Prédication du 1er octobre 2023

de Dominique Hernandez

Deux maisons

Lecture biblique

Matthieu 7, 21-27

21 Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : « Seigneur ! Seigneur ! » qui entreront dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. 
22 Beaucoup me diront en ce jour-là : « Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas par ton nom que nous avons parlé en prophètes, par ton nom que nous avons chassé des démons, par ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? » 
23 Alors je leur déclarerai : « Je ne vous ai jamais connus ; éloignez-vous de moi, vous qui faites le mal !  »

24 Ainsi, quiconque entend de moi ces paroles et les met en pratique sera comme un homme avisé qui a construit sa maison sur le roc. 
25 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont précipités sur cette maison : elle n’est pas tombée, car elle était fondée sur le roc. 
26 Mais quiconque entend de moi ces paroles et ne les met pas en pratique sera comme un fou qui a construit sa maison sur le sable. 
27 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison : elle est tombée, et sa chute a été grande.

Prédication

Quel bonheur, quelle chance que Jésus ait autant parlé en paraboles ! Des paraboles, des images, des métaphores, des comparaisons évocatrices, des indicatifs qui ne figent pas dans un programme prédéfini, tout un langage poétique qui donne de l’espace, qui donne du temps, qui inspire et laisse respirer, qui libère, qui interpelle. Les paraboles, ces petites histoires qui ne sont pas des démonstrations, ni des modes d’emploi de l’existence, ouvrent des chemins de pensées, d’interprétations, de quêtes.
Au Foyer de l’Âme et au KT, nous ne prétendons pas apprendre à Abel, Jacob, Simon et Noah, ni à personne, ce qu’il faut croire, ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire. Ici et au KT sont offerts en partage des expériences, des propositions, des réflexions, des témoignages comme autant de ressources mises à leur disposition afin qu’ils puissent tracer leur chemin, afin qu’ils puissent construire leur maison.
Pas une maison pour y loger bien sûr. La maison dans la parabole, c’est une image pour parler de notre vie et de nous-mêmes, de ce que nous construisons de nous-mêmes. Une maison, un chez-soi, comme un soi. La maison, là où nous logeons, est un lieu important : lieu de repos, l’endroit pour se retrouver soi-même, lieu de la famille et plus largement lieu d’accueil pour les amis, les proches, et celles et ceux que l’on reçoit. C’est en même temps un lieu intime et un lieu ouvert avec un seuil qui fait frontière et passage entre chez soi et l’extérieur. Notre soi est comme une maison : un lieu intérieur, d’intériorité, d’intimité mais qui n’est pas coupé d’autrui et de l’extérieur car il y a des communications, des ouvertures. Être, ce n’est pas qu’une affaire personnelle, individuelle ; c’est toujours « être au monde », en présence, en relations et en responsabilité. En grandissant et au fil du temps, nous devenons conscients de l’ampleur et de la complexité de ces relations.
C’est donc dans le registre existentiel que s’inscrit la parabole des deux maisons, comme les autres paraboles d’ailleurs.
Deux hommes construisent leur maison : un homme avisé construit sa maison sur le roc, un homme insensé construit la sienne sur le sable.
(3 considérations sur les maisons avant d’en arriver au roc et au sable).

Ce qui est commun pour les deux maisons, c’est que la pluie tombe, et tombe en si grande quantité qu’elle provoque des torrents, et que le vent souffle en tempête. Tous les êtres humains ont à affronter pluies et vents. Il ne s’agit pas de phénomènes météorologiques mais d’épreuves, de catastrophes qui affectent chacun, et qui ne sont pas toujours prévisibles, deuils maladies, échecs, blessures. Cela ne dépend pas de notre intelligence, de nos capacités, de nos forces, ni même de la chance. Même si nous pouvons parfois nous y préparer, nous ne pouvons pas les éviter. Grandir, c’est aussi prendre conscience de cette dramatique de l’existence, que Jésus-Christ ne passe pas sous silence, et qu’il a lui-même affronté jusqu’à en mourir sur la croix, tué par une tempête de pouvoir religieux décidé à se maintenir et à éliminer celui qui le contestait.

Construire une maison, sa maison, son soi, c’est l’aventure humaine. Tout le monde construit la maison de son soi. Ce n’est pas réservé à quelques-uns qui seraient privilégiés, favorisés. Avisé ou insensé, sage ou fou. Ces deux figures sont présentes dans l’ensemble des Écritures, déjà dans la Bible hébraïque, dans les psaumes par exemple. Dans l’évangile de Matthieu les deux figures reviennent dans une autre parabole à l’autre bout de l’évangile, celle des 10 jeunes filles allant à la noce, dont cinq sont avisées ou sages car elles ont pris une réserve d’huile pour leur lampe et cinq qui ne le sont pas et leur lampe s’éteindra avant l’arrivée du marié. Ou encore dans la parabole du serviteur avisé qui veille pendant que son maître est absent. Est avisé celui ou celle qui voit plus loin que l’immédiat que ce qui est à voir ; est insensé celui ou celle qui ne veut pas savoir ni prévoir, une courte vue limitée à l’intérêt propre et souvent immédiat. Avisé ou insensé, cela tient pour les Écritures à la conscience ouverte ou pas à la présence de Dieu et à sa Parole de vie et pour la vie. Cela sans préjuger de la manière dont la parole de Dieu se fera entendre dans la conscience ou dans l’âme de la personne.
Les deux hommes, l’avisé et l’insensé, construisent leur maison. C’est dire qu’il y a de la place pour tous, aussi bien sur le sable que sur le roc. La place sur le roc n’est pas non plus réservée à un cercle plus ou moins grand d’heureux élus. Personne n’est exclu et personne ne peut interdire à qui que ce soit de construire sur le roc car il n’appartient à personne.

Dans la parabole, il n’est pas question des matériaux de construction ni de plan à suivre pour construire la maison. Que ce soit une cabane ou un manoir, peu importe. Qu’elle soit en bois ou en pierre, peu importe. La parabole n’est pas semblable à l’histoire du loup et des trois petits cochons à laquelle vous avez peut-être pensé en écoutant la lecture.
La construction est libre, Jésus ne donne pas un mode d’emploi. Nous construisons avec ce que nous recevons, avec ce que nous découvrons, avec ce qui nous façonne, avec ce qui nous tient à cœur. C’est peut-être pour cela que la parabole plaît beaucoup aux futurs mariés qui se projettent dans une construction conjointe d’amour à bâtir sur du solide pour une longue vie commune, un amour qui tiendra bon malgré les tempêtes de la vie. Les évangiles, par leur témoignage à Jésus-Christ, rendent conscients de l’importance de la confiance, de la quête de justice, de la compassion, de l’amour, de la gratitude, même si aussi l’égo s’en mêle, et la peur avec, et des illusions. Mais nous évoluons, nous changeons, nous sommes transformés par nos expériences de vie et aussi lorsque nous laissons la Parole de Dieu agir en nous. Nos constructions ne sont pas figées, le soi n’est pas immuable. Être ressort d’une dynamique, et pas seulement à l’adolescence. Notre vocation d’humain n’est pas d’être amidonné tout raide. Les paraboles, avec leur langage poétique, images, métaphores, associations inattendues, comparaisons évocatrices visent à l’élargissement, à l’assouplissement. Elles s’émancipent du contrôle et du statique et ainsi nous permettent d’en faire autant pour nous-mêmes. Elles parlent d’un devenir, et même une parabole de maison met en chemin de réflexion, d’interprétation et le chemin est plus important que l’arrivée. D’ailleurs, nous ne sommes pas obligés d’arriver. En Église, au KT, nous pouvons faire un bout de chemin ensemble, amicalement, respectueusement.

Alors, construire sur le roc ou construire sur le sable ? La parabole donne à comprendre que ce qui importe c’est ce sur quoi la maison est bâtie, ce sur quoi les fondations reposent, c’est-à-dire ce qui assure la solidité de la construction.
Le roc c’est du solide, c’est fiable, on peut faire confiance. Dans le premier Testament, l’Éternel est comparé à un roc : par exemple le roi David confesse que Dieu est pour lui comme un roc (2 Sam 22,2) ou encore dans un psaume : ils se souvenaient que Dieu était leur rocher, leur libérateur (78,35).
Le sable est instable, mouvant, fuyant.
Il est certes plus facile de construire sur le sable que sur le roc, mais cette facilité est celle de l’inconscience, de la paresse ou du déni, rien qui soit fiable. Elle est celle de l’illusion, de l’hypocrisie, de la volonté de plaire, ou de l’égoïsme, toutes choses contre lesquelles Jésus ne cesse de mettre en garde parce qu’elles ne permettent pas la dynamique vivifiante d’une existence mais qu’elles enferment soi et les autres dans des systèmes d’esclavage. Jésus-Christ, lui, annonce la libération, il proclame la grâce qui délivre, relève, réveille, ressuscite.
Nous sommes libres de bâtir notre maison, mais sur quoi ? Qu’est-ce qui oriente notre être, notre être au monde ?
Sur quel terrain construisons-nous ? Sur quoi appuyer notre être, qui l’assurera même dans la tempête. C’est à dire ce qui n’est pas nous mais qui nous tient et nous fait tenir bon. Non pas nous mettre à l’abri des tempêtes, des épreuves et des catastrophes, mais assurer le soi de l’être indépendamment de ce qui arrive et qui peut nous blesser, nous altérer, nous affecter.
Jésus répond : ce qui soutient vraiment l’être humain, c’est Dieu avec nous, qui nous tient vivants. Et la confiance en son œuvre, en sa parole conduit à construire notre maison sur lui, à appuyer, à reposer notre être sur lui, sur son amour pour nous, sur sa confiance en nous, sur son espérance envers nous.
Une autre manière de le dire, c’est ce que Jésus affirme dans les versets précédant la parabole. Il ne s’agit pas de dire Seigneur, Seigneur, mais de faire la volonté du Père qui est dans les cieux.
Il ne s’agit pas non plus de se donner bonne conscience et grande valeur en disant : regarde tout ce que nous avons fait de bien…
Seulement faire la volonté du Père.
Ou encore écouter les paroles de Jésus et les mettre en pratique.
Cela n’a rien à voir avec une morale même excellente. Les paroles de Jésus sont des interpellations qui visent à éveiller la conscience, à réveiller l’âme, à relever l’être. Il n’y a pas de catéchisme ou de doctrines à retenir et à appliquer. Écouter, c’est interpréter pour comprendre comment et en quoi cette parole de Jésus me concerne, nous concerne. Et ensuite c’est interpréter dans ma manière d’être ce que la parole écoutée m’inspire. Rien d’automatique.
Faire la volonté du Père, c’est déjà tâcher de ne pas la confondre avec la nôtre, comme malheureusement il nous arrive de le faire. Affirmer que la volonté de Dieu c’est ceci ou cela et l’imposer à d’autres au nom de Dieu, sans en douter, sans se poser de questions, sans se remettre en question, c’est une tentation hélas bien répandue. Avec les paraboles, grâce aux paraboles, et à d’autres textes de la Bible, nous pouvons comprendre que la volonté de Dieu, c’est que nous recevions la vie vivante, c’est de laisser Dieu agir en nous et ainsi grandir chacun et les uns avec les autres en humanité, en liberté, en responsabilité. Et il n’y a pas d’âge pour arrêter de grandir ainsi.
Car sincèrement, honnêtement, ne construisons-nous pas notre maison à la fois sur le roc et sur le sable ? à la fois en écoutant la parole de Dieu et en écoutant d’autres voix que la sienne ? à la fois par la confiance en Dieu et par le souci de nous-mêmes ? Et parfois des coins vacillent, des morceaux s’effondrent.
Mais rien n’est terminé, ni pour les jeunes, ni pour les moins jeunes, et nous pourrons toujours construire et reconstruire sur le roc, sur la Parole fiable, avec confiance.