur, impur physiquement mais aussi spirituellement et moralement (et nous savons que ce sera encore le cas à l’époque de Jésus) – c’est pour cela qu’au moment de la guérison le texte nous dit : il fut purifié. Et c’est vrai que dans la première partie de l’histoire, la maladie dont souffre Naaman, on ne sait pas si elle met sa vie en danger ; mais si l’on regarde d’un peu plus près son comportement, on voit que ce grand général syrien, ce vaillant guerrier comme dit le texte, cet homme se conduit très mal. Revenons un peu sur le début de cette histoire, car il est étonnant : le début de cette histoire, on nous le raconte à peine : le début de cette histoire, c’est une razzia ; vous savez, ces expéditions horribles comme il en existe encore aujourd’hui, où les ennemis viennent enlever les femmes et les enfants du pays d’à côté, les arracher à leur patrie et à leur famille, pour en faire des esclaves -des esclaves sexuelles quand ce sont des femmes, des esclaves tout court quand ce sont encore des enfants et qu’elles ont de la chance. Cette petite fille arrachée à sa famille, le grand général araméen – syrien – l’a gardée pour chez lui, en cadeau pour sa femme. En cadeau pour sa femme, comme si c’était normal. Oui, dans le texte, tout cela a l’air tout à fait normal – je sais bien que c’est une autre époque, un monde qui n’a pas encore entendu l’ordre d’aimer son prochain comme soi-même – mais pour moi, et je pense pour beaucoup de personnes qui ont lu ou entendu ce texte au fil des siècles, ce Naaman, franchement, au début de l’histoire, il pourrait bien mourir de sa lèpre ou d’autre chose, ce ne serait pas une grande perte. Mais pour son roi à lui, ce serait une grande perte ; et quand son roi entend parler de cette possibilité de guérison, bizarrement, il y croit. Il n’y comprend pas grand-chose, il s’adresse au Roi d’Israël parce qu’il ne sait pas qui est Elisée, mais il se dit que ça vaut la peine d’essayer. Or nous sommes dans une situation de trêve momentanée entre les deux pays, mais le petit royaume d’Israël est dominé par Aram, et quand le Roi d’Israël reçoit la demande de guérison, c’est tout à fait normal qu’il ait peur : Voilà, notre puissant voisin me demande quelque chose d’impossible, et comme je ne vais pas pouvoir guérir son général, il va me le reprocher et ce sera un prétexte pour encore nous faire la guerre. « Constatez, je vous prie, qu’il me cherche querelle ! » Encore des massacres pour mon peuple, encore des prisonniers, encore des razzias. Oui, il y a de quoi déchirer ses vêtements. Pourquoi cette petite servante est-elle allée raconter que le prophète pouvait guérir notre ennemi ? Pourquoi ? Pour la même raison qu’Elisée va finalement intervenir : pour permettre qu’un étranger – un ennemi, et pas n’importe lequel – un général – reconnaisse la grandeur de YHWH. Pour qu’il sache, comme le dit Elisée, qu’ « il y a un prophète en Israël ». Dans cette histoire, toutes ces personnes, volontairement ou involontairement, ensemble ou séparément, toutes travaillent dans le même sens : aider un étranger à guérir, et ainsi, en l’aidant gratuitement, l’aider à reconnaître la grandeur du Seigneur YHWH. Tous, d’une manière ou d’une autre, sont animés par l’Esprit du Seigneur – même les propres serviteurs de Naaman, qui essaient de le calmer et de l’encourager quand il se fâche.

Et heureusement qu’ils sont tous, qu’ils le sachent ou non, animés par l’Esprit de Dieu – parce que pour aider Naaman, reconnaissons-le, ce n’est pas une petite affaire. Non seulement ce général est arrivé en étalant ses richesses et ses beaux vêtements, mais il exige d’être reçu avec les honneurs – quand Elisée lui envoie un messager au lieu de le recevoir lui-même, il se fâche ! Pour sa guérison, il voulait une démonstration de puissance, et on l’envoie se laver à la rivière, dans le petit Jourdain ! Il est sur le point de laisser tomber, de partir, et qui sait ce qui pourrait se passer, encore une guerre peut-être ? Il risque de rentrer à Aram en disant « Leur prophète n’a même pas voulu sortir pour me recevoir, quel affront ! » Et voilà que subitement, le miracle se produit – le vrai miracle, le plus important : le miracle c’est que le fier Naaman descend de son équipage, il enlève ses riches vêtements, il se met complètement nu – et il se plonge sept fois – sept fois – il faut bien ça pour le transformer, cet homme qui était tellement sûr de lui, tellement convaincu de sa supériorité – il se plonge sept fois dans cette petite rivière d’Israël qui lui paraissait si méprisable. Et il en ressort en effet purifié, purifié dans son corps mais surtout purifié dans son cœur.  Il pourrait partir directement, mais il est transformé – il est retourné – « chouv » c’est le même mot hébreu qui est utilisé pour dire le fait de retourner, de repartir, et de se convertir. Naaman le syrien est converti ; il retourne dire merci, et comme il est sincère, il reconnait immédiatement que derrière le prophète c’est la puissance du Dieu unique d’Israël qui a agi. Sa conversion au Dieu d’Israël est entière : elle est publique, il la proclame devant toute sa suite, et elle concerne aussi la terre d’Israël : cette terre qu’il méprisait, sur laquelle il venait tuer et voler des femmes, voilà qu’il veut en rapporter un peu avec lui pour y construire un autel. Mais le lecteur pourrait s’interroger, comme on s’interroge toujours face à une conversion : oui, il est sincère, mais que va-t-il se passer ensuite ? Quand il rentrera chez lui, chez son Roi, chez les idolâtres du dieu Rimmôn, peut-être qu’il oubliera. Peut-être qu’il jettera la terre dans un coin, peut-être qu’il retournera adorer les idoles araméennes ? Peut-être que, comme tout le monde, parce qu’il est impossible de faire autrement, il sera obligé de faire des compromis entre les exigences de sa foi en YHWH et les nécessités de sa vie ? Naaman sait bien que malgré sa conversion, il va y avoir des moments où il sera obligé de faire des compromis, et lui-même y pense, lui-même se pose la question : qu’est-ce que je vais faire, quand le roi syrien, mon ami, m’emmènera prier avec lui le dieu Rimmôn ? – et pour moi c’est le moment le plus émouvant de cette histoire, le moment où on voit que Naaman a vraiment changé : je vous relis le texte :

« Je ne veux plus offrir ni holocauste, ni sacrifice à d’autres dieux qu’au Seigneur YHWH. Que YHWH me pardonne cependant ceci : quand mon Seigneur le Roi se rend dans la maison de Rimmôn pour s’y prosterner et qu’il s’appuie sur mon bras, je me prosterne aussi dans la maison de Rimmôn. Que YHWH me pardonne donc lorsque je me prosternerai dans la maison de Rimmoôn. Elisée lui dit : Va en paix ». Alors il le quitta.

C’est très étonnant, et peu habituel dans l’ancien testament : Naaman dit à Elisée que bien sûr, il ne fera plus de sacrifices à d’autres dieux, mais que quelquefois, il sera obligé de s’incliner devant la statue du Dieu Rimmôn. En d’autres termes, alors qu’il vient de proclamer sa conversion, il annonce en même temps qu’il sera quelquefois obligé de pratiquer une forme d’idolâtrie, et il demande pardon d’avance. Je crois qu’il y a tout dans ces quelques phrases, toute notre condition d’êtres humains sincèrement croyants, mais prisonniers de nos contradictions, obligés de faire des compromis. Comme Naaman, nous sommes souvent animés par une foi ardente et sincère, nous voudrions obéir totalement à cette foi, servir Dieu et nos frères sans jamais penser à nous-mêmes – oui, nous refusons de sacrifier à d’autres dieux, nous essayons de refuser le mal de l’injustice et l’idolâtrie de l’argent. Mais nous voudrions faire plus, accueillir et partager, vraiment partager ce que Dieu nous a donné et en même temps nous savons que cela ne nous est pas toujours possible, que nous sommes obligés de faire des compromis, de faire un peu de bien mais de penser aussi à notre famille, et même à nous-mêmes – comme Naaman, pour d’autres raisons mais comme lui, notre vie en société ne nous permet pas une conversion aussi radicale que nous le voudrions quelquefois. Comme Naaman, nous vivons notre foi dans nos contradictions, et nous en souffrons, comme Naaman sait déjà qu’il va souffrir quand il s’inclinera avec son vieux roi devant la statue de Rimmôn. Nous nous sentons coupables et oui, nous le sommes – mais ce que le texte nous dit, c’est que Dieu connaît nos contradictions comme il connaît celles de Naaman, et qu’il ne nous en veut pas ; si nous sommes sincères, comme Naaman, sincères dans notre recherche, dans notre foi et dans nos regrets, si nous refusons de sacrifier à d’autres dieux, c’est-à-dire si nous refusons le mal de l’injustice et l’idolâtrie de l’argent, si nous faisons tous nos efforts pour vivre la fraternité, nous savons que, comme Naaman, nous sommes pardonnés – ce pardon qui nous est redit à chaque culte c’est le même que celui que Naaman demande à Elisée, et qu’il reçoit. Bien sûr, Elisée n’encourage pas Naaman, il est prudent, ou plutôt les rédacteurs sont prudents. Elisée ne lui dit pas « Oui, tu peux t’incliner devant une statue de Rimmôn » – mais il ne le condamne pas. En lui disant « Va en paix » il fait preuve d’une compréhension et d’une tolérance que l’on trouve rarement dans l’Ancien Testament, surtout à l’époque concernée. Je vous invite à relire ce texte quand vous aurez un peu de temps – 2 Rois chapitre 5 – et la suite aussi est intéressante – pour admirer la manière dont Dieu transforme le cœur de Naaman, pour le remercier et lui demander de continuer à nous transformer, pour prendre conscience avec Naaman de toutes nos petites compromissions humaines, et pour entendre Elisée nous répondre « Va en paix ».