Prédication du 24 novembre 2019

A la rencontre de l’autre

de Dominique Hernandez

Lectures : Genèse 14, 18-20

Lectures

Genèse 14, 18-20

18 Malki-Tsédeq, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin :
il était prêtre du Dieu Très-Haut. 

19 Il le bénit en disant :
Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui produit le ciel et la terre ! 

20 Béni soit le Dieu Très-Haut qui t’a livré tes adversaires !
Et Abram lui donna la dîme de tout.

Prédication

Malki-Tsédeq, roi de Salem, surgit soudain dans le texte de la Genèse et disparaît tout aussi soudainement. 3 petits versets seulement, mais fulgurants. 

Les traditions juives et puis chrétiennes ajouteront à ces trois versets beaucoup d’interprétations et de précisions. 

Dans la Bible, Malki-Tsédeq est cité au Psaume 110 : Tu es prêtre pour toujours à la manière de Malki-Tsédeq. C’est l’Éternel qui s’adresse au roi. Le Psaume 110 est un psaume pour le sacre d’un roi, chanté au moment de la fête des Tentes, pour rappeler les promesses messianiques de l’Éternel. Prêtre à la manière de Malki-Tsédeq, c’est une manière d’ancrer cette prêtrise dans une précédence par rapport aux prêtres d’Israël, tous issus de la tribu de Lévi selon la Loi. Car le Messie attendu devait être de la tribu de Juda et non de la tribu de Levi.

Le Psaume 110 a été interprété de manière christologique dans le Nouveau Testament. Jésus est le Messie, le Christ annoncé, à la fois roi et prêtre pour toujours. C’est ainsi que l’épitre aux Hébreux cite le Psaume 110 et l’amplifie en revenant longuement sur la prêtrise de Malki-Tsédeq instituée par Dieu et non par la Loi, prêtre pour toujours et sans commencement non plus, puisqu’aucune généalogie du roi de Salem n’est mentionnée.

Pour les Pères de l’Église et pour de nombreux théologiens, par exemple Jean Calvin dans son commentaire de l’épitre aux Hébreux, Malki-Tsédeq est préfiguration du Christ.

Les trois petits versets de Genèse disent cependant en eux-mêmes beaucoup de choses.

Abram et Malki-Tsédeq auraient pu ne pas s’entendre tous les deux.

Abram est nomade, allant d’étape en étape sans jamais être chez lui, sans s’installer, sans s’inscrire dans aucun peuple. Abram est de plus riche et puissant : il possède beaucoup de troupeaux et de serviteurs. D’ailleurs Abram signifie Père très haut : un nom prestigieux, un nom pour dominer. 

Il pourrait y avoir là quelques raisons de se méfier, de se tenir sur ses gardes. 

Qui plus est, Abram, en cette occasion, est un chef de guerre victorieux. Il s’est trouvé entraîné dans un conflit entre plusieurs rois. Lui n’a déclaré la guerre à personne. Mais son neveu Lot s’était installé sur le territoire du roi de Sodome. Ce roi, qui prenait part au conflit, a été battu et Lot a été emmené captif avec d’autres gens et les biens du roi de Sodome. Averti, Abram est allé délivrer son neveu, il a mené bataille avec ses serviteurs et il a remporté la victoire, libérant Lot et s’emparant d’un important butin : ce qui appartenait au roi de Sodome et aux rois vaincus.

C’est à ce moment que surgit Malki-Tsédeq, qui n’avait pas pris part à la guerre.

Le roi de Salem aurait pu se méfier d’Abram, lutter contre lui (selon l’adage bien connu : « la meilleure défense c’est l’attaque ») ou il aurait pu négocier afin de passer un traité. 

Pas du tout !

Malki-Tsédeq, dont le nom signifie roi de justice, est roi de Salem ; peut-être Jérusalem, peut-être un territoire autour de Jérusalem. En tous cas, le roi de Salem est roi de paix. Il est aussi prêtre du Dieu Très-Haut, Dieu créateur, un Dieu dont nous pouvons donc penser qu’il tient justice et paix aux fondements du monde qu’il crée.

Dieu Très-Haut : ce n’est pas avec ce titre qu’Abram invoque celui qui l’a mis en route. Le Dieu qui l’a appelé est celui dont le nom imprononçable s’écrit avec quatre lettres, le tétragramme que les versions Segond des traductions de la Bible rendent par le mot SEIGNEUR en petites majuscules. Ce nom imprononçable est remplacé à la lecture par le mot Adonaï (Maître). Dans le livre de la Genèse, Dieu est aussi appelé Elohim, qui est à strictement parler une forme plurielle. Il est encore d’autres noms pour parler de Dieu (un mot qui n’est pas un nom) : Tsebaoth : Dieu des armées (mais des armées célestes et pas des armées humaines, malgré la propension des croyants à enrôler Dieu sous leurs bannières respectives). Et aussi : El Shaddaï (Dieu puissant ou des montagnes), El Roï (Dieu qui voit) … et d’autres combinaisons de El (Dieu) avec un qualificatif.

Le Dieu d’Abram, le Dieu qui a appelé Abram à vivre de confiance et d’espérance, Abram le connait comme Dieu de la vie, Dieu pour une vie de confiance même dans les épreuves, Dieu pour l’avenir de la vie avec la promesse d’une descendance. Mais Abram lui-même est un homme juste : avec son neveu Lot, avec le roi de Sodome à qui il rendra tous ses biens et ses serviteurs, avec les Hittites à qui il achètera un champ pour y ensevelir le corps de sa femme. Abram est un homme de paix qui évite les conflits et les destructions autant qu’il le peut, qui prie afin que Sodome et Gomorrhe ne soient pas détruites, si jamais quelques hommes justes y résidaient … 

Et nous lisons dans d’autres écrits de la Bible que des prophètes parlent du Dieu d’Abram comme insistant 

  • sur la nécessité de la justice dans les relations humaines, 
  • et sur la paix comme plénitude et harmonie profonde au-delà de ce que les humains peuvent voir dans la nature et au-delà même de ce que les humains peuvent mettre en œuvre de non-violence dans leurs interactions. 

Le Dieu de Melchisédek, Dieu Très-Haut et Créateur, universel, Dieu de justice et de paix, a bien des points communs avec le Dieu d’Abram, Dieu qui appelle à la vie, pour la vie, celui qui survient quand on pense que la vie n’est plus possible, un Dieu d’espérance et d’avenir. 

Alors oui, le Dieu d’Abram est aussi le Dieu Très-Haut de Malki-Tsédeq.

Malki-Tsédeq, au nom du Dieu Très-haut, vient vers d’Abram, lui offre pain et vin en partage et le bénit.

Il vient, il s’approche : cela n’a l’air de rien, mais cela indique que sont écartés les peurs et les préjugés, les intérêts particuliers et les calculs.  Cette venue, cette advenue parle du Dieu Très-Haut, Très-Haut mais pas « Très-Loin ». Le Dieu Très-Haut n’est ni absent ni indifférent. Nous pensons aussi au Dieu de Jésus-Christ se liant à l’humanité de la crèche à la croix, pour la résurrection de tous.

Malki-Tsédeq offre du pain et du vin : nous ne savons pas ce que ce geste signifie pour lui. Pain et vin peut-être comme signes, comme offrande de paix et de justice. Pain et vin partagés, nous, nous pensons à la Cène, à l’Alliance nouvelle en Jésus-Christ, toujours vivifiée pour la vie des humains. Nous pouvons aussi lire dans cette offrande de pain et de vin une offre de convivialité et d’hospitalité, ce qui veut dire : nous habitons la même terre, le même monde. Et ce monde tient comme monde habitable seulement s’il est monde commun et partagé, seulement s’il est monde où chacun reconnaît et acquiesce à la présence de l’autre tel qu’il est, seulement s’il est bâti sur la justice et la paix.

Malki-Tsédeq bénit Abram : Il ne le regarde pas comme un inférieur, il ne le regarde pas comme un adversaire, il le regarde dans un élan de confiance, une onde de paix. Malki-Tsédeq bénit celui en qui tous les clans/familles/nations de la terre seront bénies par Dieu, le Dieu d’Abram, le Dieu Très-Haut. La bénédiction est le début d’une dynamique, d’une circulation, elle oriente la personne bénie vers les autres, jusqu’à l’universalité qui est la dimension de la promesse faite à Abram. Jésus-Christ s’est attaché à faire passer la bénédiction de Dieu à ceux qui s’en trouvaient pas dignes, à ceux qui étaient considérés comme indignes.

Alors Abram verse la dîme de son butin à Malki-Tsédeq, non comme une soumission, car Abram écoute (obéit à) Dieu seulement, mais comme une réponse, un engagement dans la communion, dans l’alliance offerte par Malki-Tsédeq, une réponse de gratitude à la bénédiction reçue.

En tout cela ce récit offre beaucoup d’espérance aux croyants : 

  • celle d’aller à la rencontre de l’autre et de se laisser approcher par l’autre, 
  • celle de donner à l’autre et de recevoir de lui, 
  • celle d’être béni par lui et de le bénir. 

Et que justice et paix soient la part de tous dans un monde de convivialité et d’hospitalité, où les uns et les autres vivent ensemble. 

Il arrive bien que dans nos cœurs, dans nos âmes, dans nos existences passent une soif de paix, une faim de justice, la joie d’être vivant avec d’autres même différents : une certaine idée du monde comme monde commun à partager avec d’autres.

Puissions-nous accueillir ces moments de grâce, afin qu’ils ne disparaissent pas dans les tumultes du monde, 

  • mais qu’ils permettent d’ajuster nos rencontres et nos dialogues dans l’esprit de la rencontre de Malki-Tsédeq et Abram, 
  • et qu’ils raffermissent la confiance en ce Dieu qui ne se laisse enfermer dans aucun nom et qui nous appelle à devenir des hommes et des femmes de bénédiction.

Amen