Prédication du 10 décembre 2023

de Dominique Hernandez

Commencement, continuer

LecturesÉsaïe 40, 1-8 et Marc 1, 1-8 (texte du jour)

Lectures bibliques

Ésaïe 40, 1-8

1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur de Jérusalem, criez-lui que son combat est terminé, qu’elle s’est acquittée de sa faute, qu’elle a déjà reçu du Seigneur le double de ce qu’elle méritait pour tous ses péchés.
3 Quelqu’un crie : Dans le désert, frayez le chemin du Seigneur ! Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride !
4 Que toute vallée soit élevée, que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Que les reliefs se changent en terrain plat et les escarpements en vallons !
5 Alors la gloire du Seigneur se dévoilera, et tous la verront ensemble— c’est la bouche du Seigneur qui parle.
6 Quelqu’un dit : Crie ! On répond : Que crierai-je ? — Toute chair est de l’herbe, tout son éclat est comme la fleur des champs.
7 L’herbe se dessèche, la fleur se fane quand le souffle du Seigneur passe dessus.Vraiment, le peuple est de l’herbe :
8 l’herbe se dessèche, la fleur se fane ; mais la parole de notre Dieu subsistera toujours.

Marc 1, 1-8

1 Commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu.

2 Selon ce qui est écrit dans le Prophète Esaïe : J’envoie devant toi mon messager pour frayer ton chemin ;

3 c’est celui qui crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers »,

4 survint Jean, celui qui baptisait dans le désert et proclamait un baptême de changement radical, pour le pardon des péchés. 
5 Toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui et recevaient de lui le baptême, dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés. 
6 Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de criquets et de miel sauvage.

7 Il proclamait : Il vient derrière moi, celui qui est plus puissant que moi, et ce serait encore trop d’honneur pour moi que de me baisser pour délier la lanière de ses sandales. 
8 Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit saint.

Prédication

Mais qu’est-ce que le commencement ?
Marc ouvre son évangile, son récit, par un grand coup de cymbale : commencement ! Immédiatement, une autre page biblique s’ouvre, celle de Genèse 1 : au commencement. Tous les lecteurs pour lesquels Marc écrit, les lecteurs de son époque, faisaient le lien avec le livre de la Genèse. Commencement est un de ces mots particulièrement brillants qui relient le texte lu à d’autres textes connus. L’évangéliste Jean l’emploiera également quelques dizaines d’années après Marc avec un au commencement qui comme celui de Marc, comme celui de la Genèse proclame haut et fort qu’il est question de création, d’une œuvre divine, du don de sens dans lequel s’organise à nouveau une existence et le monde dans lequel se tient cette existence, et les relations qu’elle entretient et dans lesquelles, par lesquelles cette existence advient et devient.

Commencement, c’est aussi celui de l’évangile de Marc, le début du récit. On pourrait se dire qu’après le premier verset, ou après les premiers versets, ça y est, le commencement est terminé, le lecteur est entré dans le texte et avance vers le milieu et puis vers la fin du récit. Cependant, Marc ne se contente pas de cela, son commencement d’évangile comme récit est aussi commencement de l’Évangile comme bonne nouvelle de Jésus-Christ. Encore une autre dimension de sens, ce qui commence est une bonne nouvelle ; alors quand est-ce qu’une bonne nouvelle cesse de commencer ? Lorsqu’elle est entièrement dite ? Alors il faut aller jusqu’au chapitre 16 de l’évangile de Marc, parce que l’évangile de Marc prend tout ce temps pour expliciter, déployer, épanouir la bonne nouvelle de Jésus Christ en ses actes, ses paroles, sa mort et sa résurrection. Et que se passe-t-il après ce commencement qui est tout le texte de l’évangile ? Cela, c’est le lecteur de l’évangile de Marc qui peut en parler, en témoigner…
Ou alors la bonne nouvelle cesse de commencer lorsqu’elle est entièrement lue, ce qui nous envoie dans la lecture jusqu’à l’autre bout du récit qui en réalité, ne se termine pas. Marc, dans ses derniers mots, les siens, pas ceux qui ont été ajoutés ultérieurement, Marc envoie le lecteur en Galilée, c’est-à-dire au début du récit pour une reprise de lecture, une lecture à nouveau, et de nouveau : Commencement ! Mais ce n’est plus le même commencement puisque le lecteur a déjà lu une fois, il a déjà fait du chemin, alors la lecture n’est donc pas relecture, mais nouvelle lecture, nouveau commencement, commencement à nouveau. Ce chemin de lecture est aussi chemin d’interprétation, de questionnement et de compréhension avec un effet sur nous qui lisons, un approfondissement, un élargissement de sens et de l’existence, une transformation de l’être, de la manière de penser et de la manière d’être vivant.
Cette nouvelle qui est bonne est toujours une bonne nouvelle, celle de Jésus le Christ qui révèle quel est le Dieu dont il est le Christ et qui révèle ce que c’est que de vivre selon la bonté de Dieu, et cela commence toujours, cela inaugure toujours un commencement pour autant que nous ne cessons d’en recevoir de ce qui nous fait vivre / et que ce qui est révélé est toujours à contre-sens des logiques du monde dans lequel nous vivons.
Presque 2000 ans après l’écriture de son évangile, Marc donne encore de comprendre que nous sommes dans le temps du commencement, temps de création, temps de révélation, temps de l’Évangile. Nous ne vivons plus dans le temps de la conservation ou dans le temps des répétitions. Le temps de la Bonne Nouvelle est le temps d’un commencement dont notre existence témoigne qu’il est possible et qu’il est offert à tous. Ainsi nous continuons ce commencement, ainsi nous continuons l’Évangile, en nous et par nous.

Un commencement, c’est un élan, une dynamique, un mouvement, un décalage, une ouverture, un changement et même un changement radical c’est-à-dire une conversion ainsi que Jean le proclame et Jésus également, quelques versets plus loin, annonçant la bonne nouvelle : convertissez-vous.
C’est dire que l’on ne part pas de nulle part et l’évangile Marc lui-même qui fait résonner si fortement le commencement l’inscrit aussitôt dans une précédence selon ce qui est écrit dans le prophète Esaïe. Pas seulement Esaïe car il s’agit d’une compilation d’une citation du livre de l’Exode (Ex 20,23) et d’une autre du prophète Malachie (Ml 3,1) un peu modifiée avec une du prophète Esaïe (Es 40,3-4).
Le commencement est précédé d’une libération avec le livre de l’Exode, de consolation avec le prophète Esaïe et de la venue d’un messager de l’Alliance avec le prophète Malachie. Il en est précédé comme il en est, en Jésus-Christ, un nouvel élan.
Libération, consolation, Alliance, le commencement en est la reprise, une prise à nouveau ou plutôt un don à nouveau et d’abord avec Jean, celui qui baptise dans le désert et qui proclame la conversion et le pardon des péchés.
C’est déjà une bonne, une heureuse perspective de changer radicalement parce que Jean affirme que les péchés sont pardonnés. C’est dire qu’ils sont mis de côté, écartés, laissés tomber, pardonnés, comme on remet des dettes et qu’elles ne seront plus comptées ni même évoquées.
Être pardonné, c’est être libéré du poids de la honte et de la peur, et de la logique des comptes qui est celle de la menace permanente et celle du pouvoir qui oppresse, et du système de rétribution que les humains traduisent inévitablement en vengeance.
Être pardonné, c’est être consolé des répétitions qui enferment, du chagrin de la culpabilité, de l’horizon de la fatalité, de l’appréhension d’être puni, du ressassement qui envahit l’esprit à coup de « je ne veux rien devoir à personne » ou de « tu me dois ceci ou cela ».
Être pardonné, c’est être rétabli dans une alliance, et faire alliance à son tour car la libération et la consolation conduisent

à refuser d’asservir quiconque sous le joug des calculs, de l’intérêt, de la rancune
et à faire œuvre à son tour de libération et de consolation.

Le baptême de Jean représente le chemin frayé, la purification de ce qui empêche de vivre, de ce qui tue l’humain, et c’est pourquoi il n’est pas une démarche collective, même si une foule vient au Jourdain, mais une démarche individuelle déjà signalée par la citation précédente : j’envoie devant toi mon messager pour frayer ton chemin, le chemin de chacun, chacune qui entendra qu’il est possible de vivre autrement, de vivre pardonné plutôt que menacé et condamné. Le changement radical c’est-à-dire la conversion exprime une reprise à nouveau de son existence par chacun, chacune selon un nouveau mode, le don plutôt que la dette, le pardon plutôt que le châtiment.
L’adresse est au singulier, le pardon est singulier et c’est pour vivre au pluriel, ensemble.

Les foules viennent auprès de Jean, et même plus que des foules : tous les habitants de la Judée et de Jérusalem écrit Marc. La prédication de Jean est entendue et reçue et nous pouvons comprendre à travers cette totalité des habitants de Judée et de Jérusalem qu’elle rencontre l’aspiration à vivre que tout être humain porte en lui, en elle, une aspiration à vivre aussi singulière que partagée. En ce sens, il ne s’agit pas de s’en remettre à qui que ce soit, un homme fort par exemple. Il y en a plein à Jérusalem, du côté de l’occupant romain, du côté des religieux du Temple, du côté du palais d’Hérode. Ce n’est pas un homme ou une femme exerçant un pouvoir qui peut répondre à l’aspiration à vivre, mais un engagement personnel, une démarche que l’on ne peut ni faire pour un autre et l’obliger, ni confier à un autre et laisser faire. L’aspiration à vivre engage une réponse singulière, une responsabilité personnelle, de même qu’elle ne peut jamais s’exprimer au détriment d’autrui parce que ce qui la prend véritablement en charge a pour noms libération, consolation, alliance, pardon. Cela est bonne nouvelle pour tous et toutes, de siècle en siècle.
D’ailleurs Jean n’a rien d’un homme fort, vêtu de poils de chameau avec une ceinture de cuir, se nourrissant de criquets et de miel sauvage, une manière de contester absolument les logiques de pouvoir, les logiques politiques, sociales et religieuses de son temps. Il rend visible la conversion à laquelle il appelle. Dans un autre évangile, celui de Jean, Jésus-Christ indique à ses disciples la manière de rendre visible la vie nouvelle dans laquelle ils sont entrés par lui : c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples. Cet amour qui est reconnaissance inconditionnelle et élévation de l’autre est toujours contestation visible des logiques de notre temps.
Mais surtout, Jean, celui qui baptise dans le Jourdain, Jean annonce la venue d’un autre que lui-même. Il ne retient rien ni personne pour lui-même mais il s’efface devant celui qu’il précède. Si sa proclamation est entendue, Jean lui-même ne pèse sur personne. Il se fait léger, il ne fait pas porter à autrui le poids de ces certitudes, de ses doutes, de ses croyances, de sa foi. Cette légèreté volontaire de Jean correspond à sa liberté intérieure. C’est grâce à la liberté intérieure qu’il n’est pas besoin d’imposer ce que l’on croit à autrui, et pas besoin de penser toujours en catégories d’avoir tort ou d’avoir raison ni en esprit de clans.
Il y a plus important pour Jean que ce qu’il dit et fait lui-même, c’est ce pour quoi, celui pour qui il proclame et baptise. Dans ce commencement de la Bonne Nouvelle, Jean le précurseur est un passeur du baptême d’eau vers le baptême d’Esprit dont il ne dit rien, ni Marc non plus dans tout son évangile. Marc en revanche écrit de multiples situations qui explicitent ce qui se passe quand Jésus agit selon l’Esprit qui est en lui : malades guéris, possédés libérés, affligés consolés, courbés relevés. Bonne nouvelle qui rétablit, restaure les uns et les autres dans leur pleine humanité, commencement qui advient aux uns et aux autres, ouverture d’existence aux couleurs et aux saveurs de libération, de consolation, d’alliance, de pardon, pour le dire en un mot, de grâce.

Nous sommes dans le temps du commencement, temps de création, temps de révélation, temps de l’Évangile. (Ce n’est pas parce que c’est Noël dans 15 jours.)
Et nous continuerons l’Évangile, en parlant et agissant en liberté et en grâce, chacun chacune dans et par son existence, et ensemble reliés en confiance et par la confiance qui nous précède et nous appelle.