Prédication du 8 janvier 2023

de Dominique Hernandez

Aux jours d’Hérode et de Joseph

Lecture biblique

Matthieu 2, 12-23

13 Après leur départ, l’ange du Seigneur apparut en rêve à Joseph et dit : Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à nouvel ordre ; car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire disparaître. 
14 Joseph se leva, prit de nuit l’enfant et sa mère, se retira en Egypte 
15 et y resta jusqu’à la mort d’Hérode. Cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l’entremise du prophète : D’Egypte j’ai appelé mon fils.

16 Quand Hérode se vit joué par les mages, sa fureur fut extrême ; il fit supprimer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans son territoire, d’après l’époque qu’il s’était fait préciser par les mages. 
17 Alors s’accomplit ce qui avait été dit par l’entremise du prophète Jérémie :

18 Une voix s’est fait entendre à Rama, des pleurs et beaucoup de lamentations : c’est Rachel qui pleure ses enfants ; elle n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus.

19 Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparut en rêve à Joseph, en Egypte, 
20 et dit : Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et retourne dans le pays d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant sont morts. 
21 Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère et rentra au pays d’Israël.

22 Mais quand il apprit qu’Archélaos était devenu roi de Judée à la place d’Hérode, son père, il eut peur de s’y rendre ; divinement averti en rêve, il se retira en Galilée 
23 et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplisse ce qui avait été dit par l’entremise des prophètes : Il sera appelé nazoréen.

Prédication

C’est un récit qui paraît effrayant, un de ceux qui font que bien des personnes se lançant seules dans la lecture de la Bible referment rapidement le livre en disant que tant de violence est insupportable. Commencer à lire le Nouveau Testament, par le début donc avec l’évangile selon Matthieu, en quête d’une bonne nouvelle, et au chapitre 2, se trouver confronter au récit du massacre des petits enfants, c’est une expérience qui a rebuté plus d’un.
Comment Dieu peut-il laisser faire une telle horreur ? Envoyer un ange pour sauver l’enfant de Marie et rien pour tous les autres petits enfants de Bethléem et des environs ? En mettre un à l’abri et abandonner les autres ?
Comme s’il n’y avait pas assez de récits et d’images de massacres d’aujourd’hui de par le monde, sur tous les continents, hommes femmes et enfants livrés à la violence, qui n’aspiraient qu’à vivre chacun chez soi, avec les siens, et qui sont tués au nom d’intérêts particuliers de pouvoir, de cupidité, de religion, d’idéologies de haine et d’exclusion…

Alors bien sûr, Matthieu indique de cette manière que la venue au monde de Jésus le Christ dérange bien des puissants de ce monde. L’évangéliste annonce ainsi la mort de Jésus qui n’échappera pas à la vindicte des religieux, des politiques, de ceux que ses actes et paroles met trop précisément en question les assurances et les prétentions.
L’Emmanuel, le prince de la paix, Jésus n’est pas né dans un monde merveilleux.
Mais aucun enfant ne naît dans un monde merveilleux. Et justement, ces quelques versets de l’évangile tracent une représentation du monde qui nous donne par sa justesse et sa nuance à réfléchir, à penser, à méditer, à prier.
Dans notre temps, il y a encore des rois Hérode qui ne reculent devant rien pour maintenir leur pouvoir. Nous sommes aujourd’hui au temps du roi Hérode, et c’est en ce même temps que le Christ vient au monde.

Au début du chapitre, avertis par les mages de la naissance du roi des Juifs et par les scribes et les grands-prêtres que cette naissance avait eu lieu à Bethléem, Hérode tente de manipuler les mages pour être informé du lieu précis où se trouve l’enfant. Mais les mages font échouer la manœuvre en retournant dans leur pays par un autre chemin, sans repasser par le palais du roi. C’était le récit de la fête de Noël avec les enfants.
Alors ce n’est plus la ruse qu’emploie Hérode, c’est la force brute, brutale, cruelle, impitoyable : il fait tuer les enfants, c’est le massacre des innocents dont les nombreuses représentations picturales rendent compte de manière saisissante de l’horreur, de l’effroi que le récit a inspiré et inspire encore.
Matthieu prête à Hérode les traits de Pharaon, figure de l’oppression égyptienne sur les hébreux, Pharaon qui ordonne que les garçons des hébreux soient tués à la naissance par crainte que ce peuple devienne trop nombreux et menace la structure de son régime : les hébreux sont esclaves et les égyptiens les dominent. Un tel modèle ne cesse d’être reproduit à travers le temps et l’espace jusqu’à aujourd’hui. Ce récit de Matthieu est absolument historique. Non pas dans le sens où un tel massacre aurait été perpétré lors de la naissance de Jésus : aucun historien de l’époque n’en fait mention et en même temps Hérode en aurait été tout à fait capable, mais ce récit est historique parce que ce qui est décrit dans ces quelques lignes est inscrit et répété au fil de l’histoire et jusque dans l’actualité.
Et cela aussi bien dans la démesure de la violence générée par le pouvoir et la peur de le perdre que dans l’espérance représentée par la figure de Joseph, Joseph le juste puisque c’est cette qualité que Matthieu lui attribue dès qu’il le met en scène.
Dans le livre de l’Exode, deux sages-femmes égyptiennes s’opposent aux ordres iniques de Pharaon, puis c’est la mère de Moïse qui veut sauver son enfant en le confiant au fleuve dans une boite, une arche.
Joseph, visité en songe par un ange, fuit avec l’enfant et sa mère jusqu’en Égypte devenue ainsi terre de salut car il n’est pas de pays qui soit condamné, définitivement maudit pour le mal qui y a été commis, et qui ne puisse devenir lieu de refuge. L’ancien pays du massacre des enfant devient le pays d’asile pour l’enfant menacé. L’ancien pays de la violence cruelle devient le pays où l’enfant peut grandir.

Il en est bien ainsi encore aujourd’hui, l’évangile de Matthieu nous invite à y être attentifs : la violence déborde, fait des ravages mais tous n’y cèdent pas, il est des hommes et des femmes qui disent non à la destruction, non au mal, et oui à la vie, et qui agissent en conséquence. Joseph le juste, devant ce chaos tout proche de s’abattre sur Bethléem, fuit ; il part pour protéger l’enfant. Dans cette circonstance, il n’y a pas d’autre issue.
Ce n’est pas que Dieu s’absente quand le mal et le malheur surviennent. Ce n’est pas qu’il en soit la cause.
C’est que tout passe par nous, de l’acte le plus atroce à l’inspiration la plus féconde. Il n’y a que l’humain qui puisse devenir inhumain ou devenir véritablement humain. Et Dieu n’intervient pas autrement qu’en suscitant en l’humain l’appétit, le désir de vie, de justice, de paix, d’amour. Rien de plus fragile qu’une inspiration facilement négligée ou étouffée. Tous les Hérode de la terre enfouissent ou étouffent en eux ce qui fait résonner l’appel de la vie pour autrui. Ils n’en ont pas été privés, chaque personne est reliée à la source de la vie, en ce lieu de l’être qu’on peut appeler l’âme. Le témoignage de l’évangile de Matthieu et des trois autres évangiles, c’est que Dieu se lie à chacun en offrant la vie vivante. Cependant Hérode et ses semblables se relient et se livrent principalement à une autre puissance que celle de la vie vivante, la vie donnée, une autre puissance comme celle de la convoitise qui est aussi celle de la violence. Hérode et ses semblables sont envahis par les ténèbres, jusqu’à en perdre la raison, jusqu’à en perdre la mesure de ce qu’est l’humain et l’humanité. Dans le récit de Matthieu, cette mesure est celle des enfants de moins de deux ans, impuissants, dépendants, fragiles, et c’est aussi celle de Joseph fuyant, avec l’enfant et sa mère, la mort qui va s’abattre.
Fuir pour trouver ailleurs un refuge, il y a là de quoi faire vibrer la fibre huguenote, une mémoire des persécutions religieuses, mémoire qui devient vive en compassion et en solidarité envers les exilés d’autres temps qui cherchent un asile pour vivre, seulement vivre, et qui ont besoin de souffle pour fuir et d’espérance pour avancer. Car la compassion et la solidarité sont des formes de l’espérance. Les exilés, fragiles, précaires dans le monde, sont eux aussi la mesure de l’humanité face à la démesure des Hérodes contemporains. L’évangile de Matthieu nous rend attentifs et sensibles à leurs histoires d’humains, histoires toujours terribles et pourtant soutenues de traces, de lueurs de confiance, de bonté, d’encouragements. Ces histoires d’humains en fuite, en exil travaillent nos cœurs et nos esprits, nos consciences et nos intelligences, nos manières de vivre, nos choix de vie.

Joseph l’homme juste est à l’écoute de l’inspiration intérieure pour la vie. Elle est signifiée par le motif de la visite de l’ange dans un songe. Joseph est à l’écoute, il se tient attentif en son âme et conscience, en relation avec la divine inspiration, la divine source intérieure par laquelle la vie devient possible, la justice devient possible, la paix devient possible, la joie devient possible.
Joseph a déjà entendu l’ange lui dire dans un précédent songe : n’aies pas peur de prendre chez toi Marie. N’aies pas peur. Cela ne veut pas dire qu’il est interdit d’avoir peur ; nous ne pouvons pas empêcher la peur de survenir, de surgir. Mais nous pouvons ne pas nous laisser asservir par elle. Joseph, qui a déjà accepté de devenir le père de l’enfant de Marie, comprend quel sens il doit suivre devant la menace d’Hérode : partir pour sauver l’enfant. C’est l’espérance que de trouver un sens dans une situation terrible, non pas tant attendre que le mal et le malheur cessent que se tenir relié à la voix intérieure qui communique avec la source divine : qu’est-ce qu’être humain dans cette situation ? Joseph sauve la vie de l’enfant.
Malgré le déchaînement de mort que le roi Hérode fait s’abattre sur Bethléem et ses environs. Comme ces déchaînements de violence et de mort qui s’abattent encore et encore et qui font que des pleurs et des lamentations se font entendre à Rama -et dans tant de lieux-, c’est Rachel -et tant de mères et de pères- qui pleure ses enfants.
La citation du prophète Jérémie fait référence à la tradition des Écritures hébraïques selon laquelle Rachel fut ensevelie par son époux Jacob non dans le tombeau familial à Hébron, ni à Bethléem, mais sur le bord de la route. Et Rachel, considérée comme la mère des hébreux, se releva de sa tombe pour pleurer lorsque les exilés emmenés loin de chez eux passèrent sur la route, après que Jérusalem eut été détruite au prix de nombreux morts.
Matthieu n’a pas cité la suite des paroles de Jérémie 31,16 : Cesse de sangloter, cesse tes larmes, car il y aura une récompense pour tes actions – déclaration de l’Éternel : ils reviendront du pays de l’ennemi. Il y a de l’espoir pour ton avenir -déclaration de l’Éternel, tes fils reviendront dans leur territoire. Parole d’espérance. Matthieu n’a pas cité ce verset, mais il a mis en scène Joseph, le juste, figure d’espérance pour l’avenir.
Joseph a accueilli dans son existence la dynamique de vie qu’est le Christ, encore tout-petit enfant, mais cela suffit pour changer le cours des choses, le futur en avenir, le comportement d’une personne qui pourra se détourner de la violence et de la convoitise pour choisir la bonté et la vie.
La bonté et la vie sont des enfants, comme des enfants que nous pouvons aider à grandir, sur lesquelles nous pouvons veiller, que nous pouvons protéger.
Et cela suffit pour empêcher Hérode de réussir son projet de tuer l’enfant de Marie.
De même qu’à l’autre bout de l’évangile, la mort sur la croix échoue à anéantir le Christ.

Nous sommes au jour du roi Hérode, un autre, d’autres rois Hérode, et le Christ est vivant.
Il n’y a pas que des Hérode prêts aux plus terribles exactions pour maintenir leur pouvoir.
Il y a des Joseph, des justes qui prennent soin de la bonté et de la vie, de l’espérance.
Il n’y a pas que les ténèbres, il y a des lumières, des lueurs, lumignons, braises, autant de porteurs de Christ attentifs à le laisser grandir en eux, pour autrui.
Et surtout, il y a les deux en nous, un peu de Hérode auquel nous pouvons dire non et un peu de Christ à qui nous pouvons dire oui.
Et cette part de Christ, inspiration, aspiration à la bonté et à la justice, qui nous relie les uns aux autres et à tous en humanité est espérance du monde.