Comme la musique figurée, celle qui représente la vie du Christ, était interdite dans les églises de Leipzig à l’approche de Pâques, Bach n’a composé aucune cantate pour cette période.

Nous en profitons pour jouer la musique d’autres compositeurs qui ont contribué au genre de la cantate sacrée.

Nicolaus Bruhns (1665-1697) précéda Bach d’une vingtaine d’années sur la route des cantates. Issu d’une famille de musiciens, il se forma auprès d’un autre grand compositeur de musique sacrée, Buxtehude, à Lübeck et fut un virtuose de l’orgue et du violon. Organiste à Husum en Frise du Nord, ce musicien prématurément disparu laisse dix-sept partitions et parmi elles douze cantates.

Le genre n’est pas encore ce qu’en fera Bach. Mais déjà le livret est un poème original et plus seulement des citations bibliques strictes. Si la musique n’est encore alimentée que par de petites formules mélodiques, une certaine virtuosité commence à se manifester. Bach développera encore la forme et la rigueur théologique, il systématisera certains éléments comme le choral final et caractérisera beaucoup plus chaque intervention soliste (récit ou air, sans parler de l’expressivité).

La cantate Hemmt eure Tränenflut (Taris le flot de tes larmes) prend appui sur l’épisode du tombeau vide, relaté dans les quatre évangiles, lié à la résurrection du Christ et donc à la promesse de la vie éternelle.

La situation est exposée par la voix de soprano avant que le chœur reprenne la première formule mélodique de son solo et ne s’engage dans une polyphonie fuguée. Cette musique très dynamique, pleine d’allégresse, s’achève sur une sensation d’infini avec le mot ewig (éternel) en valeur très longue.

Trois airs vont ensuite s’enchaîner, organisés en contraste, pour articuler le soulagement qui s’offre enfin à l’humanité.

Au point de départ, l’homme écrasé par ses péchés et promis à la mort. L’oppressante image d’avoir une pierre sur le cœur recoupe celle du tombeau. La basse continue ressasse les quatre mêmes notes descendantes. C’est une lamentation sans issue que psalmodie l’alto.

Le ténor dissipe cette vision de mauvais rêve. Associant une autre figure biblique, Samson le libérateur du peuple d’Israël dans l’Ancien Testament, il promet que l’homme sera désormais secouru.

La musique qui l’accompagne avance d’un bon pas : plus d’obstacle. L’inertie de la mort est conjurée par ce mouvement rapide, cette énergie nouvelle.

La voix de basse apporte un élément encore différent. Le rythme ternaire suggère une sorte d’insouciance : la mort n’est plus le point final, elle n’est plus effrayante. Le chanteur conclut avec deux phrases ascendantes, l’une pour l’âme qui s’envole, l’autre pour le corps relevé.

Le chœur final est un grand Amen. Il commence à l’unisson par la mélodie du choral-phare Christ lag in Todesbanden (le Christ gisait dans les liens de la mort) avant de s’épanouir en une heureuse polyphonie.

Christian Leblé