Prédication du 6 mars 2016

de Céline Bulourde

Nous connaissons tous ces expressions qui sont passées dans la langue courante: « vanités des vanités, tout est vanité », « un temps pour tout » et « rien de nouveau sous le soleil ». Elles sont l’héritage du livre de l’Ecclésiaste, souvent vu comme un texte pessimiste ou cynique.

Pourtant l’est-il vraiment ? Les personnes qui ont participé à la formation du canon biblique ont conservé ce livre et ont donc pensé que celui-ci nous apportait la Parole de Dieu. Comment se traduit cette Parole dans l’Ecclésiaste ? Par une invitation à la joie dans notre quotidien.

Nous ne sommes pas devant un texte que l’on a l’habitude de travailler ou simplement lire car il appartient au genre de la poésie hébraïque qui nécessite quelques clefs d’interprétation : répétitions de mots tout au long du livre /parallélisme /opposition « naitre – mourir ». De plus, l’auteur est inconnu : on a attribué ce livre à Salomon (il se présente comme un Fils de David et comme quelqu’un qui a régné) ou à un aristocrate qui pouvait se permettre nombre d’expériences. Nous ne pouvons pas dire précisément qui a écrit ce livre, nous savons seulement que ce livre a été écrit au 3e siècle av J-C dans un contexte marqué par la culture grecque et que le nom hébreu du livre, « Qohèlèt », vient du verbe « kahal » qui signifie « rassembler ».

Ce livre est une quête, une recherche méditative dont nous trouvons un des objets au v. 3 du prologue : « Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil ? ». En effet, si l’Ecclésiaste dit au verset précèdent que tout est vanité, que nous reste-t-il à part le désespoir ? Eh bien il nous reste d’autres pistes, qui s’éclairent, notamment lorsque nous revenons sur le sens du mot « vanité ».

Nous avons l’habitude d’entendre le terme « vanité » comme « quelque chose d’inutile » ou « néant » mais le mot hébreu qu’Ecclésiaste utilise est plus justement traduit par « buée/haleine/fumée ». L’accent est ainsi mis sur l’éphémère et le fragile. En effet, lorsque nous soufflons sur une glace, la buée ne reste qu’un instant et ne laisse pas de traces. Cette buée n’a donc qu’une existence transitoire mais elle fait partie d’un souffle sans lequel la vie ne serait pas possible.

La vie de l’Homme est passagère pour l’Ecclésiaste. Pourtant, loin de mener l’auteur dans un cercle d’angoisses, son constat le pousse dans une recherche où il va tenter de répondre à ces questions en passant en revue plusieurs moyens pour donner du sens à sa vie (la sagesse, le travail, la richesse…).

A la lecture du prologue, nous voyons que le monde est cyclique pour l’Ecclésiaste : c’est ce que nous appelons le cycle de la vie ; « un âge s’en va, un autre âge vient et la terre subsiste toujours ». J’ai été interpellée par ce verset car aujourd’hui notre réflexion a changé sur l’immuabilité de la terre. Nous parlons de plus en plus des catastrophes écologiques qui défrayent la chronique. Et nous nous rendons compte que les ressources qui nous sont offertes s’épuisent après des années d’exploitation sans limites avec des conséquences humaines, aujourd’hui et à venir, considérables. En lisant ce verset, nous savons que cette affirmation ne va plus de soi aujourd’hui et qu’il existe un véritable enjeu qui nécessite une nouvelle réflexion dans l’accueil et la conservation des dons qui nous sont offerts.

La plupart des commentateurs voient dans cette réflexion cosmologique d’Ecclésiaste une douce critique des mythes grecs et de l’importance que ceux-ci pouvaient voir dans les forces de la nature (Terre-Feu-Air-Eau). Bertrand Pinçon relève dans un de ces commentaires sur le livre que « bien que tout semble se répéter inlassablement, le monde poursuit inexorablement sa marche ». C’est donc pour lui un monde « entre mouvement et stabilité », un geste-duel que l’on retrouve dans la pensée de l’Ecclésiaste qui va constamment passer du récit d’expérience («j’ai vu », « j’ai fait ») [stabilité] à l’exposé de sa conviction [mouvement].

Dans le chapitre 3, nous retrouvons la question : « Quel profit à l’artisan du travail qu’il fait ? ». L’Ecclésiaste partage la représentation du Dieu « Créateur » de la Genèse et il nous explique sa vision du travail donné à l’homme. Souvenons-nous de Genèse 3,19 quand Dieu dit à Adam : «A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. » La sentence divine n’est pas interprétée comme quelque chose de mauvais in fine : l’occupation donnée à l’homme est un don de Dieu. Nous voyons en lisant l’ensemble du livre que l’Ecclésiaste distingue deux fonctions au travail : une basique qui assure la subsistance et une gratifiante puisque qu’elle apporte la joie à l’Homme.

Il présente également deux aspects de Dieu : sa transcendance (v. 11 : « Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l’homme puisse découvrir l’œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu’à la fin ») et son immanence, sa présence dans nos quotidiens (v. 13 : « Et puis, tout homme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail, cela, c’est un don de Dieu. »). Durant toute notre vie, nous hésitons entre ces deux modes de présence de Dieu : il nous arrive de sentir pleinement Sa présence auprès de nous, lors de moments de convivialité et de partage avec notre famille ou nos amis ou au contraire, dans des moments de souffrance, il nous arrive d’avoir l’impression qu’une grande distance nous sépare de Dieu… Et c’est avec lucidité que l’Ecclésiaste pointe cela. Ce constat l’amène à dire que ces deux modes de présence font partie des plans divins pour que l’Homme ait de la crainte face à Dieu. Ne nous méprenons pas en pensant que cela veut dire que nous devons nous sentir écrasés par un absolutisme divin ! L’expression « avoir de la crainte face à Dieu » signifie dans l’Ancien Testament « avoir confiance en Dieu », c’est donc un appel à la confiance que l’Ecclésiaste veut nous donner ; une reconnaissance des dons qui nous sont offerts et un cœur en joie par des plaisirs simples.

Le discours sur la joie qui traverse le livre de l’Ecclésiaste est reconnu par de nombreux commentateurs sous la forme de 7 refrains qui vont crescendo. Tout commence à la question « Du rire, j’ai dit « C’est fou ! » Et de la joie, « Qu’est-ce que cela fait ? » » (Qoh 2,2). Grande question ! Que nous procure la joie ?

La joie est définie comme « un sentiment de bonheur intense, de plénitude, limité dans sa durée, éprouvé par une personne dont un souhait, un désir est satisfait ».

Nous allons voir que dans l’Ecclésiaste, la joie se comprend dans la relation Homme/Dieu. A chaque « refrain », l’Ecclésiaste tire un fil dans sa réflexion : Tout d’abord, il constate que la joie et les plaisirs de la vie sont des dons de Dieu. Puis il affirme au chapitre 3 que l’Homme est dépendant face à son Créateur car il reçoit les dons mais ne connaît pas les intentions de Dieu. Toutefois cette dépendance ne représente pas totalement la relation entre Dieu et les Hommes pour l’Ecclésiaste, il y a aussi un dialogue que l’on retrouve dans le refrain du chapitre 5 où l’Ecclésiaste nous dit que la faculté de profiter de ses dons divins nous est donnée par Dieu lui-même. Pour lui, la joie que l’Homme éprouve vient du fait qu’il sait que ses dons sont offerts par Dieu : Dieu se révèle dans la joie de l’Homme et c’est pourquoi l’Ecclésiaste nous invite à profiter aujourd’hui de cette joie que nous partageons avec l’Eternel. Plus récemment, nous retrouvons cette relation Homme/Dieu chez Karl Barth dans sa conférence de 1956,  L’humanité de Dieu ; « La divinité du Dieu vivant n’a de signification et de force que dans le contexte de son histoire et de son dialogue avec l’homme et ainsi dans sa relation avec lui ».

Le dialogue entre Dieu et l’Homme se retrouve dans le refrain du chapitre 9 que j’ai choisi de vous lire car celui-ci est non seulement un des plus longs refrains mais également celui à partir duquel l’Ecclésiaste passe à l’exhortation de l’interlocuteur (« Va », « mange », « bois »). En avançant dans le livre, il y a comme une impression d’urgence qui se met en place avec les impératifs qui sont utilisés ; c’est un peu comme si l’Ecclésiaste, en arrivant à la fin de son livre (fin qui traite de la mort), nous pressait d’entendre son message et reconnaître la joie dans nos vies.

L’Ecclésiaste nous invite à boire et à manger avec joie mais pas de façon extrême : « boire de bon cœur » ne signifie pas avoir le coude levé en permanence, au contraire. Dans l’Ancien Testament,  le cœur n’est pas seulement le siège des sentiments mais celui de l’intelligence ; c’est donc une invitation à la consommation raisonnée que nous donne l’Ecclésiaste. Alphonse Maillot dit à propos de ces versets « Ici la joie humaine n’est pas simplement un moyen d’oublier les déboires de la vie et la hantise de la mort, mais la volonté de Dieu lui-même ».

La vie est quelque chose de fragile mais nous avons la possibilité, aujourd’hui, de vivre, d’agir nous dit l’Ecclésiaste : «v. 10 : Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais le par tes propres forces ». Il ne recommande pas ici de travailler comme un forcené ou de penser pouvoir se réaliser uniquement par son travail mais plutôt de savoir saisir l’instant, le bon moment pour agir avant le « Sheol » (qui est traduit par « séjour des morts » dans la TOB).  Nous avons la possibilité de rechercher notre bonheur et de le construire en relation avec Dieu qui nous y encourage.

Conclusion  

L’Ecclésiaste ne croit pas en la résurrection des morts et son appel n’est pas pour une vie future : il parle aux Hommes « sous le soleil », dans leurs présents. En tant que chrétiens, nous avons la conviction que quelque chose de véritablement nouveau s’est produit « sous le soleil » en Jésus-Christ mais cela ne nous empêche pas de profiter de la sagesse de l’Ecclésiaste.

Lors des repas de paroisse, notre pasteur nous dit souvent que manger, c’est rendre gloire à Dieu ; c’est exactement le propos de l’Ecclésiaste qui nous invite à nous réjouir et à profiter des dons de Dieu en reconnaissance de ceux-ci.

Amen