Concerts du mois – Octobre 2022

La cantate Gott allein soll mein Herze haben a été composée à Leipzig à l’automne 1726, pour le dix-huitième dimanche après la Trinité. C’est une cantate portée par une seule voix, avec un orgue très soliste.
Qui dit voix unique dit bien sûr impossibilité d’une grande ouverture chorale. La cantate commence donc par une ample partie instrumentale, que domine l’orgue.
Bach réutilise là très probablement le premier mouvement d’un concerto perdu et lui trouvera une autre destination, plus tard, dans son concerto pour clavecin BWV 1053.

L’ouverture est brillante, volubile et c’est au terme de cette joyeuse galopade en ré majeur que l’âme chrétienne vient exprimer son engagement : Dieu seul doit posséder son cœur. Dans ses paroles, au fur et à mesure, la musique instrumentale qu’on vient d’entendre apparaît comme son horizon, ce flot abondant où se désaltérer et dont Dieu est la source.
Ce récitatif est relancé deux fois par un chant plus intense. Et cette phrase, paroles et mélodie, devient le thème du premier air de cette cantate.
Bach se montre ici prestidigitateur car, de cet air probablement recyclé lui aussi d’une œuvre instrumentale plus ancienne, il a eut l’idée de détacher les premières notes pour créer la phrase arioso du récitatif qui précède. Il trouve ainsi comment créer un sentiment d’unité et d’évidence. L’air retrouve l’esprit de la sinfonia, fluide et régulier, soutenu vocalement. L’orgue cabriole.

Le récitatif qui suit utilise une référence à l’Ancien Testament, la montée au ciel du prophète Élie, qui préfigure celle du Christ et l’Éternité promise aux hommes. Ce sont une poignée de secondes, juste assez rendre possible un changement de climat très profond.
Bach fait basculer sa musique en mineur. Il reprend à nouveau son concerto disparu. Le mouvement choisi a le rythme lent et ternaire de la sicilienne. C’est dans cette pulsation si réticente, stable et déséquilibrée, comme un cœur au ralenti, que l’âme humaine se dépouille des séductions terrestres. L’orgue sculpte la tension dans un contrechant aigu. L’air est émouvant et puissant par l’étrangeté de ses harmonies, le défi n’est pas que spirituel, il est aussi vocal !
On découvre ici comment est construite cette cantate : en trois grands blocs, chacun dépassant cinq minutes, de caractère et de matière chaque fois différente, avec des passerelles et une conclusion à venir. Le chant solo, pure introspection, en aura habité deux.

La musique repasse en majeur avec un dernier récitatif, le plus court de tous. La soliste conduit l’auditeur au choral final. C’est un appel à l’amour du prochain, assez inopiné, rien n’ayant annoncé ce thème auparavant.
Le choral final est tiré du cantique de Martin Luther Nun bitten wir den heiligen Geist, écrit en 1524. La strophe choisie, simple comme une courte prière, fait communauté et associe les deux thèmes de l’amour de Dieu et de celui du prochain. Tous les instruments interviennent, dont les trois hautbois qui s’étaient tus depuis la sinfonia.

Christian Leblé