Prédication du 6 décembre 2020

Culte après la fête de Noël

de Dominique Hernandez

Parcours d’espérance

Jérémie 29, 11

Je connais, moi, les projets que je prépare à votre intention — déclaration du SEIGNEUR — non pas des projets de malheur, mais des projets de paix, afin de vous donner un avenir et une espérance. 

En lisant un tel texte, une annonce de la part de l’Éternel transmise par le prophète, nous pouvons nous demander comment le lire. C’est important, c’est même indispensable de se poser cette question qui n’est que l’écho de celle que Jésus pose à un légiste dans l’évangile selon Luc, un légiste qui l’interroge au sujet de la vie éternelle. Jésus lui dit : dans la Loi qu’est-il écrit, comment lis-tu ? Comment lis-tu, c’est toi et aujourd’hui, comment interprètes-tu ?
Décembre 2020 : ce n’est pas un mois comme les autres dans l’année, ce n’est pas une année comme les autres. Comment résonne dans le monde d’aujourd’hui une telle annonce ? Résonne-t-elle encore ?
Notre contexte est extrêmement différent de celui de Jérémie.
Le chapitre 29 du livre de Jérémie est constitué d’une lettre adressée par Jérémie aux exilés de la première déportation à Babylone. Nabuchodonosor, le roi assyrien vainqueur du roi de Juda, avait déporté une partie de la population : le roi, les princes, les fonctionnaires et des artisans. Tous ceux-là sont contraints de vivre dans un pays qui n’a pas la même langue, pas la même religion, pas les mêmes manières de vivre. C’est dans ces conditions très difficile qu’arrive le message de l’Éternel, par l’intermédiaire de Jérémie : je vais vous donner un avenir et une espérance.
Jérémie leur écrit quelques lignes plus haut : bâtissez des maisons, plantez des jardins, mariez-vous, donc installez-vous dans ce pays et vivez en paix et pour la paix de cette ville dans laquelle vous avez été déportés.

Dans la langue française, nous avons 2 mots très proches dans la famille du verbe espérer : espérance et espoir. Toutes les langues n’ont pas ces deux mots. Quelle est la différence, la nuance entre espoir et espérance ? Disons que le mot espoir sert pour les choses concrètes : une arrivée, un changement, une réussite, une guérison même. L’espérance s’emploie pour parler de la vie en profondeur, du sens de la vie.
C’est pourquoi l’espérance, c’est un des mots associés à la foi, à Dieu, ainsi que l’apôtre Paul l’écrit dans la première lettre aux Corinthiens : Or maintenant trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; mais c’est l’amour qui est le plus grand.

Comment fait-on pour espérer quand tout va mal ? Quand on n’a plus de maison, quand on a faim et froid ? Quelle est la source d’espérance quand il semble qu’il n’y ait pas d’avenir discernable, quand le brouillard envahit l’horizon ?
Est-ce qu’il y a une recette, une méthode ?
Les paroles du prophète incitent à ne pas baisser les bras, à ne pas se contenter de dire : « Dieu décide, il fera ce qu’il voudra ». Construire des maisons, planter des jardins, faire place à des enfants : le peuple en exil, malgré sa situation éprouvante, est exhorté à mettre en œuvre une manière de continuer à s’engager en faveur de la vie, de la continuation de la vie. Choisis la vie ! L’exhortation du livre du Deutéronome retentit à travers les paroles de Jérémie. Car il s’agit de discerner dans une situation même difficile quelles décisions, quels choix se situent du côté de la vie. Et le secours, la lumière, l’Esprit de Dieu permettent ce discernement. Car d’une part, rien n’est écrit d’avance, et d’autre part, contrairement à ce que dit l’adage : « aide-toi, le ciel t’aidera », le secours, la lumière, l’Esprit ne dépendent pas des efforts accomplis.
Mais c’est en les demandant, en s’y exposant par la prière, par la méditation des Écritures, par le partage que le chemin s’éclairera. Il se peut que ce soit un chemin étroit.
L’Éternel est Dieu de grâce et Dieu créateur qui ouvre des possibles là où nous croyons qu’il n’y en a plus.
Le message de Jérémie exhorte à considérer que même dans une situation difficile, même quand on ne voit pas comment les choses pourraient s’arranger, la vie est devant. Pas en arrière, pas dans les regrets, pas dans le passé.

L’espérance s’appuie sur la promesse de Dieu d’être toujours Dieu avec, Dieu avec nous et cela se dit Emmanuel. Dieu n’empêche pas le malheur, mais dans la confiance en son amour, il est possible de continuer à agir, pour la vie, pour les personnes, agir en solidarité, en paix. L’avenir promis est déjà en germe entre nos mains.
L’espérance, quand ça va mal, ce n’est pas espérer que tout s’arrange et si possible très vite. L’espérance c’est croire qu’en Dieu se trouvent le secours, la lumière, l’Esprit par lesquels nous pouvons nous laisser encore conduire par l’amour, par la justice, par la compassion, par le souci de la vie.

Jonas 3, 10 / 4, 1-11

10 Dieu vit qu’ils agissaient ainsi et qu’ils revenaient de leur voie mauvaise. Alors Dieu renonça au mal qu’il avait parlé de leur faire ; il ne le fit pas.

1 Cela fut très mal pris par Jonas, qui se fâcha.
2 Il pria le SEIGNEUR en disant : S’il te plaît, SEIGNEUR, n’est-ce pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? C’est pourquoi j’ai préféré fuir à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu clément et compatissant, patient et grand par la fidélité, qui renonces au mal.
3 Maintenant, SEIGNEUR, prends-moi la vie, je t’en prie, car mieux vaut pour moi mourir que vivre.
4 Le SEIGNEUR répondit : Fais-tu bien de te fâcher ?
5 Jonas sortit de la ville et s’assit à l’est de la ville. Là il se fit une hutte et s’assit dessous, à l’ombre, afin de voir ce qui arriverait dans la ville.
6 Le SEIGNEUR Dieu fit intervenir un ricin, qui s’éleva au-dessus de Jonas, pour donner de l’ombre sur sa tête et le délivrer de son mal. Jonas éprouva une grande joie à cause de ce ricin.
7 Mais le lendemain, quand parut l’aurore, Dieu fit intervenir un ver qui s’attaqua au ricin, et le ricin se dessécha.
8 Au lever du soleil, Dieu fit intervenir un vent d’est étouffant, et le soleil frappa la tête de Jonas : il tomba en défaillance. Il demanda à mourir, en disant : Mieux vaut pour moi mourir que vivre.
9 Dieu dit à Jonas : Fais-tu bien de te fâcher à cause du ricin ? Il répondit : Je fais bien de me fâcher au point de demander la mort.
10 Le SEIGNEUR dit : Toi, tu as pitié du ricin qui ne t’a coûté aucune peine et que tu n’as pas fait grandir, qui est né en une nuit et qui a disparu en une nuit.
11 Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille humains qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes en grand nombre !

Ce Dieu qui a le souci de la vie des vivants, qui envoie un message d’espérance, est, dit Jonas, un Dieu clément et compatissant, patient et grand par la fidélité, qui renonce au mal.
Mais quand Jonas dit cela, ce n’est pas avec joie et reconnaissance, c’est avec colère et rancœur parce que Dieu n’a pas détruit Ninive.
Dieu avait donné une chance aux Ninivites, qui l’ont saisie, alors Dieu n’a pas détruit Ninive.
Jonas enrage. Lui voulait que Ninive soit détruite : pas de pitié !
A quoi cela sert-il d’aller annoncer la catastrophe si elle ne se produit pas comme annoncée ?
Est-il raisonnable de donner une deuxième chance à l’ennemi ?

Ce tout petit livre raconte que Jonas espérait que Dieu ne changerait pas d’avis, et que Dieu espérait pouvoir changer d’avis.
Laquelle de ces deux espérances se souciait de la vie des vivants ?

Jonas est furieux parce que Dieu a choisi la vie des habitants de Ninive.
Jonas est tellement amer que tout alimente son amertume, même ce ridicule épisode de l’arbuste qui pousse et qui meurt.
Pourtant l’Éternel demande par deux fois à Jonas : Fais-tu bien de te fâcher ?
Il faut un peu de temps pour bien réfléchir à ce genre de question, qui est une question qui met en crise, une question pour évaluer et discerner, pour rentrer en soi et pour prendre du recul sur ce qui se joue dans la colère, pour comprendre quelle part de soi est en colère, pleine de rancœur …

Ce que raconte le livre de Jonas, c’est l’obstination de Dieu à choisir la vie et à appeler les humains à faire le même choix. C’est l’espérance de Dieu que les humains fassent le choix de la vie, qui n’est pas que vie biologique, mais vie psychique, vie spirituelle, vie relationnelle…
C’est ce que raconte aussi les évangiles à travers les paroles et les actes de Jésus, qui parle, écoute, s’approche, guérit, interroge, met en question…
Ce n’est pas toujours évident de choisir la vie, car souvent, il est difficile de se rendre compte à quel point elle est méprisée ou menacée.
Ce n’est pas toujours évident de croire vraiment que Dieu choisit la vie. Souvent les humains préfère les règles, les traditions, l’ordre, la loi. Le choix de la vie engage souvent à mettre en question l’image de Dieu, celle reçue ou dessinée quand le choix ne se posait pas en terme aigus ou urgent. Mettre en question l’image de Dieu est une opération délicate, parce que l’image de soi est bien souvent dépendante de l’image de Dieu, et qu’à un moment, il s’agit

de lâcher l’image en continuant à croire, car l’image n’est pas Dieu,
en continuant à croire que Dieu ne nous lâche pas.

Le choix de la vie ne laisse pas indemne mais vivant.
Au grand dépit de Jonas, à la rétribution et à la vengeance, Dieu préfère la grâce, l’amour, le pardon, la bonté. Car c’est là que la vie pousse et fleurit le mieux. C’est là que les vivants le sont plus, vivants, c’est là que les vivants peuvent le demeurer même dans des situations difficiles ou dangereuses, avec la grâce, la bonté, l’amour, le pardon. Vivants d’amour oui, c’est comme cela que Dieu veut la vie pour nous ; c’est comme cela que Jésus a vécu, c’est pour cela que nous nous réunissons pour le culte, et pour Noël dans quelques jours.
Pour faire pousser notre vie sur l’amour, pour faire pousser l’amour dans nos vies.

Esaïe, 12-13

12 Oui, vous sortirez dans la joie et vous serez conduits dans la paix ; les montagnes et les collines éclateront en cris de joie devant vous, et tous les arbres des champs battront des mains.
13 Au lieu des buissons poussera le cyprès, au lieu de l’ortie poussera le myrte ; ce sera pour le SEIGNEUR un nom, un signe perpétuel, qui ne sera pas retranché.

Ces deux versets d’Ésaïe terminent un chapitre où ont été chantés la bonté, la gratuité, le pardon, la volonté bonne de Dieu pour les humains. Un chapitre qui compare la Parole de Dieu à la pluie qui tombe du ciel pour arroser la terre et faire germer le grain, et qui retourne à Dieu dans une vaste dynamique vivifiante. C’est dans ce chant, cette dynamique qu’Ésaïe invite à entrer, pour bénéficier et prendre part à l’épanouissement de la vie des humains.
Sans contrainte, sans rétribution, un appel insistant parce qu’il revient, non seulement en relisant le chapitre 55 d’Ésaïe, mais en lisant les évangiles, en contemplant la nature, en regardant autour de soi de ce point de vue d’amour, de don, de gratuité.
Un appel insistant parce qu’il est adossé à l’assurance que Dieu, par sa Parole, travaille en nous.

Dieu agit en nous, alors Ésaïe proclame : vous sortirez ! Mais ce n’est pas seulement au futur, c’est déjà commencé, l’hébreu peut exprimer par une seule forme, l’inaccompli, que quelque chose a commencé et que ce n’est pas achevé.
Nous sortons déjà d’une vie recroquevillée par la peur, la colère, la méfiance vers une vie poussée par la paix, la joie, l’amour ; une vie qui a envie d’être vivante et libre.
Nous sortons déjà d’une existence étriquée vers une existence élargie et approfondie dans l’amour, dans la paix, dans la joie, tout ce que Dieu sème en nous et qui germe, et qui pousse…

Esaïe aussi chante l’espérance !
L’espérance pour les petites graines semées au quotidien, dans le champ du monde, les graines de bonté, de réconciliation, de pardon… Tout ce qui est semé de bon et qui change le monde, même un tout petit peu, même plus tard. Parfois nous nous demandons si cela pousse bien, si nos efforts ne sont pas vains, s’il peut y avoir quelque chose de nouveau sous le soleil. Nous nous demandons : à quoi bon ?
Il est vrai que notre dimension, c’est le petit plutôt que le grand, c’est l’humble plutôt que le triomphant, le peu, voire le manque plutôt que la satisfaction du plein. Mais ce qui mobilise, ce n’est pas l’objectif de la réussite, c’est l’appel qui attend notre réponse. Ce qui mobilise, c’est une espérance déposée sur nous.

Dans cette espérance, Esaïe fait chanter la nature, les collines, les arbres, c’est fou mais oui, c’est fou, c’est toujours folie quand l’amour est semé parmi les humains.
C’est folie parce que ce n’est pas pour du rendement, ce n’est pas pour faire du profit.
C’est folie parce que c’est sans étude de terrain, sans tri, sans sanction.

Les montagnes peuvent bien crier de joie, et les arbres battre des mains, quand, au lieu de s’emmêler comme des buissons, les humains sont comme des cyprès dressés vers le ciel et toujours verts, debout et remplis d’énergie et d’espérance.
Les montagnes peuvent bien crier de joie, et les arbres battre des mains, quand l’odorante myrte remplace la piquante ortie, quand le parfum de la bonté remplace les démangeaisons de la peur et de la méfiance.

Jésus de Nazareth, énergie d’amour, puissance du don, salut de grâce, Jésus qui a vécu ainsi a montré que nous pouvons aussi vivre et vivre vraiment.

Amen