La cantate Ich elender Mensch, wer wird mich erlösen a été composée à Leipzig pour le dix-neuvième dimanche après la Trinité et jouée ce 3 octobre 1723.

L’évangile du jour est la parabole du paralytique dont Jésus remet les péchés et qui s’en trouve guérit. Cette cantate offre en miroir une méditation sur l’existence, sur l’homme voué à la mort et sur la foi salvatrice.

Elle s’ouvre avec un chœur magistral. Mais pas majestueux, au contraire : hagard !

Tout l’effectif semble accablé par cette question essentielle : comment rompre avec la condition humaine.

Les premiers violons poussent de courtes phrases interrogatives qui scrutent le ciel et retombent. Les autres cordes, avec le continuo, n’ont à offrir qu’un rythme titubant.

Les voix entrent à tout de rôle, en canon, Comme s’il s’agissait d’essayer toutes les combinaisons, l’ordre est chaque fois différent. En vain. Cette unique phrase ressemble à un labyrinthe. La musique ne trouve aucune issue.

Pourtant, au-dessus de ce marasme, brille un fragile signal. Trompette et hautbois, eux aussi en canon, font entendre un choral protestant très populaire qui suggère le recours et le salut : Herr Jesu Christ, ich schrei zu dir (Seigneur Jésus-Christ, je crie vers toi). Il s’insère dans le chœur fragment après fragment. En pièces détachées, pour ainsi dire.

Il reste donc du chemin à faire…

Une plainte d’alto succède au chœur et décrit l’empoisonnement par le péché qui finit par avoir raison de l’homme. Mélodie en dents de scie, enchaînements harmoniques terribles illustrent ces souffrances. Le livret dit qu’elles arrachent à l’homme un soupir de ferveur…

« Ah, Dieu, comme ils sont lourds, les péchés que j’ai commis », c’est le titre de ce choral ancien qu’on entend maintenant. Il rétablit le calme et installe la lumière tant espérée d’une tonalité en majeur, contre les nombreuses torsions qui agitent encore les trois voix les plus graves.

Quelque chose se produit ainsi. Le chant de l’alto se métamorphose. De déploration, il devient résolution. De récitatif, il devient air, doux et allant, tiré par les lignes immatérielles du hautbois. Est-ce l’âme, ainsi libérée ? Le texte est rude mais le tempo léger traduit une confiance nouvelle, presque insouciante.

Le récitatif du ténor vient alors rapprocher l’évangile du paralytique, utilisant la métaphore de la maladie, et conforter avec autorité l’espoir qui vient de naître.

Un rythme ternaire s’enclenche, comme pour l’air d’alto, mais beaucoup plus ample. On est passé d’une palpitation individuelle à une perspective universelle. Ce n’est pas jubilatoire, il s’agit bien d’une profonde méditation. D’ailleurs, la tonalité est à nouveau mineure et le restera jusqu’à la fin de la cantate.

Celle-ci s’achève avec le retour du choral Herr Jesu Christ, ich schrei zu dir. Lui qui perçait si faiblement le brouillard initial, le voici restauré dans son intégrité, porteur d’une solide conviction.

Christian Leblé

La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.