Prédication du 17 mars 2024

Culte court suivi de l’AG cultuelle

de Dominique Hernandez

Lecture : Matthieu 8, 5-13

Lecture biblique

Matthieu 8, 5-13

5 Comme il était entré dans Capharnaüm, un centurion l’aborda 
6 et le supplia : Seigneur, mon serviteur est couché à la maison, paralysé et violemment tourmenté. 
7 Il lui répondit : Moi, je viendrai le guérir. 
8 Le centurion répondit : Seigneur, ce serait trop d’honneur pour moi que tu entres sous mon toit ; dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri ! 
9 Car je suis moi-même sous l’autorité de mes supérieurs et j’ai des soldats sous mes ordres ; je dis à l’un : « Va ! » et il va, à l’autre : « Viens ! » et il vient, et à mon esclave : « Fais ceci ! » et il le fait. 
10 Après l’avoir entendu, Jésus, étonné, dit à ceux qui le suivaient : Amen, je vous le dis, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi. 
11 Je vous le dis, beaucoup viendront de l’est et de l’ouest pour s’installer à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux. 
12 Mais les fils du Royaume seront chassés dans les ténèbres du dehors ; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. 
13 Puis Jésus dit au centurion : Va, qu’il t’advienne selon ta foi. Et à ce moment même le serviteur fut guéri.

Prédication

Dans ces quelques versets de l’évangile de Matthieu sont tracés quelques traits d’un homme, un être humain dont la foi suscite l’étonnement et l’admiration de Jésus. Qu’en est-il de cet homme et de sa foi ? Les quelques versets du récit suffisent à en relever les éléments.
L’homme est un centurion, c’est à dire un officier de l’armée romaine d’occupation, un homme d’une autre culture, d’une autre religion. L’évangéliste Luc en fait un ami du peuple juif, mais rien de tel chez Matthieu. Autant dire qu’un centurion et un rabbi juif n’ont pas grand-chose à partager. Pourtant le centurion s’approche de Jésus. La foi du centurion est mouvement. Le centurion franchit la distance le séparant de Jésus et comment ne pas penser aux mages venus adorer le roi des juifs venant de naître ? Matthieu creuse dans son évangile le sillon de l’ouverture de l’Évangile à toutes les nations, cependant la foi est toujours mouvement, déplacement, dynamique où l’on se révèle, où l’on s’expose, où l’on cherche au-delà du connu et du familier. La foi est ce soulèvement hors des cadres habituels, et qui permet de les considérer autrement.

Le centurion entre en relation parce qu’il a besoin de Jésus. Mais ce n’est pas pour lui-même, c’est pour son serviteur : Mon serviteur est couché à la maison, paralysé et violemment tourmenté. La foi du centurion se dit aussi dans son souci d’un autre, un décentrement de lui-même et une orientation vers autrui. La vie de son serviteur est plus importante que son statut personnel. Il se met au service de son serviteur, c’est pour lui qu’il supplie Jésus dont il a pu entendre dire qu’il guérit les malades et parle de telle sorte que les foules l’entourent et l’écoutent. Ce souci d’autrui, cet élan qui pousse le centurion, ce désir que le serviteur soit guéri, nous pouvons le nommer bonté, cette bonté dont nous pouvons croire que sa manifestation, sous quelque forme que ce soit, est toujours comme un signe de Dieu.
Comme dans une chanson du milieu du siècle passé, de Jacques Brel, dont le refrain disait :
Ainsi certains jours paraît une flamme à nos yeux
A l’église où j’allais on l’appelait le Bon Dieu
L’amoureux l’appelle l’amour, le mendiant la charité
Le soleil l’appelle le jour et le brave homme la bonté
La foi du centurion est imprégnée de bonté. Ni repli sur soi, ni face à face exclusif avec Dieu, la foi ouvre en soi de la place pour l’autre, les autres.

Mouvement et bonté impliquent que la foi du centurion comporte de l’audace, une prise de risque : un centurion qui s’approche d’un rabbi juif et le supplie se présente en étant désarmé, sans se prévaloir de son statut ni de sa puissance. D’ailleurs Jésus ne manque pas de faire remarquer ce risque : Moi, je viendrai le guérir ?
Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres chez moi. Cela peut sembler paradoxal, car à l’audace se mêle de l’humilité. Le centurion qui demande, qui supplie ne veut pas prendre le dessus sur Jésus, il ne se prend pas pour Dieu. Ce qu’il fait, ce qu’il dit est ordonné à la vie de son serviteur car il y a une vie à relever, une existence à sauver.

Devant la remarque de Jésus, le centurion ne se dérobe pas, il insiste. Il explique. Il rend compte de ce qui le conduit à Jésus et c’est la confiance en l’autorité de la parole de Jésus. La foi du centurion est foi en l’autorité de la parole. C’est son expérience de chaque jour, son quotidien de centurion qui obéit et qui est obéit. Il sait qu’une parole d’autorité est suivie d’effet. C’est son monde : Dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri.
La foi du centurion ne consiste ni en un corpus de doctrines et de croyances, ni en une piété éprouvée, ni en un héritage reçu et à transmettre. Elle est

  • foi en ce qu’un autre humain peut lui répondre
  • et foi en ce qu’une parole peut guérir, sauver, créer.

Je suis un être humain sous l’autorité de mes supérieurs et j’ai des soldats sous mes ordres. Le centurion passe sa vie dans un système hiérarchique. Il en a conscience, comme il a conscience qu’il a besoin d’un autre qui puisse guérir son serviteur, ce qu’il ne peut pas faire. Il est inséré dans un solide réseau de relations d’autorité mais il reconnaît aussi qu’il n’en a pas sur Jésus et que Jésus a l’autorité de guérir son serviteur. Le centurion fait preuve de recul par rapport au « bain » d’autorité qui est son milieu quotidien. Certes un système hiérarchique peut donner lieu à de terribles abus de pouvoir mais le recul du centurion lui permet surtout de pointer l’élément essentiel qu’est la parole. Lorsqu’il dit à Jésus que le soldat à qui il dit Va y va, ce n’est pas pour montrer son pouvoir, et qu’il y en a cent comme ce soldat qui lui doivent obéissance, plus les serviteurs. C’est parce qu’il a compris la puissance d’une parole d’autorité, et il en appelle à celle de Jésus.
Le centurion ne se met pas en avant. S’il insiste, s’il explique, c’est parce qu’il est un être humain – il le dit : moi, je suis un être humain, un moi, ego en grec qui n’est justement pas un ego surdimensionné ou mal placé, mais un égo ajusté à l’humanité de l’humain en relation, humain de parole. Cet ajustement fait partie de la foi, patiemment.

Il y a quelque chose de Jésus le Christ dans ce centurion qui dit Moi je suis, qui se met au service d’un plus petit que lui, qui raconte une parabole pour expliquer ce qu’il veut dire.
Il y a une puissance d’être dans ce centurion à laquelle Jésus répond, avec admiration, avec reconnaissance, parce que lui-même est entièrement animé de cette même puissance d’être.
Jésus ne dit pas un mot du serviteur ; il ne dit pas : Va, ton serviteur est guéri, mais : Va, qu’il t’advienne selon ta foi. Le serviteur est aussitôt guéri ajoute Matthieu, mais cet envoi est aussi celui d’une vie dans la confiance qu’est la foi

Avec les mages, avec le centurion, nous comprenons que Jésus-Christ peut toujours être rejoint, que nul n’est jamais trop éloigné, trop étranger pour être privé de la puissance de vie qui est Dieu.
Et avec le centurion, nous comprenons également
que cette foi qui est mouvement et bonté, audace et humilité, conscience vive et parole humaine, cette foi suffit,
et qu’il en va avec elle du devenir humain, du déploiement de l’humanité de l’humain, ce qui est une manière de dire la Bonne Nouvelle de l’Évangile.