La cantate Ach Gott, vom Himmel sieh darein fut composée pour le deuxième dimanche après la Trinité, le 18 juin 1724. Elle s’appuie intégralement sur l’un des 43 cantiques de Luther, qu’elle cite ou paraphrase. C’est un texte sévère, virulent. Il s’inspire du Psaume 12 de David qui oppose la parole divine à ceux qui s’érigent en maîtres. On y lit en filigrane la mise en cause de l’Eglise par Luther et ce rapport direct aux textes saints, essentiel chez les Protestants.
La première strophe du cantique est reprise intégralement dans le chœur d’ouverture. Les trombones donnent un caractère ancestral à la musique qui ramène l’auditeur au temps du fondateur de la Réforme, deux siècles en arrière.
Le chant de Luther est incrusté en quelque sorte dans le matériau polyphonique de Bach. On l’entend énoncé par les altos, que le compositeur a renforcés par hautbois et trombone. Alors que les autres voix ont un débit rapide, les phrases du cantique original percent régulièrement en syllabes longues.
Les quatre premières phrases qui invoquent Dieu sont calmes. Les trois dernières, où s’amorce la critique, sont plus agitées. Et surtout le décalage entre les voix s’accentue. Il symbolise la fausseté qui se propage, le fossé qui s’ouvre entre les hommes.
Le récitatif pour ténor fait entendre deux bribes de la deuxième strophe du cantique original, le reste étant paraphrasé et composé librement. Le texte se fait de plus en plus violent.
Il conduit à un air bagarreur, tout entier sous le signe d’étranges figures rythmiques du violon solo et du continuo. L’impression est désarticulée comme un pantin.
Quel contraste alors que le majestueux récitatif de basse qui vient en réponse, porté par les cordes en tenues éternelles. C’est la voix divine. Ses derniers mots sont ceux de Luther (pris dans la quatrième strophe de son cantique).
La force des malheureux… l’air de ténor exprime ce curieux alliage : rythmé, mobile, décidé et en même temps douloureux, le mot Kreuz (la croix) étant chargé d’une émotion grandissante. Là encore, paraphrase du texte de Luther, (dans le Psaume 12, la parole divine est décrite comme pure, à l’égal d’un argent purifié sept fois -Luther réactualise le texte en y associant la Passion du Christ).
Le choral final est une harmonisation puissante de la sixième et dernière strophe du cantique de Luther. Il fait écho au chœur initial, un écho en quelque sorte réorganisé, redensifié : les voix étaient déconnectées, la progression discordante; le chœur de la communauté fait maintenant bloc.
Christian Leblé
La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.