Prédication du 16 janvier 2022

de Dominique Hernandez

De la mort à la vie : 
grâce et repentance

Lecture : Psaume 51

Lecture biblique

Psaume 51

1 Du chef de chœur. Psaume. De David.
2 Lorsque Nathan, le prophète, vint à lui, après que David fut allé avec Bethsabée.
3 O Dieu, fais-moi grâce, selon ta fidélité ; selon ta grande compassion, efface mes transgressions !
4 Lave-moi complètement de ma faute, purifie-moi de mon péché !
5 Car je connais mes transgressions, et mon péché est constamment devant moi.
6 Envers toi, toi seul, j’ai péché ; j’ai fait ce qui te déplaisait, de sorte que tu seras juste dans ta parole, sans reproche dans ton jugement.
7 Je suis né dans la faute, ma mère m’a conçu dans le péché.
8 Mais tu prends plaisir à la loyauté dans le fond du cœur ; au plus secret de moi-même, fais-moi connaître la sagesse !
9 Ote mon péché avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi, et je serai plus blanc que la neige.
10 Annonce-moi la gaieté et la joie, et les os que tu as écrasés seront dans l’allégresse.
11 Détourne-toi de mes péchés, efface toutes mes fautes.
12 Crée en moi un cœur pur, ô Dieu, rends à nouveau le souffle sûr en moi.
13 Ne me rejette pas loin de toi, ne me prends pas ton souffle sacré.
14 Rends-moi la gaieté de ton salut, et qu’un souffle généreux me soutienne !
15 J’apprendrai tes voies à ceux qui se révoltent, et les pécheurs reviendront à toi.
16 O Dieu, Dieu de mon salut, délivre-moi du sang, et ma langue criera ta justice.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche dira ta louange.
18 Car tu ne prends pas plaisir au sacrifice — sinon, j’en offrirais ; tu n’agrées pas l’holocauste.
19 Les sacrifices de Dieu, c’est un esprit brisé : un cœur brisé, écrasé, ô Dieu, tu ne le méprises pas.
20 Dans ta faveur, fais du bien à Sion, bâtis les murs de Jérusalem !
21 Alors tu prendras plaisir aux sacrifices de justice — holocaustes et offrandes totales.Alors on offrira des taureaux sur ton autel.

Prédication

Dans le livre des psaumes, le psaume 51 appartient à un ensemble en général désigné comme les « psaumes de repentance ». Voici un mot entraînant dans son sillage d’autres mots présents dans le psaume : péché (au singulier et au pluriel), faute, transgression, et d’autres mots encore, absents du psaume mais familiers au langage des Églises et pas seulement : conversion, qui est synonyme de repentance, confession, culpabilité, pénitence, punition…
Nous avons encore lu dans le psaume les expressions : cœur écrasé, esprit brisé et puis ceci qui provoque quand même une petite irritation, voire une véhémente protestation : je suis né dans la faute et ma mère m’a conçu dans le péché. 
Est-il possible de lire ou d’entendre ce psaume au Foyer de l’Âme qui affirme dans sa charte, je cite, qu’il défend une vision résolument positive de l’être humain, libre et responsable ?
Pourtant chaque culte comporte une prière de confession du péché, c’est-à-dire une prière de repentance ou de conversion.
Qu’est-ce donc que cette repentance ? Faut-il prendre le mot avec des pincettes, avec réticence, comme un passage obligé du culte, à subir, surtout quand on se dit très sincèrement que quand même, depuis le dimanche précédent, on s’est plutôt bien comporté ?
Pas comme David !
Car le contexte du psaume est bien précisé, ce qui n’est pas toujours le cas : quand le prophète Nathan vint à lui après que David fut allé vers Bethsabée.
Le récit complet se lit dans le 2° livre de Samuel aux chapitres 11 et 12. David, roi d’Israël, a fait venir chez lui la belle Bethsabée, épouse d’Urie, un des généraux de l’armée d’Israël, pendant l’absence de ce dernier occupé à guerroyer au loin. Bethsabée se trouve enceinte et en informe David. Celui-ci manigance un plan pour faire endosser à Urie la paternité de l’enfant, mais Urie, tout en ignorant ce qui s’est passé, fait échouer la manipulation. Alors David ordonne que, lors du prochain combat, Urie soit placé en première ligne et qu’il soit isolé. Forcément, Urie est tué pendant de la bataille. Soulagement de David qui pourra épouser Bethsabée et reconnaître l’enfant. Mais le prophète Nathan vient raconter à David une petite parabole, celle d’un homme pauvre qui avait une brebis, une seule, qu’il aimait beaucoup. Un voisin, homme riche, ayant à donner un banquet, au lieu de prendre une brebis de son troupeau, s’empare de la brebis du pauvre et la sert au repas. Que faire à l’homme riche, demande Nathan ? Très en colère devant un tel forfait, David, roi d’Israël qui doit rendre la justice, clame sa sentence : l’homme riche mérite la mort. Cet homme, c’est toi, répond Nathan. Alors David prie : c’est le psaume 51.

Nous ne sommes ni rois ni reines, nous n’avons certainement ordonné la mort de personne.
Mais chacun de nous peut prier le psaume 51, l’habiter, s’y reconnaître. Chacun de nous a besoin de se repentir, besoin d’une confession du péché.
Il ne s’agit pas de lister les fautes, les manquements, les transgressions, les perversions : les péchés pour le dire en un seul mot. Les péchés qui peuvent être aussi bien quelque chose qui est fait ou qui est dit que quelque chose qui n’est pas fait ou pas dit. D’ailleurs le psaume ne revient qu’une fois sur la mort d’Urie en évoquant le sang versé. Ce n’est pas que cela n’ait pas d’importance. Mais c’est que ce que nous faisons ou disons, ou pas, les péchés qui provoquent un mal, un malheur, une souffrance, la mort, sont les conséquences de ce que la Bible, et la liturgie du culte à sa suite, nomme le péché, au singulier.

David est bien coupable d’avoir fait tuer Urie. Il n’a pas agi par inadvertance ou dans l’ignorance de ce qui allait se passer ; il sait bien ce qu’il a fait, il a donné l’ordre en sachant parfaitement que l’époux de Bethsabée serait tué puisque telle était son intention.
Mais jusqu’à ce que vienne Nathan, David n’a pas eu véritablement conscience du péché, au singulier, non pas l’acte lui-même, mais l’origine de ce qu’il a fait. Et tant qu’il n’en avait pas conscience, David pouvait dire : oui d’accord j’ai fait tuer Urie, 

mais Bethsabée est tellement belle et je la voulais,
et puis je n’ai pas eu le choix puisque Urie n’est pas entré dans mon plan pour qu’il endosse la paternité de l’enfant,
et puis il aurait pu tuer Bethsabée et l’enfant,
et puis c’est moi le roi,
et puis…

Il y a toujours tellement de raisons pour se justifier de ce qui a été fait ou dit ou pas. C’est une réaction tellement humaine qu’elle préside au premier dialogue de Dieu avec l’homme et la femme dans le jardin d’Eden après qu’ils eurent mangé le fruit défendu : as-tu mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? demande Dieu à l’homme qui répond : c’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’en a donné. Et Dieu s’adressant à elle, la femme répond : c’est le serpent.
L’auto-justification est un mécanisme bien rodé qui n’est que l’autre face de la culpabilité et qui évite d’aller au fond des choses, enfin plutôt au fond de soi, à l’origine, à la racine. Par l’auto-justification l’humain reste derrière un paravent, un rideau, un bouclier, un rempart pour ne pas exposer ce qui a conduit à la faute, pour ne pas s’exposer avec ce qui, en soi, produit du mal, du malheur, de la souffrance. Et qui est le péché, au singulier toujours.
Pour faire comprendre ce que représente le péché, la Bible raconte par exemple l’histoire de David qui fait tuer un homme pour son intérêt personnel, c’est-à-dire que David a oublié Dieu, Dieu qui a fait de lui un messie et un roi, qui l’a appelé à le servir en servant son peuple. Cet oubli de Dieu ou pour le dire autrement cette rupture de la relation avec Dieu ou pour le dire autrement ce penchant à vouloir vivre sans Dieu, à se couper de la source d’être, du fondement de l’être, c’est le péché. Le péché qui conduit à déshumaniser autrui, à se déshumaniser soi-même, dans l’oubli délibéré ou non que la vocation adressée à chacun, c’est de devenir humain avec d’autres humains, devant Dieu. C’est cela le péché, non pas une question de faire, mais une question d’être. C’est l’écart entre la vocation et l’existence et alors l’existence n’est plus réponse à la vocation, elle n’est plus responsable, et elle n’est pas libre.

Car tout s’enchaîne, il s’agit bien de chaînes. Dans l’oubli de Dieu, il n’y a plus qu’à subir les conséquences de ce qu’on a fait ou pas fait, dit ou pas dit et la déshumanisation se répand en soi, puisqu’il faut se préserver, et autour de soi et plus loin que soi, puisqu’il faut se protéger, et c’est le chaos, et le chaos, ce n’est pas la vie en tant que don de Dieu Créateur : la vie vivante.
David reconnaît alors qu’il est comme mort, sans souffle, sans force, sans joie, et seul. C’est cela la repentance : la conscience, la reconnaissance que seul, il est impossible de sortir de cette profondeur comme le dit le psaume 133, une profondeur obscure où l’attente de l’aurore est celle du pardon de Dieu qui relève, qui ranime, qui réveille.
La repentance, la conversion est le mouvement de se tourner vers Dieu lorsque l’on prend conscience qu’on l’avait oublié, qu’on a voulu vivre sans lui. Lorsque l’on prend conscience qu’on s’est conduit comme si on était le roi du monde, comme si on était le centre du monde, même un tout petit monde personnel, comme si l’on était maître de soi et d’autrui, même un instant.
Cette conscience-là, qui a saisi David grâce à Nathan parce que parfois on a besoin d’un autre pour qu’elle s’éveille, cette conscience-là, c’est le cœur broyé et l’esprit brisé du psalmiste, de celui ou celle qui renonce à s’auto-justifier, celui ou celle qui se défait des raisons accumulées pour se protéger et préserver une image de soi un peu acceptable. Cœur broyé, esprit brisé, sensation de ne pas être vivant, et d’être impuissant, incapable de s’en sortir par soi-même : la repentance comme conscience du péché comporte aussi une part de douleur et de tristesse.

De plus, ce penchant de l’humain, qui a reçu la vocation à vivre de vie vivante, à oublier cette vocation et Celui qui l’a appelé, ne nous lâche pas, nous ne nous en débarrassons pas définitivement. Il reste en nous, trouvant toujours de quoi nous faire pencher hors de notre vocation. C’est pourquoi le psalmiste s’exclame : je suis né dans la faute et ma mère m’a conçu dans le péché. 
Ce n’est pas la faute de nos mères, ni des femmes en général.
Ce n’est pas à cause de la sexualité, magnifiquement chantée par le Cantique des cantiques.
Ce n’est pas en raison d’un « péché originel » transmis automatiquement de génération en génération, « péché originel » que les Écritures ignorent complètement et qui est une notion bien plus tardive et bien malheureuse.
Ce que veut dire le psaume, c’est que personne, aucun humain né d’une femme échappe à ce penchant à vouloir vivre sans Dieu, se couper de la source vivifiante, être au centre du monde.
Cependant ce penchant, ce péché n’est ni une malédiction originelle, ni un châtiment perpétuel.

Car ce n’est pas le péché qui a le dernier mot. Il n’a pas non plus le premier mot.
Si David dont le souffle est coupé, qui ne sent mort, s’est tourné vers Dieu dans la repentance, dans la conversion, ce n’est pas par peur d’une punition, c’est dans la foi en la grâce de Dieu, en sa bienveillance et en sa compassion.
C’est pourquoi dans le culte la prière de repentance, ou de conversion, la confession du péché, vient toujours après la proclamation de la grâce qui ouvre le culte. La repentance est enracinée dans la foi en la grâce de Dieu, car sinon elle ne pourrait être ce qu’elle est : exposition de soi devant Dieu sans masque, dans le dénuement, la faiblesse, la réalité de soi, réalité recueillie et reprise dans la grâce. C’est pourquoi nous pouvons nous présenter devant Dieu sans être terrifiés ni désespérés.
Nous pouvons faire l’aveu du péché parce que la grâce nous attend encore, l’aveu de notre faiblesse parce que vient encore une force nouvelle, l’aveu de notre manque de souffle parce que vient encore un Souffle nouveau. Nous pouvons faire l’aveu des chaînes parce que vient encore la libération, l’aveu de la tristesse parce que vient encore la joie, l’aveu de la douleur parce que vient encore la guérison.
Parce que vient le salut, avec son allégresse, avec la restauration.
La grâce, le pardon, le salut ne sont pas posés sur des actes, mais sur des personnes. La repentance, la conversion, ce n’est pas de l’autoflagellation, ni une morbide complaisance dans l’auto-accusation. C’est une manière de dire : « me voici. Je m’étais absenté, mais je reviens. Je suis là, vraiment, c’est moi ».
Nous pouvons le dire parce que la grâce, la bienveillance, la compassion, l’amour de Dieu pardonnent tout, croient tout, espèrent tout, supportent tout, et chacun, et tous. C’est ainsi que Jésus le Christ l’a fait connaître.

Sans la repentance et la grâce, et sans Nathan qui l’a replacé devant Dieu, David en serait réduit, car c’est une véritable réduction d’humain, à se retrancher, à se protéger, à se conserver, à se fonder sur ses seules forces, il ne sortirait jamais des conséquences de la mort d’Urie, il ne serait jamais libéré de cet enchaînement et d’autres y seraient enchaînés avec lui, premièrement Bethsabée. Délivre-moi du sang versé, et ma langue acclamera ta justice, puisque la justice de Dieu, c’est que le pécheur vive, qu’il soit sauvé ainsi que le proclame aussi le prophète Ézéchiel.
La grâce, le salut, également exprimés en termes de création : crée en moi un cœur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé, permettent un regard renouvelé, une conscience un peu plus éveillée et avisée, des relations ravivées dans un désir de partage, de transmission, de témoignage : j’enseignerai tes voies à ceux qui se révoltent, et les pécheurs reviendront à toi, puisqu’en chacun frémit au fond de lui ce qui est plus que lui-même pour lui donner d’être, de devenir et de vivre.
Dans la repentance, dans la conversion, nous revenons là, en ce lieu intime, à la source de grâce vivifiante, de compassion encourageante, de joie pétillante.
La repentance, c’est certain, est une bénédiction !