Prédication du 17 octobre 2021

de Marco Fornerone

Dans le monde, devenus adultes

Lecture : Genèse 3, 1-24

Lecture biblique

Genèse 3, 1-24

1 Le serpent était le plus avisé de tous les animaux de la campagne que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : « Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ! » 
2 La femme dit au serpent : Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. 
3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ! » 
4 Alors le serpent dit à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! 
5 Dieu le sait : le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent ce qui est bon ou mauvais. 
6 La femme vit que l’arbre était bon pour la nourriture et plaisant pour la vue, qu’il était, cet arbre, désirable pour le discernement. Elle prit de son fruit et en mangea ; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea. 
7 Leurs yeux à tous les deux s’ouvrirent, et ils surent qu’ils étaient nus. Ils cousirent des feuilles de figuier pour se faire des pagnes.

8 Alors ils entendirent le Seigneur Dieu qui parcourait le jardin avec la brise du soir. L’homme et sa femme allèrent se cacher parmi les arbres du jardin pour ne pas être vus par le Seigneur Dieu. 
9 Le Seigneur Dieu appela l’homme ; il lui dit : Où es-tu ? 
10 Il répondit : Je t’ai entendu dans le jardin et j’ai eu peur, parce que j’étais nu ; je me suis donc caché. 
11 Il reprit : Qui t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? 
12 L’homme répondit : C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé. 
13 Alors le Seigneur Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : C’est le serpent qui m’a trompée, et j’ai mangé. 
14 Le Seigneur Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre toutes les bêtes et tous les animaux de la campagne, tu te déplaceras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.

15 Je mettrai de l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui mordras le talon.

16 A la femme, il dit : Je multiplierai la peine de tes grossesses. C’est dans la peine que tu mettras des fils au monde. Ton désir se portera vers ton mari, et lui, il te dominera.

17 A l’homme, il dit : Puisque tu as écouté ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger, la terre sera maudite à cause de toi ; c’est avec peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie.

18 Elle fera pousser pour toi des épines et des chardons, et tu mangeras l’herbe de la campagne.

19 C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre, puisque c’est d’elle que tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière.

20 L’homme appela sa femme du nom d’Eve (« Vivante »), car elle est devenue la mère de tous les vivants. 
21 Le Seigneur Dieu fit à l’homme et à sa femme des habits de peau, dont il les revêtit.

22 Le Seigneur Dieu dit : L’homme est devenu comme l’un de nous pour la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. Que maintenant il ne tende pas la main pour prendre aussi de l’arbre de la vie, en manger et vivre toujours ! 
23 Le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Eden, pour qu’il cultive la terre d’où il avait été pris. 
24 Après avoir chassé l’homme, il posta, à l’est du jardin d’Eden, les keroubim et l’épée flamboyante qui tournoie, pour garder le chemin de l’arbre de la vie.

Prédication

Ce texte a une longue histoire d’interprétation par l’Eglise, qui y a vu la transgression fondamentale de l’histoire humaine, dont la conséquence a été la chute : la perte du rapport originaire avec Dieu, la perte de la communion, à laquelle seul Christ pourra remédier avec sa venue.

Le récit que nous avons lu serait donc celui de l’entrée dans l’histoire humaine, du Péché, de la culpabilité que tout être humain hérite dès la naissance. Le péché originel, selon Augustin. Au delà des différences dans le détail, ceci est vu comme le récit de quelque chose qui aurait pu et dû se passer autrement et qui donc pèse désormais comme une culpabilité sur toute l’humanité.

Il y a bien sur des raisons, même bonnes, pour ces lectures, mais il y en a aussi pour chercher dans autres directions. Tout d’abord : peut-il vraiment être le récit du péché originel si le péché n’y est même pas nommé ? Ce mot arrivera seulement plus tard, avec Caïn avec une transgression tout a fait différente. En plus, si ceci est vraiment un récit de faute et châtiment, cette vie, la vie sur la terre comme nous la vivons, serait-elle un châtiment?

Peut-on lire autrement ?

Je pense qu’on peut le faire, à la suite de Delphine Horvilleur, femme rabbin qui, en tant que femme, nous a donné une idée éclairante : dans la Bible (Hébraïque) s’agit de donner naissance, d’accoucher, de faire sortir du ventre maternel et venir au monde le peuple de Dieu, Israël. Dieu fait sortir Abram de son pays de sa famille pour devenir le père des peuples, Dieu doit faire sortir d’Égypte la masse informe des enfants d’Israël pour qu’ils deviennent le peuple de Dieu. L’Eden est une salle de travail pour donner naissance à l’humanité. Voilà  ce qui se passe dans ce récit : l’humanité vient au monde à travers l’expérience traumatique de la naissance. Les éléments y sont tous. Avant il y a une condition de vie garantie, dans un espace clos et sécurisé, le temps est suspendu, le couple humain a la nourriture qu’il lui faut, il n’a pas besoin de se la procurer. Ils sont dans un rapport immédiat avec Dieu. Et puis, l’événement traumatique : le couple se retrouve expulsé, dans un monde hostile, doit se débrouiller, les rapports se font plus compliqués à l’intérieur le couple et avec Dieu. Cela. ressemble une naissance. La naissance de l’individu, du sujet.

Ce passage arrive quand l’homme et la femme, transgressant l’orde divin, mangent du fruit et acquièrent la connaissance du bien et du mal. Ça, c’est central. Et non pas seulement parce que l’arbre est au centre du jardin.

Alors, de quoi s’agit-il ? De quelle connaissance ?

Ce n’est pas, contrairement à ce qu’on penserait, un arbre théologique : ce n’est pas le choix entre le Bien – Dieu et le Mal – Satan.

Ce n’est pas non plus un arbre “philosophique”, pour ainsi dire, il s’agit pas là de ce qui est le mal et le bien en sens absolu.

Il est plutôt question de savoir ce qui est bon ou mauvais, dans un sens assez pratique, ce qui est mieux et pire. La connaissance du bien et du mal, c’est ici être capable de reconnaître le choix meilleur et le pire dans une situation donnée. De savoir, par exemple si est une bonne ou une mauvaise idée de transgresser une interdiction.

Cette expression a aussi un sens technique, juridique, dans les Écritures Hébraïques. Avoir cette connaissance est la condition en raison de laquelle une personne peut être tenue responsable pour ses actions, participer à un procès et y témoigner, se porter garant pour un accord. Qui est exclu de cela ? Les enfants, qui ne connaissent pas le bien et le mal.

Ceux qu’on rencontre hors d’Eden, qui connaissent désormais le bien et le mal et exactement pour cela se trouvent hors du jardin, sont deux adultes. Avant ils ne connaissent pas le bien et le mal, ils n’avaient pas la responsabilité de se procurer de la nourriture; ils n’avaient pas de sexualité: ils n’étaient pas adultes. Cela fait surgir aussi quelques doutes sur le concept de culpabilité appliqué à cette transgression : s’ils ne connaissaient pas le bien et le mal, s’ils ne pouvaient donc pas être tenus responsables de ces actions, comment peut on le tenir coupable. En effet, dans le texte, on ne parle pas de culpabilité.

Hors du jardin, ils sont des adultes : ils doivent se débrouiller, avoir des enfants, après avoir été pomponnées, ils deviendront parents à leur tour (avec toutes les difficultés) et en effet, ils doivent laisser la maison de leur enfance.

Devenir adulte passe par la révolte, par la transgression qui est cela aussi, tout comme la naissance, une expérience traumatique. Et, tout comme la naissance, c’est un processus irréversible, on ne peut pas faire demi-tour, comme le montrent les chérubins qui agitent une épée flamboyante – d’ailleurs, au Musée du Louvre, dans les Antiquités Orientales, où est reconstruit l’entrée du palais de Sargon II, vous pouvez les admirer ces chérubins, sans épées flamboyantes, mais grandeur nature par contre. Leur présence, dans le récit, est nécessaire, parce que, même si cela est impossible, existe le désir de faire demi-tour, le désir d’un rapport fusionnel, de retourner faire un avec la mère, pour échapper aux responsabilités et aux difficultés de la vie adulte. Mais ce désir ne mène à rien, parce que c’est impossible et s’attarder trop dans cette fascination devient une piège, la tentation de ne pas vivre. Pour cette raison Dieu place les chérubins. Pour la même raison Dieu force l’homme et la femme à devenir adultes, quand ils cherchent échapper à leurs responsabilités: «non, c’est pas moi… c’est la femme que tu as mise auprès de moi… c’est le serpent… ». Non, dira Dieu c’est «à cause de toi».

Cela nous aide à comprendre comment lire un verset sur lequel on s’interroge beaucoup: «Voici, l’être humain est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement».

Il semblerait que Dieu se préoccupe que les êtres humaines n’acquièrent pas les caractéristiques des dieux dans l’antiquité : l’omniscience et l’immortalité.

Ils sont donc devenus comme omniscients? Être mortel est la seule différence entre eux et Dieu?

Une première réponse, par les Réformateurs par exemple, c’est que Dieu ici fait de l’ironie, peut-être. C’est qui est certain, c’est que le serpent disait, avec la même phrase, qu’ils deviendraient comme Dieu «ayant la connaissance du bien et du mal», mais, quand ils mangent du fruit, la seule chose qu’ils connaissent c’est qu’ils sont nus. Ils devaient devenir comme Dieu, il découvrent qu’ils sont nus. Et ça, encore une fois, c’est devenir adultes, vivre avec la conscience de sa propre imperfection.

Et, chose très importante, Dieu ne les abandonne pas, mais il se prend soin d’eux, leur donne des instruments pour cette vie neuve hors du jardin, qui sera une vie avec Dieu. C’est le commencement d’une nouvelle histoire, d’une relation sur des bases nouvelles : Dieu ne veut pas nous garder dans un état de minorité, ne veut pas un rapport paternaliste avec des enfants, mais une relation adulte avec des adultes. Et dans cette nouvelle histoire, oui, se posent les thèmes de la responsabilité, de la tentation du mal et de la culpabilité, comme le montre l’histoire de Caïn.

Et alors, Jésus, le nouveau Adam ? Cela on va pas le perdre. Il est l’homme nouveau, le premier né de la nouvelle humanité que la Bible veut accoucher, et en même temps il est l’offre de relation avec Dieu, dans laquelle nous pouvons devenir humains vraiment, naître comme hommes et femmes nouvelles.