Concerts du mois – Octobre 2023

La cantate Herr Gott, dich loben alle wir a été composée pour la fête de Saint Michel, le 29 septembre 1724. Michel, c’est la plus puissante créature de Dieu, le chef des forces célestes, le « prince des lumières ». C’est lui qui terrasse Satan, incarné en dragon, dans le livre biblique de l’Apocalypse.
Bach s’est muni en conséquence : timbales, trois trompettes, trois hautbois… !
La cantate est construite sur un texte de circonstance, qu’on appelle le Cantique des anges, écrit en latin par Melanchton, proche ami de Luther, puis traduit en allemand à la même époque par le théologien et poète spirituel Paul Eber. Il n’y est question que d’eux, de leur vigilance face à Satan qui rôde comme un lion, sans répit. De ces onze strophes, la première et la dernière alimentent le chœur d’ouverture et le choral final, les autres sont recomposées pour nourrir les quatre interventions centrales.
Voici donc que s’avance en parade la troupes des anges. Ce sont des Tortues Ninja plutôt que des chérubins joufflus. La musique est éclats, éclairs, pas une seconde de silence. La première trompette est vertigineuse. Tous les instruments suivent les cuivres. La tonalité de do majeur affirme l’invulnérabilité. De multiples motifs circulent entre les groupes instrumentaux. Le chœur est emmené par les sopranos, qui énoncent le cantique ancien, les autres voix se déploient autour en rangs serrés.

La partie centrale de la cantate est construite en deux paires «récitatif + air» très contrastées. Le premier récit fait entrer l’auditoire dans le propos : c’est pour nous, les humains, que Dieu a créé ces anges.
L’air de basse est déroutant parce que les cuivres changent de rôle. Ils ne sont plus l’éclatante cuirasse de Saint Michel mais le dragon furieux. Leur musique est maintenant menaçante, elle ondoie, puis se dresse, très haut, comme un animal géant. C’est un véritable air de combat. Le chanteur est seul face au dragon. L’issue ne fait quand même aucun doute : l’air est dans la même tonalité de do majeur que l’ouverture. Ça n’en est pas moins un défi pour les interprètes !
Devant un tel spectacle, deux visages se regardent, un peu tremblants. Ce sont ces humains fragiles, traqués par le mal. Bach traite très rarement un récitatif en duo. Ce dispositif dramatique laisse ici transparaître mieux qu’un solo la vulnérabilité humaine (même si le texte est un peu faible).
Après deux premiers grands moments musicaux très riches, chœur et air du dragon, il faut maintenant trouver une autre couleur. L’imploration du ténor, comme un vassal à son souverain, très solennelle, est écrite en trio avec le traverso et le continuo comme partenaires. Le rythme de gavotte marque un soulagement. Toute la musique est tournée vers le haut, vers le Ciel, selon l’image biblique du prophète Elie emporté sur un char de feu.
Le choral final réintroduit la mélodie originale du cantique. Chœur de louange, ponctué par trompettes et timbales.

Christian Leblé
Les Cantates