Prédication du 29 décembre 2019

Ananias et Saphira

de Didier You

Lectures : 2 Samuel 6, 1-11Actes 4, 32 à 5, 13Col 3, 12-17 (texte du jour)

Lectures

2 Samuel 6, 1-11
David décide d’amener le Coffre à Jérusalem

1 David rassembla encore toute l’élite d’Israël, au nombre de trente mille hommes ;
2 David, et tout le peuple qui était avec lui, partit de Baalé-Juda pour en faire monter le coffre de Dieu sur lequel est invoqué le Nom, le nom du SEIGNEUR (YHWH) des Armées, qui est assis sur les keroubim, au-dessus du Coffre.
3 Ils chargèrent le coffre de Dieu sur un chariot neuf et l’emportèrent de la maison d’Abinadab qui est sur la colline ; Ouzza et Ahio, fils d’Abinadab, conduisaient le chariot neuf.
4 Ils l’emportèrent donc de la maison d’Abinadab qui est sur la colline, avec le coffre de Dieu ; Ahio allait devant le Coffre.
5 David et toute la maison d’Israël jouaient devant le SEIGNEUR sur toutes sortes d’instruments en bois de cyprès, sur des lyres, des luths, des tambourins, des sistres et des cymbales.

6 Lorsqu’ils arrivèrent à l’aire de Nakôn, Ouzza étendit la main vers le coffre de Dieu et le saisit, parce que les bœufs avaient glissé.
7 Le SEIGNEUR se mit en colère contre Ouzza, et Dieu l’abattit là, à cause de cette insolence. Ouzza mourut là, près du coffre de Dieu.
8 David se fâcha parce que le SEIGNEUR avait ouvert une brèche en Ouzza ; c’est pourquoi on appelle ce lieu Pérets-Ouzza (« Brèche d’Ouzza »), jusqu’à ce jour.
9 En ce jour-là, David fut saisi par la crainte du SEIGNEUR ; il dit : Comment le coffre du SEIGNEUR pourrait-il entrer chez moi ?
10 Il ne voulut pas prendre le coffre du SEIGNEUR chez lui, dans la Ville de David, et il le fit conduire dans la maison d’Obed-Edom, le Gatite.
11 Le coffre du SEIGNEUR resta trois mois dans la maison d’Obed-Edom, le Gatite, et le SEIGNEUR bénit Obed-Edom et toute sa maison.

Actes 4, 32 à 5, 13
Les croyants partagent leurs biens

32 La multitude de ceux qui étaient devenus croyants était un seul cœur et une seule âme. Personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux.
33 Avec une grande puissance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grande grâce était sur eux tous.
34 Parmi eux, en effet, personne n’était dans le dénuement ; car tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu
35 et le déposaient aux pieds des apôtres ; et l’on distribuait à chacun selon ses besoins.

36 Ainsi Joseph, surnommé par les apôtres Barnabé (ce qui se traduit « Fils d’encouragement »), un lévite originaire de Chypre,
37 vendit une terre qu’il possédait, apporta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres.

Chapitre 5
Ananias et Saphira

1 Or un nommé Ananias, avec Saphira, sa femme, vendit aussi une propriété ;
2 avec le consentement de sa femme, il détourna une partie du prix, puis il apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres.
3 Pierre lui dit : Ananias, pourquoi le Satan a-t-il rempli ton cœur, que tu mentes à l’Esprit saint en détournant une partie du prix du champ ?
4 Lorsque celui-ci était encore à toi, ne pouvais-tu pas le garder ? Et même quand il a été vendu, son prix ne restait-il pas sous ton autorité ? Comment as-tu pu envisager pareille action ? Ce n’est pas à des humains que tu as menti, mais à Dieu !
5 Quand Ananias entendit cela, il tomba et expira. Une grande crainte saisit tous ceux qui l’apprirent.
6 Les jeunes gens se levèrent, l’enveloppèrent, l’emportèrent et l’ensevelirent.

7 Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé.
8 Pierre lui demanda : Dis-moi, est-ce bien à tel prix que vous avez vendu le champ ? Oui, répondit-elle, c’est bien à ce prix-là.
9 Alors Pierre lui dit : Comment avez-vous pu vous accorder pour provoquer l’Esprit du Seigneur ? Sache-le : ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte ; ils t’emporteront aussi !
10 A l’instant même, elle tomba à ses pieds et expira. Les jeunes gens, à leur entrée, la trouvèrent morte ; ils l’emportèrent et l’ensevelirent auprès de son mari.
11 Une grande crainte saisit toute l’Eglise et tous ceux qui apprirent cela.

De nombreux miracles

12 Beaucoup de signes et de prodiges se produisaient dans le peuple par les mains des apôtres. Ils se tenaient tous, d’un commun accord, au portique de Salomon.
13 Parmi les autres, personne n’osait se joindre à eux ; mais le peuple les magnifiait.

Colossiens 3, 12-17 (texte du jour)

12 Ainsi donc, vous qui êtes choisis par Dieu, saints et bien-aimés, revêtez-vous d’une tendresse magnanime, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience.
13 Supportez-vous les uns les autres et faites-vous grâce, si quelqu’un a à se plaindre d’un autre ; comme le Seigneur vous a fait grâce, vous aussi, faites de même.
14 Mais par-dessus tout, revêtez-vous de l’amour, qui est le lien parfait.
15 Que la paix du Christ, à laquelle vous avez été appelés en un seul corps, règne dans votre cœur. Soyez reconnaissants !

16 Que la parole du Christ habite en vous avec toute sa richesse ; instruisez-vous et avertissez- vous en toute sagesse, par des cantiques, des hymnes, des chants spirituels ; dans la grâce, chantez à Dieu de tout votre cœur.
17 Quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu, le Père.

Prédication

INTRODUCTION

La Bible, cela signifie « le Livre », mais en réalité, c’est une bibliothèque. Il y a des livres de toute sorte, de tous genres. Et dans ces livres des chapitres très divers. Il en est de simples, de compliqués, de choquants, et il y a aussi des passages fort problématiques. Ainsi de la triste histoire d’Ananias et Saphira. Dans le Nouveau Testament, recueil consacré au pardon, à la grâce, à l’amour, il y a donc ces versets qui nous racontent une punition terrible pour une faute qui nous paraît assez vénielle. On dirait presque un épisode du premier Testament. C’est pourquoi je vous ai lu l’épisode où ce pauvre Ouzza est frappé par la main de l’Eternel pour avoir osé toucher l’Arche d’alliance, même dans une bonne intention, puisqu’il s’agissait d’empêcher l’Arche de tomber, les boeufs qui tirent le chariot sacré ayant trébuché.

Il ne faut pas bien sûr opposer les deux Testaments, mais le fait est que l’idée d’un Dieu justicier impitoyable n’est guère en accord avec le Dieu de Jésus-Christ. Ce dernier a d’ailleurs pris garde de déclarer qu’il n’était pas venu abolir la loi de Moïse, mais l’accomplir.

Au passage, je vous rassure, si vous ne déposez pas lors de l’offrande tout à l’heure toute votre fortune, vous ne serez pas foudroyés instantanément par la colère divine…

Pour approcher ce texte curieux, je vous propose d’étudier, dans un ordre qui n’est pas chronologique, d’abord le châtiment qui a frappé le couple Ananias et Saphira, puis la faute qu’ils auraient commise. Enfin, nous verrons l’attitude de Pierre dans cette circonstance.

LE CHATIMENT

Ananias et son épouse Saphira sont donc morts subitement, comme jadis Ouzza. Pourtant, il y a une différence essentielle. Samuel dit clairement que « la colère de Yahvé s’est enflammée contre Ouzza » et que sa main l’a frappé. Rien de tel dans le cas que nous étudions. Ananias, puis Saphira successivement « tombent et expirent ». C’est tout ce que nous dit Luc quant aux causes de ces décès.

Sur un plan médico-légal, on peut trouver une explication qui « innocenterait » Dieu. Ananias est conscient d’avoir péché. Il se présente, on peut supposer un peu inquiet, mal à l’aise, devant tous les apôtres. Ce n’est pas rien. Et là, aussitôt, Pierre l’accuse d’avoir eu partie liée avec Satan. On peut imaginer un choc psychologique fatal.

Pour Saphira, c’est encore plus net. Elle n’est certes que complice, mais lorsqu’elle se présente devant les apôtres, trois heures après son époux, elle ignore ce qui s’est passé. Et Pierre de lui lancer sans ménagement : « Voici les pas de ceux qui ont enterré ton mari. Ils vont aussi t’emporter ». Choc bien compréhensible là encore.

C’est donc certes un châtiment directement lié à la faute commise, par une forme de remords, exacerbé par les propos virulents de Pierre, mais nullement la manifestation directe de la colère divine.

LA FAUTE

La faute, le péché, commis par le couple est défini de façon un peu alambiquée par Pierre. Les versets précédents mentionnent que les fidèles pratiquaient un communisme primitif, et qu’ainsi nul n’était dans le besoin. On songe évidemment au conseil de Jésus au jeune homme riche : « Vends tes biens, donne l’argent aux pauvres et suis-moi »

Ananias a, lui, conservé une part du prix de vente de son bien. Au contraire de Joseph dit Barnabé, le lévite de Chypre que Luc mentionne comme contre-exemple. C’est par là que Pierre débute son réquisitoire : « Tu as détourné une partie du prix de ton champ ». Puis l’apôtre développe et corrige l’accusation. En effet, Pierre rappelle qu’Ananias n’était pas obligé de vendre son champ. Et l’ayant vendu, n’était pas contraint d’apporter la totalité du prix de vente à l’église.

Marc (3/ 28-29) nous apprend que tous les péchés et blasphèmes seront pardonnés. Tous … sauf les « blasphèmes contre l’Esprit » qui constituent une faute éternelle. L’expression « blasphème contre l’Esprit » est assez mystérieuse. Le sort d’Ananias et Saphira peut nous éclairer. Pierre dit bien qu’il ne s’agit pas d’une banale affaire de détournement d’une somme qui serait due à l’église. La faute, c’est le mensonge à Dieu : C’est d’avoir dissimulé une somme pour se présenter comme plus généreux qu’Ananias ne l’est en réalité, par orgueil, par vanité.

Je me souviens avoir ici défini le péché originel comme le mensonge, et non comme la transgression de l’interdiction de consommer le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le « blasphème contre l’Esprit » dont parle Marc, le péché impardonnable, c’est donc bien le fait de mentir à Dieu. Le mensonge établit une distance, une barrière entre soi et l’interlocuteur. Ananias s’est ainsi séparé de Dieu en dressant l’obstacle entre lui et le Créateur. C’est le « blasphème contre l’Esprit ».

C’est donc cela le péché impardonnable.

PIERRE

On ne peut pas dire que le comportement de Pierre dans cet épisode soit rempli de charité chrétienne. Il ne demande même pas aux deux accusés de présenter un moyen de défense. Il les accuse violemment, et ses questions sont de pure rhétorique : « Pouquoi Satan a-t-il rempli ton coeur ? ». Pierre n’attend pas de réponses, ni d’excuses. A Saphira, il tend même un piège en lui demandant le véritable prix de vente du champ. Elle reste fidèle à son époux et soutient le mensonge … mal lui en prendra.

Le récit de Luc est parfaitement narratif. L’auteur ne dit pas ce qu’il pense de cet épisode. Il conclut seulement par « Une grande crainte s’empara de l’église entière et de ceux qui apprirent ces choses ». On en revient à la mort d’Ouzza : « David eut peur de Yahvé », nous dit Samuel.

On songe aussi aux versets suivants du livre des Actes : « les Apôtres se tenaient tous d’un commun accord sous le portique de Salomon (à l’entrée du Temple) et personne d’autre n’osait se joindre à eux ».

C’est la peur qui domine dans ces trois exemples. Peur que Pierre utilise pour punir Ananias et Saphira.

La crainte de Dieu est un thème fréquent dans la Bible. Les païens intéressés par le monothéisme étaient appelés les « craignant-Dieu »

Mais la crainte n’est-elle pas le contraire de la foi ? La foi, c’est étymologiquement la confiance en Dieu. Ce n’est pas la crainte. Rappelons-nous les paroles de Jésus, reprises par Paul : « La foi, ce n’est pas la conviction que Dieu existe. Cette conviction, les démons l’ont aussi, et ils tremblent ».

J’ai l’impression – mais c’est peut-être subjectif – que Luc ici veut nous faire partager son inquiétude face aux dérives de l’église primitive.

Je repense aux conseils que donne Mathieu (18/ 15-17) : Si ton frère vient à pécher … » et si « il refuse d’écouter même la communauté, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain ».

Tout cela a des allures de secte. Et Pierre a ici bien des caractéristiques d’un gourou dont on redoute la colère. D’ailleurs, si l’on s’en tient à la vieille plaisanterie, une religion c’est une secte qui a réussi. Et en effet, au moment où se situe l’anecdote d’Ananias et Saphira, le christianisme (le mot n’existe même pas encore) est une secte juive, et n’en est qu’à ses balbutiements. Les sept « diacres » n’ont pas encore été désignés, et le martyre d’Etienne n’a pas encore eu lieu. Et Paul n’est pas encore apparu dans le récit.

Le christianisme va se développer et devenir rapidement une véritable religion abandonnant ces aspects sectaires. Très rapidement même. Le diacre Philippe va baptiser l’eunuque éthiopien. Pierre lui-même, par la suite, évoluera dans sa foi, allant jusqu’à baptiser un centurion, Corneille (chap 10 des Actes). Et évidemment, ce sera le parcours de Paul « l’apôtre des païens ».

CONCLUSION

Je serais enclin à penser que si Luc nous rapporte cette triste histoire, c’est pour mettre en garde l’église contre un repli sectaire. Ces premiers fidèles, ces hommes de bien dont le peuple célèbre les louanges, sans trop s’en approcher, ne doivent pas s’enfermer, se replier sur une communauté, même en extension.

Ils doivent s’ouvrir au monde, aux autres, aux « prochains qu’il faut aimer comme soi-même ». Sûrs de leur foi, de leur justice, de leurs convictions, ils ne doivent pourtant pas oublier le message fondamental de Jésus et de l’Evangile.

Pierre, puis Paul, ainsi que les autres, dans les chapitres suivants du livre des Actes, vont s’ouvrir, aller porter l’Evangile aux extrémités de l’univers, et eux-mêmes en seront transformés. Lorsque Pierre baptise Corneille, c’est bien Pierre qui connaît une conversion, lorsqu’il comprend qu’aux « païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie ».

Au XVIème siècle, les Réformateurs ont su quitter l’église romaine enfermée dans ses dogmes. Et souvenons-nous de la belle devise « semper reformanda » : l’Eglise doit en tous temps se réformer, fermement assise sur ses convictions, sans en faire des dogmes.

Amen

Chants

Psaume 33, strophes 1 à 3
Cantique 266
Cantique 272