La cantate Freue dich, erlöste Schar fut donnée par Bach pour la fête de Jean-Baptiste, le 24 juin 1738, longtemps -presque quinze ans- après son arrivée à Leipzig. La mésentente avec les autorités locales avait depuis longtemps calmé sa fièvre de cantates. C’est la dernière qu’on lui connait. Et son destin est bien curieux.

Il s’agit d’une parodie, c’est à dire une réutilisation d’un matériau musical écrit pour d’autres circonstances. Dans ce cas, la première version était profane et composée pour rendre hommage à un haut fonctionnaire nouvellement anobli, Johann Christian von Hennicke. Elle fut donnée un an plus tôt, sous le titre Agréable Wiederau (angenehmes Wiederau), du nom du château de ce nouveau seigneur. Les allégories du Temps, de la Fortune, du Destin et du fleuve local -l’Eslter- s’y partageaient les airs. (On retrouvera d’ailleurs à la fin de la cantate une invocation aux heures qui passent trop lentement, belle et dépouillée).

Bach récupéra sa musique, et son librettiste -très probablement Picander- écrivit de nouvelles paroles, ajouta des récitatifs : Freue dich, erlöste Schar vit ainsi le jour.

C’est donc, de fait, une étrange cantate. Les musicologues peinent parfois à lui trouver toutes les qualités. Peut-être est-ce ici l’occasion de rendre hommage à un prédécesseur, William Whittaker (1876-1944), musicologue écossais qui exécuta lui aussi l’intégrale des cantates de Bach et jugeait celle-ci « une adaptation sans scrupule »…

Avec moins de sévérité, on s’étonnera de formes jamais entendues ailleurs dans les cantates : le chœur d’ouverture par exemple est totalement dépourvu d’introduction orchestrale; terrestre et explosant de louanges, il revient conclure l’œuvre, quand d’habitude Bach utilise un choral ancien pour redonner la dimension séculaire de la foi protestante.

On se rendra compte aussi combien la rhétorique musicale -l’expression des intentions du texte par les motifs, les couleurs des instruments et du chant- est ici peu présente.

Le premier -et très bel- air de basse, à l’italienne, paraît bien raffiné pour le personnage de Jean-Baptiste. Les mots den Weg dem Herrn (le chemin du Seigneur) sont curieusement chantournés de vocalises -tout sauf une ligne droite et sûre !

L’air d’alto porté par la flûte, lui aussi superbe, amené par un récitatif à pas rapide, était initialement celui de la Fortune. Le mot Südenschlafe (le sommeil du péché) y est chanté avec tant de brillant, dans l’aigu… on en tomberait de la croix…

Le second air de basse était celui du Destin, il garde quelque chose de frétillant, de mondain, qui manque de combativité. Mais l’écriture, le violon concertant, le hautbois sont si gracieux… voilà encore une merveilleuse surprise.

Alors puisque le sens des mots y est moins travaillé musicalement, il n’y a qu’à adopter cette magnifique partition « les yeux fermés » !

Christian Leblé

La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.