Prédication du 21 juin 2015

de Gilles Wagener

Lectures : Jean 3, 1-16, Luc 12, 22-34, Luc 17, 20-21

Chant : Psaume 389, 1-2-3

Ces trois textes nous parlent de la présence du royaume et de la façon d’y accéder. Je les ai choisis car ils répondent par de nombreux aspects à des moments que j’ai vécus ici au Foyer de l’Âme, à des moments partagés avec ceux qui fréquentent ces lieux en diverses occasions, dans la riche vie cultuelle, culturelle et associative de ce lieu.

Dans le premier texte, Nicodème, vient de nuit et il est lui-même dans les ténèbres : il vient pour interroger Jésus bien qu’il ne pose pas véritablement de question. Il s’adresse à Jésus en lui parlant de « ces signes miraculeux » qu’il fait. En cela Nicodème représente les pèlerins qui entourent Jésus, qui sont là pour fêter la Pâque à Jérusalem et qui croient en Jésus à cause des miracles. Mais Nicodème est un aussi un chef des juifs, un docteur d’Israël, en cela il représente aussi l’autorité, et la connaissance de la loi d’Israël.

Jésus le rabroue dès ses premiers mots: « à moins de naître de nouveau, personne ne peut voir le royaume de Dieu.»

Ici Jean remplace la naïveté de l’enfance que l’on trouve chez Mathieu, Marc et Luc « si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » par la nouvelle naissance, par la naissance d’en haut, de l’Esprit. Ainsi donc le salut passe par un nouveau début. Le mot grec « anothen » peut donner place à deux sens : de nouveau ou d’en haut.

Naître d’en haut implique un recommencement radical insufflé par l’Esprit, c’est la conversion.

Nicodème lui, entend cette phrase comme naître à nouveau, il ironise sur le fait qu’il est impossible à l’homme de retourner dans le ventre de sa mère. Bien qu’il entende les paroles de Jésus il les place sur un plan strictement matériel, cette nouvelle naissance il l’entend comme un acte physique alors que Jésus lui parle de la dimension spirituelle, du souffle de l’Esprit qui inspire un recommencement.

Alors Jésus précise, pour éclairer Nicodème, qu’il s’agit d’une naissance d’eau et d’Esprit : « à moins de naître d’eau et d’Esprit, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu ».

On considère généralement que le baptême est le signe de cette nouvelle naissance, l’eau symbolisant la purification, appelant le souffle de l’Esprit sur le baptisé pour sa vie entière, lui ouvrant ainsi le chemin vers le royaume de Dieu. Mais les quelques versets suivants indiquent clairement que le baptême seul n’est pas le propos de Jésus. Il se démarque du baptême purificateur de Jean Baptiste, ajoutant la nécessité de la présence de l’Esprit.

Le baptême, la naissance de l’Esprit représentent l’intervention divine dans la vie du croyant et le fait que cette naissance n’est pas un acte de la vie humaine mais un signe de la grâce de Dieu.

Dans le verset 6, Jean sépare ce qui est né de l’humain et ce qui est né de l’Esprit.

Par « né de l’humain », il ne désigne pas que la procréation, mais aussi plus largement toute la vie humaine : l’entourage dans lequel on grandit, ce que l’on choisit de devenir, le métier que l’on exerce, les choix que l’on fait au cours de sa vie, tout ce qui est de l’ordre de la vie de l’homme, de la chair. Mais tous ces aspects de « ce qui naît de l’humain » n’ont qu’un horizon de temps très limité, la durée de vie de l’homme est relativement courte et cet horizon limité ne peut lui permettre d’imaginer la vie éternelle. Il faut donc l’intervention de l’Esprit pour ouvrir au-delà de l’ordre de la chair, de la vie quotidienne de l’être humain, vers le salut.

Nicodème est perplexe et Jésus tente de lui expliquer, en utilisant l’image du vent, mot qui en grec, comme en hébreu porte à la fois le sens de « vent » et « d’Esprit ».

« Le vent souffle où il veut et tu en entends le bruit, mais tu ne sais pas d’où il vient, ni où il va. C’est aussi le cas de toute personne qui est née de l’Esprit. » [1]

En effet nul ne sait dire où se situe l’origine du vent, ni où le souffle du vent termine sa course, pourtant son effet est bien visible sur les feuilles des arbres ou sur les voiles des bateaux. Il en va de même du souffle de l’Esprit qui anime celui qui se laisse inspirer : sa vie change, ainsi que ses actes et ses propos mais sans qu’il puisse dire où cela le mènera. Cette incertitude nous rapproche de notre deuxième texte.

Mais continuons sur l’image du vent. Utiliser l’image du vent ne me semble pas anodin, car le vent ne souffle pas qu’une fois, il peut être présent un jour et pas le lendemain, revenir quelques jours après et souffler plus doucement. Il semble que cette image porte aussi l’idée que le souffle de l’Esprit ne nous inspire pas qu’une fois dans notre vie, lors du baptême, mais qu’il revienne aussi de façon irrégulière, imprévisible, tout comme sa source ou sa destination. Peu d’exégètes évoquent la répétition de ce renouveau insufflé par l’Esprit. Mais il me semble pourtant que cette image du vent dont on ne sait ni quand, ni d’où il vient implique que le vent, comme le souffle de l’Esprit nous revient régulièrement pour nous appeler à chaque fois au renouveau, à revivre notre « naissance spirituelle ». Comme Francis Loisel, curé de Plouay, je crois que « la naissance peut se vivre non seulement à chaque étape de la vie mais que c’est à chaque instant de notre quotidien que nous avons à écouter et à entendre « le Vent qui souffle » ».

Cette image du vent qui souffle laisse pourtant toujours Nicodème dans l’interrogation, « Comment cela peut-il se faire? » demande-t-il à Jésus. Cette nouvelle question nous montre que Nicodème, docteur d’Israël ne peut trouver la réponse dans la seule écriture, et qu’il oublie que, comme l’avaient annoncé les prophètes, avec la venue du Messie, le souffle de l’Esprit renouvellerait toutes choses.

Chez Ezéchiel comme chez Jérémie on peut lire « Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël […]. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes, je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. […] Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.»

Nicodème connaît certainement très bien ces textes mais il reste toujours interdit face à la parole de Jésus. Il ne comprend pas cette invitation à une transformation radicale pour accéder aux réalités « célestes » et le dialogue se termine ainsi, de façon un peu abrupte. Il semble d’ailleurs que le mot « nigaud » trouve son origine [2] dans le nom de Nicodème qui a tant de mal à comprendre Jésus.

Les quelques versets suivants sont un monologue, sans doute un commentaire de l’auteur, évoquant le mystère céleste. Alors que le vent n’a pas d’origine, de source que l’on puisse facilement identifier, l’amour de Dieu est la source de cette rédemption, de cette conversion que quiconque peut obtenir simplement en reconnaissant Jésus son fils. Dieu qui a tant aimé le monde lui donne son fils unique afin que chacun puisse s’extirper des choses terrestres, nées de la chair, pour croire pleinement aux choses célestes et trouver le chemin de la vie éternelle.

Ne pas être jugé, mais être sauvé peut-on lire dans le verset 17.

Les choses terrestres apparaissent aussi dans le deuxième texte que nous avons lu.

Là encore pour les opposer aux choses célestes, pour montrer qu’elles forment souvent une barrière qui rend difficile l’accès au Royaume de Dieu. Je ne sais pas si beaucoup de nos paroissiens ont des motifs de s’inquiéter de ce qu’ils vont manger demain ou de comment ils pourront se vêtir. Mais ce midi le CASP invite dans notre paroisse une cinquantaine de personnes qui déjeuneront avec nous. Nous les accueillons, comme en famille, et faisons notre possible pour qu’ils passent un moment joyeux autour d’un repas. Nos invités sont démunis, vivent souvent très isolés, ont parfois un chez eux mais vivent le plus souvent dans un foyer, dans un hôtel, dans la précarité. En ce qui les concerne, en effet, manger, se vêtir, se loger demain sont de vraies préoccupations, de véritables sujets d’inquiétude. Beaucoup d’entre eux vivent ce repas de façon sereine et joyeuse mais je m’attriste parfois quand quelques-uns s’inquiètent déjà de ce que sera leur nourriture du lendemain ou l’endroit où ils logeront la semaine suivante. « Et vous, ne recherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez, et n’ayez pas l’Esprit inquiet votre Père sait que vous en avez besoin. » écrit Luc.

Jésus oppose ici aux soucis dont les hommes sont rongés, la principale préoccupation [3] que devrait avoir le croyant : incarner le souffle de l’Esprit, en confiance, dans la paix, malgré les difficultés et les tracas de la vie quotidienne.

Dans Luc, quelques chapitres avant notre texte, la parabole du bon samaritain nous donne un bel exemple de la juste place donnée aux choses terrestres.

Le samaritain voit son prochain dans le premier venu, blessé au bord de la route. Il s’arrête auprès de lui, le recueille et l’emmène jusqu’à l’auberge. Il lui consacre sa soirée et le lendemain le confie aux bons soins de l’aubergiste, donnant deux deniers, le salaire de deux jours de travail, et promettant de le rembourser pour tout ce qu’il dépensera pour le blessé. C’est sans doute pour retourner à des affaires prospères que le samaritain quitte l’auberge et c’est sans doute grâce à son travail qu’il peut aussi généreusement prendre soin du blessé. Pourtant il s’est arrêté, a passé la soirée auprès de celui qu’il a secouru et a consacré le temps nécessaire à lui apporter le secours avant de retourner à ses occupations.

« Cherchez plutôt le royaume de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus » écrit Luc. Et le bon samaritain dans son action auprès du blessé nous montre que porter secours lui importe avant les choses terrestres dont il doit s’occuper. Dans ce « toutes ces choses vous seront données par-dessus » Jésus exhorte au détachement, à ne pas craindre même de vendre ce que l’on possède si cela peut servir à apporter le bien.

À ne pas craindre surtout parce que Dieu est là et qu’il a soin de vous. Il n’y a pas là de notion de mérite, l’accès au Royaume n’est pas conditionné à des sacrifices. Mais cette exhortation à se défaire des choses terrestres est dans les mots de Jésus une incitation à découvrir la richesse spirituelle de la confiance en Dieu, la richesse d’une vie où les choses célestes ont la première place. Il ne s’agit pas bien sûr de se séparer de tout ce que l’on possède, de vendre son toit et sa voiture, il ne s’agit pas non plus de l’hérésie du salut par l’aumône qu’on voulut voir certains critiques. Mais seulement de gérer ses biens matériels sans leur donner trop d’importance, sans leur donner plus d’importance qu’à la dimension spirituelle de la vie. « Faites-vous […] un trésor qui ne s’épuise pas » lit-on dans le verset 33.

Dans le troisième texte, le propos est limpide mais un peu surprenant pour les interlocuteurs de Jésus. « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : Il est ici, ou : Il est là. Car voici, le royaume de Dieu est au milieu de vous. »

L’avènement du royaume de Dieu était une des grandes préoccupations des pharisiens et c’était sans doute l’une des questions que Nicodème voulait soumettre à Jésus [4]. Ils attendaient vraisemblablement une irruption spectaculaire, une manifestation divine aussi merveilleuse que l’ouverture des eaux de la mer morte. Pourtant en une simple phrase, Jésus situe le Royaume « au milieu de vous ». En grec le mot utilisé peut signifier « au milieu » ou au « dedans ». À ce moment c’est Jésus qui est au milieu de ses interlocuteurs, c’est donc lui qui représente la nouvelle alliance, le chemin d’accès au Royaume si l’on retient le sens de milieu. Il se désigne là comme le Messie aux yeux des pharisiens qui ne lui reconnaissent que ses miracles.

Si l’on entend « au dedans de vous » Jésus dit, aux pharisiens de l’époque, jusqu’à nous aujourd’hui, que c’est à l’intérieur de nous-mêmes que nous pouvons trouver l’accès au Royaume, que c’est par la naissance de l’Esprit que nous pouvons le voir, c’est d’ailleurs exactement de cette manière qu’a commencé l’entretien avec Nicodème.

Conclusion

Il y a quelques semaines dans ce temple, Didier You concluait sa prédication en disant qu’il paraissait peu plausible que « Dieu puisse envoyer aux flammes éternelles quelque humain que ce soit». En effet, comment pourrait-il vouer quiconque à l’enfer alors qu’il établit son Royaume au milieu de nous. Mais si nous avons l’assurance, par l’Amour de Dieu, d’échapper à l’enfer, il nous faut aussi chaque jour retrouver le souffle de l’Esprit au dedans de nous. Le souffle de l’Esprit qui éclaire nos vies et nous permet chaque jour de revivre la naissance. Chaque jour ne pas laisser les turpitudes de la vie banale prendre trop de place, nous empêcher de voir le Royaume dans les fleurs qui poussent au printemps, dans le soleil qui fait scintiller les gouttes de rosée, et dans la main tendue de celui qui vit de mendicité. Le Royaume est au dedans de nous et pour peu que l’on veuille retrouver chaque jour le souffle de l’Esprit, Nous réaliserons que dans nos vies et dans beaucoup de nos actes sont inscrits le signe du Royaume, pour nous et pour les autres.

Amen

[1] JE 31, 33

[2] Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition, 1932-1935

[3] Frédéric Godet, Commentaire sur l’évangile Luc

[4] Frédéric Godet, Commentaire sur l’évangile de Luc